Fabienne Lauret, 17 ans, lycéenne à Paris.
En mai 68, j’étais lycéenne. Mon lycée était un lycée de filles, et les lycées de garçons d’à côté sont venus, début mai, pour essayer que les lycéennes rejoignent le combat. Moi j’étais emballée par ce qui se passait, on sentait bien que quelque chose d’extraordinaire se passait avec le mouvement étudiant, au Quartier latin.
Dans mon lycée, j’étais parmi celles qui étaient animatrices, et qui ont tenté de mettre en grève toutes les élèves. C’est parti assez vite, on avait des professeurs qui nous soutenaient, on organisait plein de choses, on discutait de tout, on faisait des commissions, sur la pédagogie, sur la discipline. La question de la discipline était très importante, on en avait ras-le-bol d’avoir des interdits : il fallait qu’on mette des blouses, c’était rose une semaine et beige l’autre semaine, on n’avait pas le droit de mettre des talons hauts, des pantalons, des mini-jupes, pas le droit de se maquiller…
Au bout de 3-4 jours, la direction a fermé le lycée, et donc du coup mes copines restaient chez elles et je me suis retrouvé un peu toute seule. Alors je me suis rendu au Quartier latin, car mon copain était lycéen à Henri IV, et j’ai suivi tout ce qui se passait dans le lycée. Il y avait des discussions sans fin, au cours desquelles j’ai appris beaucoup de choses.
Il y avait des manifestations quasiment tous les jours, on protestait contre le fait que les étudiants avaient été arrêtés à la Sorbonne. Et c’est comme ça que j’ai participé à la nuit des barricades au Quartier latin. Avec mon compagnon, j’ai participé aux chaînes pour dépaver les rues, porter les pavés et construire des barricades. C’était assez fou comme ambiance, assez joyeux même, mais au bout d’un moment il y a quand même les CRS qui sont arrivés. Ils n’étaient pas harnachés comme aujourd’hui, mais ils étaient quand même assez impressionnants, assez violents, et au bout d’un moment je me suis enfuie comme pas mal de gens.
Le matin, quand je me suis réveillée, j’étais un peu groggy, et quand je suis sortie dans les rues, j’ai vu les voitures brûlées, les grilles d’arbres arrachées, les barricades un peu partout… C’était impressionnant. Ce qui s’est passé cette nuit-là, la répression, a choqué beaucoup, il y a eu beaucoup de jeunes qui ont été arrêtés, mis en garde à vue, et du coup il y a eu une réaction des syndicats, qui ont appelé à une grande manifestation le 13 mai. Cette manifestation était importante pour l’ensemble du mouvement, c’était une très grosse manifestation et, enfin, les syndicats soutenaient clairement le mouvement étudiant. C’était la première fois que je participais à une aussi grande manifestation, et la première fois que je manifestais avec les syndicats, c’était vraiment le tout début de ma politisation.