Publié le Mercredi 20 juin 2018 à 21h47.

Comment Mai 68 est arrivé au centre de chèques postaux de Paris 15e

Les Chèques postaux, entreprise où je travaille, en Mai 1968, depuis quatre ans, comprend dans ses trois centres 12 000 salariées, seulement des femmes, à l’exception des 500 hommes qui assurent le travail de nuit alors interdit aux femmes, 50 cadres supérieurs et 30 techniciens. Dans cette boîte c’est le règne du mal au dos, des cadences, de la ­discipline, du non-droit syndical

La grève est déclenchée par les gars, dans la nuit du 17 au 18 mai. Dès 7 heures le matin ils ont fermé les portes du centre.

Dès la première matinée un « comité de grève » se forme, avec 4 CGT, 4 CFDT, 4 FO. Dans la foulée, un militant de la CGT nuit s’auto-­désigne pour la prise de parole, il le restera pour toute la durée de la grève. Il était clair que la CGT très majoritaire dans le centre dirigerait les opérations. 

Nous, « les faibles femmes » qui travaillions 42 heures par semaine, 6 jours sur 7 avec un « retour » hebdomadaire sans échappatoire possible, nous débrayons pour nos revendications établies par des réunions durant les six mois précédents. En numéro un arrive bien sûr la réduction du temps de travail.

Non seulement nous nous sommes mises à parler mais nous allions alors faire, nous allions alors comprendre, nous allions alors devenir des occupantes, nous allions alors rompre radicalement avec les « habitudes ». 

Chaque jour il y a la prise de parole du responsable de la CGT, le piquet de grève, la discussion entre les filles, les échanges d’informations entendues à la radio, les infos ­données par des syndicats en AG. 

Très vite, en plus de participer activement à la grève, au piquet de grève, nous allons par petits groupes de 3 ou 4 au Quartier latin, un soir au théâtre de l’Odéon où se tiennent des débats auxquels nous ne comprenons pas grand chose, un autre jour à l’école du cinéma rue de Vaugirard où nous reconnaissons quelques figures célèbres, d’autre fois à la Sorbonne, ou à l’école des Beaux-Arts d’où sortent les affiches sérigraphiées qui fleurissent sur les murs : « Étudiants-Ouvriers même combat »

Et un soir, à la sortie, après le piquet de grève, l’occupation est décidée, on s’engouffre à 300 dans le centre, un vrai bonheur cette occupation, on est chez nous dans notre lieu de travail. Très vite on s’installe, la vie s’organise, dès la première nuit certains disent des poèmes, d’autres chantent et encore on parle, on se parle avec une voisine de service qu’on ne connaissait pas. 

On y passera des nuits et des jours, on y fera la plonge, on balaiera les locaux, on répondra au standard téléphonique, on veillera aux allées et venues du chef de centre, et on y causera en grands et petits groupes, parfois de façon plus intime, on ira même jusqu’à parler entre nous de nos avortements. Mais les femmes se retrouvent à la plonge ou à balayer les escaliers et les rares hommes tiennent les positions stratégiques, telles que la porte du chef de centre « retenu » dans ses appartements.

Chaque jour, la vie change, chaque jour il y a du nouveau, un jour on ouvre le guichet des retraits d’argent pour verser une somme minimum aux personnes nécessiteuses, un autre jour on empêche un cadre de jouer l’intimidation contre des filles qui veulent rejoindre la grève. 

Gisèle Moulié

La suite dans le prochain numéro de l’Anticapitaliste