Publié le Samedi 26 septembre 2015 à 07h49.

Noirs américains, une révolte qui vient de loin

De la fin 1955, où commence dans le sud des Etats-Unis le « mouvement des droits civiques », aux soulèvements de la population noire dans les ghettos des grandes villes de tout le pays, à la fin des années soixante, des milliers, puis des dizaines et centaines de milliers de femmes et d’hommes se mobilisèrent pour secouer le joug de l’oppression née de la traite des Noirs et de l’esclavage. Des millions d’autres se reconnurent dans leur combat.

Quelques années seulement après la guerre de Sécession et la période démocratique de la Reconstruction, les Noirs, bien que « libres », avaient été ramenés par la terreur à une situation proche de celle de leur ancien esclavage. Pour la grande masse des Noirs, victimes de l’exploitation, des humiliations, de la ségrégation, de la menace permanente du lynchage, la survie exigeait la soumission, l’intégration de leur prétendue infériorité.

Il y eut bien des révoltes et de nombreux mouvements de contestation mais ils se heurtèrent à la férocité de la répression des classes dirigeantes. Celles-ci avaient tout intérêt à maintenir les anciens esclaves dans une position d’infériorité. Les pauvres blancs du Sud en tiraient la conviction qu’ils n’étaient pas au dernier rang de l’échelle sociale, qu’ils appartenaient même à la race supérieure, comme leurs maîtres. Dans le Nord, les Noirs pouvaient servir de boucs-émissaires. Et planteurs du sud ou industriels du nord firent toujours le nécessaire pour briser les possibilités d’unité entre les exploités blancs et noirs.

Ils ne purent cependant empêcher le mécontentement et la révolte de déboucher sur un véritable mouvement de masse quelques années après la Deuxième Guerre mondiale. Les contradictions entre la modernisation de la vie économique et sociale, les professions de foi démocratiques de l’impérialisme américain et le sort qu’il réservait à la population noire étaient trop criantes. Comme ce fut  le cas également dans les empires coloniaux des puissances impérialistes victorieuses de l’Allemagne nazie.

 

Dans la vague révolutionnaire des peuples coloniaux

La lutte de la population noire pour son émancipation aux Etats-Unis s’inscrivait dans la vague révolutionnaire des peuples coloniaux, comme l’exprimait le titre que Daniel Guérin donna à son premier ouvrage sur cette question, « Décolonisation du Noir américain »1. Avec une force de subversion d’autant plus grande qu’elle se produisait au cœur même de la citadelle impérialiste. 

En quelques années, le mouvement noir, sa conscience, ses organisations, franchirent des pas considérables, de l’utilisation de l’action directe contre la ségrégation par le mouvement des droits civiques au Black Power et aux Panthères noires.

Mais la révolution noire, comme les révolutions anticoloniales, ne put dépasser les limites fixées par les rapports de forces entre les classes à l’échelle internationale. L’assaut révolutionnaire de la classe ouvrière après la Première Guerre mondiale avait été contenu, elle-même vaincue, et ses éléments révolutionnaires liquidés physiquement tant par la réaction fasciste que par la bureaucratie stalinienne. Toute perspective de politique indépendante, révolutionnaire, internationaliste, de la classe ouvrière à l’échelle mondiale, avait disparu. Aux Etats-Unis, sauf dans quelques endroits et à des moments de montée des luttes, le mouvement ouvrier ne s’engagea pas aux côtés des Noirs.

Ce qui permit aux classes dirigeantes d’avoir raison de la révolte, certes en faisant des concessions importantes mais aussi en éliminant physiquement les militants les plus influents et les plus radicaux du mouvement noir.

Comme les peuples coloniaux, le peuple afro-américain ne pouvait accéder à l’égalité des droits complète que par un renversement de la domination capitaliste.

Le problème se pose encore, dans des conditions différentes. Depuis les années 1980, un « nouveau Jim Crow », selon les mots de Michelle Alexander2, a fait son apparition, par le biais notamment de l’incarcération de masse qui touche les Noirs pauvres en priorité. Les assassinats de Noirs commis en toute impunité par les policiers sont monnaie courante. Ils ne sont devenus un scandale que parce qu’à Ferguson, puis Charleston, ils ont entrainé une vague de protestations qui, à Charleston – chose impensable il y a 60 ans –, s’est heurtée à des institutions locales dirigées par des Noirs.

Galia Trépère

  • 1. « Décolonisation du Noir Américain », Daniel Guérin, Editions de Minuit, 1963.
  • 2. « The New Jim Crow, Mass incarceration in the Age of Colorblindness », Michelle Alexander, The New Press, 2010.