Samedi 24 novembre 1995, plusieurs centaines de cheminotEs CFDT désertent leur cortège de la manifestation intersyndicale des fonctionnaires. Ils viennent d’apercevoir la voiture de Nicole Notat secrétaire confédérale...
Bousculade avec les gardes du corps, insultes, la voiture malmenée. La colère des manifestantEs est motivée par l’annonce le 17 novembre du soutien de la confédération au plan Juppé qui prévoit de supprimer les régimes particuliers de retraite et de les aligner sur le régime général. Cette manifestation est le point d’orgue d’une énième journée d’action des fédérations syndicales cheminotes qui ont émaillé l’année 95. Si les cheminots sont particulièrement remontés ce 24 novembre, c’est que depuis la veille au soir, la grève qui ne devait durer que 24 heures fait l’objet d’assemblées générales et de reconduction pour le lendemain... à l’appel de la fédération CFDT des cheminots qui seule avait déposé un préavis illimité.
Une grève qui part de la base
Le 24 au soir, la plupart des dépôts de conducteurs de train ont reconduit la grève et, chose nouvelle par rapport à la grande grève de 1986-87, tous les métiers de la SNCF (ateliers, commerciaux, postes d’aiguillage, équipement) font de même. Malgré l’hostilité des fédérations CGT, FGAAC, FO et FMC, la base syndicale décide de faire le joint avec la journée de grève interprofessionnelle du 8 novembre à l’appel des seules CGT et FO. Durant trois jours et malgré les pressions des représentants de ces fédérations et l’hostilité des médias et des usagers, la grève va progressivement s’installer pour près d’un mois. Pour la première fois depuis 1968, plus aucun train ne circulera jusqu’au 21 décembre, les cadres restent chez eux, les cheminots occupent les locaux. La mise en place d’assemblées générales de grévistes, par site d’emplois et non par fonction, favorise la prise en main du conflit par la base.
La grève devient populaire
Les premiers jours, la grève fait l’objet de critiques acerbes dans les médias. Le gouvernement tente même de dresser une partie de la population contre les grévistes par l’organisation de « comités d’usagers ». Mais le vent tourne, la population rend désormais le gouvernement responsable de cette situation. Un sondage, début décembre, montre que 62 % ont de la sympathie pour la grève. Covoiturage, vélos, patins à roulettes... tout est bon pour remplacer trains et métros. Les grévistes sont même pris en stop par la population.
L’AG est souveraine, mais les grévistes laissent aux fédérations le rôle de coordination. L’assemblée générale et la démocratie de base s’accompagnent d’autres ouvertures inhabituelles dans les conflits antérieurs : l’ouverture totale des assemblées et de locaux occupés aux travailleurs de l’extérieur. On se visite entre secteurs en lutte. Fini l’époque où la CGT invoquait la protection de l’outil de travail pour empêcher tout contact avec l’extérieur. Toutefois, aucune coordination des assemblées intercatégorielles locales ne s’organise et cela pèsera sur la fin de la grève.
La grève prend fin… et ouvre d’autres conflits et luttes
Le 15 décembre, le gouvernement retire sa réforme sur les retraites, la fonction publique et les régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF), cette décision étant interprétée comme une victoire par les cheminots. Le mouvement alors décroît sous la pression des appareils syndicaux à qui le gouvernement promet un sommet social le 21 décembre.
La majorité des syndicats CFDT de la SNCF vont dans les mois qui suivent créer SUD Rail, rejoint par de nombreux adhérents CGT. Les assemblées générales souveraines deviennent à la SNCF un passage obligé de tous conflits, et les cheminots pourtant très corporatistes s’ouvrent à d’autres luttes (chômeurs, écologie, cultures…).
« Déborder le gouvernement et les syndicats », disaient les cheminotEs... Un mot d’ordre toujours d’actualité.
Dominique Malvaud