Publié le Dimanche 6 décembre 2015 à 11h04.

Syndicats : sous la mobilisation, fractures et ruptures

En 1995, le mouvement syndical, comme le mouvement social, sort d’un tunnel de 10 années qui s’est traduit par un recul tant numérique que dans les repères idéologiques.

Pour la CGT, le positionnement face aux gouvernements de gauche depuis 1981 a semé un trouble qui sera amplifié par la chute du Mur en 1989. Affaiblissement idéologique, chute des effectifs et reculs aux élections professionnelles se conjuguent. Aux élections professionnelles de 1995, la CGT ne recueillait plus que 19,7 % des voix contre 36,3 % en 1980. Les autres syndicats sont à peu près stables et ce sont les listes de « non-syndiqués » qui passent de 16,8 % à 30,3 %. En matière d’effectifs, la CGT est passée de plus de 2 millions en 1975 (13,5 % du salariat) à moins de 650 000 en 1995 (3,2 %).

Autour des années 68, la CFDT a mieux répondu à certaines attentes (immigréEs, femmes, auto-organisation) et a, d’une certaine façon, anticipé la crise du syndicalisme au travers du « recentrage », d’une prise du distance avec la « politique » qui se traduit par une adaptation de plus en plus complète au système. Elle maintient ses effectifs et son audience électorale. Si dès 1984, Edmond Maire déclare que la grève est une « arme mythologique », c’est à partir de la fin des années 80, au cours des mobilisations à la poste, chez les infirmières, à la SNCF, dans l’aérien, qu’exclusions et départs mènent au développement de ­syndicats SUD.

Dans la FEN, la même logique d’adaptation aux politiques gouvernementales et une offensive interne contre les minoritaires mènent à la création de la FSU en avril 1993.

Des volontés et des ambiguïtés

Les mobilisations de l’hiver 95 ont rendu visibles et amplifié les évolutions inscrites dans la décennie précédente. Pour la CGT, en plus de la volonté de sauvegarder les systèmes de protection sociale et de retraites, l’enjeu de la préservation de son influence dans le secteur public est décisif au regard de son affaiblissement dans le privé. Pour FO, les ambiguïtés de ses positionnements n’ont pas réussi à stopper le recul, et ce sera l’affirmation d’une combativité justifiée par le risque de perdre la gestion de la Sécu et de s’affaiblir dans le secteur public. Pour la CFDT, le positionnement sans retour du côté des contre-réformes libérales accélérera les processus engagés, avec le développement d’une opposition interne baptisée « Tous ensemble ! » et de nouveaux départs.

En pratique, le mouvement de grève sera voulu, porté, organisé, et « conclu », par une alliance CGT-FO-FSU-SUD-oppositionnels de la CFDT. L’état embryonnaire de l’auto-organisation et les limites politiques dans lesquelles les directions ont souhaité maintenir le mouvement conduiront à une fin de mobilisation un peu chaotique et un bilan mitigé.

Au total, le sursaut de 95 n’aura pas fondamentalement mis fin aux reculs du mouvement syndical, reculs faits de crise économique et développement du chômage, d’évolution sociologique et de crise d’orientation. Le développement de Solidaires, de la FSU, les espaces de contestation ouverts dans la CGT, maintiennent, avec bien des contradictions, un pôle militant critique des politiques patronale et gouvernementale soutenues par les syndicats de franche adaptation autour de la CFDT.

Robert Pelletier