Publié le Mardi 18 février 2020 à 09h25.

Anticapitalistas et Podemos : six ans de hauts et de bas depuis le lancement au « Teatro del Barrio » jusqu’aux adieux à l’amiable après le gouvernement de coalition

Par Andrés Gil, publié par Eldiario.es (CC). « Ce n’est pas joli, ce n’est pas beau, mais entre nous qui défendons la justice sociale, il n’y a pas d’adieu mais un au-revoir ». C’est avec ces mots que le leader de Podemos, Pablo Iglesias, a transmis mercredi dans une vidéo diffusée avec Teresa Rodriguez. Le ressenti qui sous-tend le départ de Rodriguez de la Direction andalouse : c’est une anticipation de l’absence prévisible de « Anticapitalistas »1 de l’Assemblée de Vista Alegre III et de leur prochaine sortie de Podemos, qui sera décidée dans une assemblée fin mars, après l’Assemblée citoyenne de tout l’État Espagnol de Podemos.

Une longue trajectoire

Il y a exactement six ans, le 14 janvier 2014, le Manifeste « Mover Ficha »2, que signaient entre autres, l’actuel vice-président du gouvernement, Pablo Iglesias ; Teresa Rodriguez ; l’acteur Alberto San Juan ; le professeur d’économie appliquée Bibiana Medialdea ; Jaume Assen ; Isa Serra ; Rita Maestre ; Antòn Gòmez-Reino et Jorge Moruno. Trois jours plus tard, le Manifeste était présenté au « Teatro del Barrio » (théâtre du quartier populaire de Lavapies ). Ce jour-là, Iglesias lui-même, Teresa Rodriguez, Miguel Urbàn, Ana Castaño, Juan Carlos Monedero et Iñigo Errejòn –q ui venait de rentrer d’Amérique latine – ont pris la parole.

« Anticapitalistas », qui s’appelait à ce moment-là « Izquierda Anticapitalista (Gauche Anticapitaliste) » et quand ils étaient dans la « Izquierda Unida (Gauche Unie) »3, « Espace alternatif » et leur tête visible était Jaime Pastor, était l’une des jambes sur laquelle Podemos a été lancé : ce jour-là au « Teatro del Barrio», Urbàn a été présenté comme Secrétaire d’organisation du parti.

Podemos, en ce mois de janvier 2014, provenait de la décantation du 15M4 (mouvement des Indignés) dans laquelle confluaient l’association des étudiants et professeurs de la Faculté de Politique de l’Université Complutense de Madrid, la « gauche anticapitaliste (IA) », des militants de différents mouvements sociaux- « jeunesse sans futur », PAH (mouvement contre les expulsions de logement), Mareas (« les Marées », mouvements revendicatifs de masse dans la Santé, dans l’Education nationale etc.), des professeurs liés à la Fondation CEPS et des amis qui se connaissaient venus de mouvements antérieurs – UL, UJCE, MRG…

Peu de temps après cette présentation au « Teatro del Barrio », le journal « eldiario.es » a diffusé le contenu d’une lettre d’information interne : « lien 82 », dans laquelle La « Gauche Anticapitaliste (IA) », avait établi « les points politiques de la proposition de processus pour les élections européennes » dans la période précédant le lancement du Manifeste « Mover Fichas ».

« Dans ce contexte » explique la direction de IA, « s’ouvre pour nous la possibilité d’impulser un processus qui aboutisse à une candidature pour les élections européennes », Quels sont les facteurs déterminants ? « La présence d’une série de personnalités ayant une projection médiatique comme figure publique du projet [il est fait allusion ici à Pablo Iglesias qui n’est pas mentionné], ce qui ouvre la possibilité de se lier à des secteurs de la population de gauche mécontents des organisations traditionnelles ».

Premiers conflits politiques

Les difficultés entre la famille trotskiste de Podemos et la direction du parti au niveau de l’État espagnol, ont existé en fait peu de jours avant sa présentation au « Teatro del Barrio ». Ce fut quand, à l’avant dernière minute, Iñigo Errejòn, un nouveau venu d’Amérique latine, a voulu retoucher le manifeste, ce à quoi Urbàn, participant au projet depuis le tout début s’opposa très fortement, devant un Iglesias contrarié.

Finalement, le manifeste resta tel qu’il était, sans les contributions de dernière minute de Errejòn, et Podemos se présenta en société dans le quartier populaire de Lavapies. Cinq mois plus tard, aux élections européennes, Podemos faisait irruption institutionnellement dans la politique espagnole avec 5 eurodéputés.

Mais avant ces résultats, lors des élections primaires ouvertes pour les élections européennes de mai 2014, Teresa Rodriguez présenta une liste alternative à celle de Pablo Iglesias. Depuis, « Anticapitalistas » s’est présenté aux élections pour les organes de direction de Podemos avec des candidatures propres dans les deux premières Assemblées citoyennes de l’État espagnol.

La première fois c’était à Vista Alegre I, en octobre 2014, lorsque Rodriguez regroupa autour d’elle différents secteurs ayant adhéré à Podemos après son lancement parmi lesquels Pablo Echenique lui-même. Dans cette Assemblée, étaient en jeu la direction du nouveau-né Podemos, les gens et même le projet politique. C’est à cette occasion que Iglesias a dit qu’il fallait se lancer à « l’assaut des cieux » ce qui a accompagné toute l’évolution du leader de Podemos, jusqu’à ce qu’il atteigne la vice-présidence du gouvernement.

Vista Alegre I a représenté la victoire de la première direction dirigée par Iglesias, avec Monedero, Errejòn, Luis Alegre et Carolina Bescansa. Luis Alegre a été le premier à partir, à l’automne 2016 tandis que la rupture de Errejòn et de Bescansa est arrivée avec Vista Alegre II, en février 2017.

C’est il y a exactement trois ans, le 12 février 2017, que cette deuxième Assemblée Citoyenne s’est terminée. Lors de son déroulement Errejòn et les Anticapis, à nouveau, ont disputé propositions politiques et direction à Iglesias. Ce dernier est à nouveau sorti vainqueur de la direction suprême du parti. Il faudra encore un an pour la scission de Errejòn et Bescansa, coïncidant avec le 5è anniversaire de Podemos – 17 janvier 2018 – pour qu’ils lancent un nouveau projet politique avec Manuela Carmena – « Màs Madrid », embryon de « Màs Paìs ».

Quoi qu’il en soit, la relation entre « Anticapitalistas » et la direction au niveau de l’État de Podemos est passée par des temps meilleurs ou pires, et a connu des situations de tension. Par exemple, en automne 2016 « Anticapitalistas » et Ramòn Espinar ont fait un accord pour gagner le processus organique à Madrid sur Rita Maestre et Tania Sanchez ; dans les campagnes au niveau de tout l’État il y a eu, parfois plus parfois moins, un appui andalou ; les sympathisants de la direction de Podemos ont présenté en Andalousie, face à l’équipe de Rodriguez, une liste alternative autour de Isa Franco ; dans les dernières élections européennes, Urbàn a été situé dans la liste de candidats en position d’être réélu eurodéputé ; et la direction de Podemos a appuyé José Marìa Gonzalez, Kichi, pour sa réélection comme Maire de Cadix.

Les éléments de la rupture

Mais dans les dernier temps les relations se sont dégradées. D’une part, du fait de l’aspiration politique de Rodriguez à convertir la coalition électorale « Adelante Andalucìa » (En Avant Andalousie), en un sujet politique propre  – au point de l’enregistrer officiellement comme parti politique, avec son CIF et son autonomie organique, en se référant comme exemple à « Catalunya en Comùn » (Catalogne en commun-Coalition politique de Catalogne), une aspiration qui n’est partagée ni par la Direction de Podemos ni par « Gauche Unie (IU) », un de ses partenaires andalous le plus important.

Mais c’est surtout du fait de l’opposition de « Anticapitalistas » à l’orientation du Gouvernement de coalition avec le PSOE : depuis le début des négociations, ils ont rendu publique leur opposition à cette perspective et une partie de leur stratégie politique passe par la représentation de l’espace de ceux qui ne sont pas d’accord pour co-gouverner avec le PSOE. La consultation des militants de Podemos a représenté un revers pour ces positions : en Andalousie la position pour l’entrée de Unidas Podemos dans le Gouvernement de coalition a recueilli 96% de votes favorables.

Dans la vidéo d’adieu avec Pablo Iglesias, Teresa Rodriguez répète plusieurs fois son opposition à la coalition, mais ajoute qu’elle espère avoir tort et souhaite bonne chance dans le gouvernement à Iglesias et à Unidas Podemos.

Tout cela a généré un climat de pré-assemblée compliqué, auquel il faut ajouter les tensions dues à la position sur le procés catalan, où « Anticapitalistas » a été plus proche de l’indépendantisme ; ajouter aussi les processus électoraux à Madrid, où la famille politique de Urbàn et Rodriguez a convergé avec la « Gauche Unie (IU) » dans « Madrid en Pie » (Madrid debout) pour les élections à la municipalité de Madrid. Par la suite, l’alliance « Madrid en Pie » fit de même avec Podemos pour les élections à la Communauté madrilène. C’est-à-dire que, de facto, « Anticapitalistas » a opéré déjà comme un espace politique en dehors de Podemos dans la Communauté madrilène.

Et c’est la dérive par laquelle on en est arrivé à ce mercredi, où Iglesias et Rodriguez ont annoncé une séparation à l’amiable où, celle qui était jusqu’ici leader de Podemos Andalucìa, renonce à se présenter à la réélection en mai. Dans cette séparation, le rôle de Urbàn a été clef, pour que la sortie ne soit pas trop brutale.

La date de l’Assemblée andalouse a également fait l’objet de polémique, dans la mesure ou la convocation de la troisième Assemblée Citoyenne à Madrid pour le troisième week-end de mars 2020 a altéré le calendrier andalou, contre la volonté de Rodriguez, dont l’équipe en est arrivée il y a quelques semaines à accuser la direction « d’ingérence ».

« Nous n’allons pas nous présenter, c’est une nouvelle équipe qui doit diriger le projet qui est en phase avec la direction au niveau de l’État » explique Teresa Rodrìguez dans la vidéo diffusée ce mercredi sur les réseaux sociaux avec Iglesias, tout en lui donnant l’accolade. « Nous prenons la décision de respecter le projet de « Adelante Andalucìa » : cet espace large de la gauche andalouse continue à être opportun et nécessaire », poursuit Rodrìguez sur un ton d’adieu : « Ceci ne signifie pas que nous n’allons plus nous rencontrer. Je souhaite bonne chance à Pablo, son équipe et à la direction andalouse ».

Le Conseil Citoyen qui a convoqué Vista Alegre III, qui se réalisera à Leganés (21-22 mars 2020), a également décidé que les autres processus régionaux, régionaux et locaux se tiendront plus tard. C’est-à-dire que Rodriguez a dû reporter de deux mois, au mois de mai, l’Assemblée citoyenne Andalouse qui avait été annoncée en novembre pour le mois de mars.

Désormais, la démission de Rodriguez et l’absence prévisible de « Anticapitalistes » à Vista Alegre III, font prévoir que « Anticapitalistas » finira par quitter Podemos le dernier week-end de mars.

« Je tiens à vous remercier d’avoir fait les choses de cette manière, quand un groupe n’est pas d’accord, c’est non seulement légitime mais logique que vous suiviez votre propre chemin » a dit Pablo Iglesias. « Cela n’a pas été habituel dans la gauche » a-t-il ajouté, juste un an après le départ par surprise de Iñigo Errejòn pour lancer un nouveau projet politique avec Manuela Carmena. « Ce n’est pas joli, ce n’est pas beau, mais entre nous qui défendons la justice sociale, il n’y a pas d’adieu, il y a un au-revoir, travaillant pour ce qui nous unit », affirme Iglesias : « Je suis sûr que nous nous verrons à nouveau. Ce n’est pas un adieu c’est un au-revoir ».

Six ans après avoir participé à son lancement, la famille trotskiste paraît être en train de faire ses bagages pour laisser Podemos. 

Traduction Jean Puyade, intertitres de la rédaction

  • 1. Section de l’État espagnol de la IVe Internationale.
  • 2. « Mover Ficha, convertir la indignaciòn en cambio polìtico » Prendre les choses en main, convertir l’indignation en changement politique
  • 3. « Izquierda Unida (IA)-(Gauche Unie) » est une coalition de partis de la gauche radicale dont la principale composante est le PC, formée en 1986.
  • 4. Le 15M désigne le mouvement des indignés par référence à l’occupation de la Place Madrilène de la Puerta del Sol le 15 mai 2011 par des centaines de milliers de manifestants.