Publié le Lundi 4 février 2019 à 11h32.

Au Venezuela, des luttes s’organisent face au gouvernement autoritaire de Maduro

Les VénézuélienEs subissent depuis des  années une crise économique sans    précédent. L’économie vénézuélienne, dépendante de la rente pétrolière, a subi de plein fouet la chute des cours du pétrole à l’été 2014. Cette crise a eu ses effets décuplés par la chute de la production pétrolière, de près de 3 millions de barils par jour, à l’été 2014, à moins de 1,2 million aujourd’hui. La monnaie s’est effondrée. Il fallait seulement 10 bolivars pour obtenir un dollar en 2012, à l’été 2018, il en fallait 5,9 millions. Cette perte totale de la valeur de la monnaie a des conséquences dramatiques pour la population. Les importations sont bloquées, les pénuries de produits de première nécessité, des aliments et des médicaments se multiplient, l’inflation s’envole (le FMI prévoit 1 370 000% pour cette année et 10 000 000% pour l’année prochaine) et les salaires ont perdu toute valeur. Le revenu minimum représente moins de 10% des besoins alimentaires d’un foyer. Des milliers de salariéEs quittent leur travail car il ne leur permet pas de survivre. Les VénézuélienEs ne parviennent plus à s’alimenter et se soigner dignement. 

 

Maduro, responsable d’une crise économique inédite

Le gouvernement est le principal responsable de cette situation. Pendant une décennie, il a permis que des multinationales et une nouvelle bourgeoisie créée par son lien avec le chavisme, la bourgeoisie bolivarienne ou « boli-bourgeoisie », s’enrichissent en détournant le système de change, en surfacturant des importations ou en demandant des dollars subventionnés pour des importations non réalisées. On estime le montant de ces malversations à plus de 500 milliards de dollars. 

Le 20 août, le gouvernement a mis en place une réforme monétaire qui lie la nouvelle monnaie, le Bolivar souverain, au « Pétro », une cryptomonnaie basée sur les ressources pétrolières du pays toujours davantage hypothéquées. Le salaire minimum a été augmenté de 3500% (28 euros du marché noir) mais le prix de l’essence est multiplié par des milliers de pourcents avec toutes les conséquences que cela signifie pour le coût des transports. Le patronat vénézuélien a eu le cynisme de se plaindre de l’augmentation des salaires malgré la promesse de Maduro d’en couvrir le coût pendant les trois prochains mois, pour empêcher la montée des prix. 

Cette réforme monétaire est pourtant une forte perte de pouvoir d’achat pour les salariés vénézuéliens. L’inflation poursuit sa spirale destructrice. En seulement trois mois, la valeur réelle du salaire minimum a été divisée par quatre. Cette augmentation du salaire minimum portait en elle une dérogation aux conventions collectives, à l’ensemble des primes et des prestations sociales ainsi qu’un écrasement de l’échelle des salaires. Ces nouvelles mesures ont déclenché des centaines de conflits salariaux localisés, les infirmières qui étaient déjà en grève depuis plusieurs mois mais aussi  les travailleurs des secteurs universitaires, de l’électricité, de l’administration publique sont en grève pour réclamer un salaire permettant des conditions de vie dignes. Selon l’Observatoire vénézuélien de la conflictualité sociale, il y a eu 400 protestations pour les droits au travail au cours du seul mois de septembre et 533 au mois d’octobre. Depuis le mois de mai, ce sont les principaux motifs de contestation. 

 

Des luttes s’organisent

Depuis le début des années Chávez (Chavez est devenu président en 1998), le mouvement syndical est divisé. D’abord, entre sociaux-démocrates qui ont soutenu les tentatives putschistes conservatrices en 2002 et ceux qui ont résisté résistait à ce coup d’État avorté. Puis entre des camarades qui ont défendu l’autonomie du mouvement syndical et les revendications économiques des travailleurs, et d’autres qui défendaient la subordination à l’égard du gouvernement. Pendant des années, entre ceux qui sont restés loyaux au gouvernement et ceux qui s’opposaient aux pratiques de plus en plus conservatrices de Chávez puis Maduro (arrivé à la présidence en 2013), les clivages se sont multipliés autour des positionnements politiques, désarticulant l’ensemble du mouvement syndical. 

Le 7 novembre 2018, pour la première fois depuis des années, tous les ses secteurs en lutte se sont regroupés dans l’Intersectoriel des travailleurs du Venezuela. Au-delà de l’affrontement mis en scène entre le gouvernement Maduro et l’opposition pro-patronale, ils se sont mis d’accord sur quelques revendications répondant aux intérêts urgents des travailleurs : un salaire égal au coût des besoins basiques d’un foyer, ajusté mensuellement, qui soit étendu aux retraitéEs, le rétablissement de l’échelle des salaires et des conventions collectives tel qu’elles étaient avant que le gouvernement ne les démantèle, la lutte contre la sous-traitance au travail, la défense des libertés démocratiques et la fin de la criminalisation des protestations, avec notamment la réintégration de la dirigeante syndicale du Métro de Caracas, Deillily Rodríguez, licenciée pour avoir simplement défendu l’intérêt des travailleurEs qui l’ont élue.       

 

Une dérive autoritaire qui s’amplifie

Le gouvernement Maduro connaît une dérive autoritaire de plus en plus prononcée. Le camp présidentiel a emporté les élections régionales d’octobre 2017, les municipales de décembre 2017 et la présidentielle de mai dernier, mais ces élections ont été organisées dans de telles conditions qu’on ne peut pas les considérer comme démocratiques : les dates de scrutin sont manipulés par le gouvernement au gré des opportunités électorales, de nombreuses candidatures (y compris de gauche) sont invalidées… Dans de telles conditions, l’opposition se divise entre tenants d’une négociation de n’importe quel espace de pouvoir avec l’exécutif, et les putschistes qui boycottent les scrutins et tentent de délégitimer l’exécutif en s’associant aux États-Unis et aux gouvernements conservateurs latino-américains regroupés dans le « Groupe de Lima ».  

L’attentat avorté au drone explosif contre Nicolás Maduro, le 4 août 2018, marque un nouveau raidissement du gouvernement. Ce dernier a arrêté plusieurs opposants, dont un conseiller municipal d’opposition Fernando Albán qui est mort brutalement alors qu’il était interrogé par la police. « Un suicide » selon le gouvernement ; « un assassinat » répondent les opposants. Au-delà de ce cas polémique, les organisations de défense des droits de l’homme estiment qu’il existe entre 200 et 300 prisonniers politiques, avec un turnover au gré des libérations et des arrestations massives. De nombreux cas de torture ont été signalés. Même si l’on ne partage pas les combats de la plupart de ces opposants politiques, ces pratiques de répression doivent être condamnées avec la plus grande fermeté et rapprochent encore un peu plus le gouvernement Maduro d’un gouvernement autoritaire classique, à mille lieux des idéaux d’émancipation qu’il prétend incarner. 

 

L’impérialisme, en embuscade, aggrave les problèmes

Les États-Unis accentuent encore davantage ces difficultés. Depuis un an, le gouvernement Trump interdit à tout citoyen et toute entreprise étatsunienne d’acheter des bons de la dette souveraine de Venezuela, asphyxiant encore un peu plus un État qui souffre d’une dette de 150 milliards de dollars, actuellement en défaut partiel de paiement. Le 8 septembre, le New York Times révélait que Washington a discuté avec un secteur des forces armées vénézuéliennes la possibilité de renverser de Nicolás Maduro. Néanmoins, l’idée a été rejetée à cause du manque du sérieux des militaires vénézuéliens. Donald Trump lui-même a plusieurs fois évoqué la possibilité d’une « intervention militaire » au Venezuela, même si aucun exercice militaire ne rend cette menace crédible pour l’heure. 

Les pays conservateurs de la région, y compris les plus liés à l’impérialisme étatsunien comme la Colombie, sont défavorables à une intervention militaire, sachant les conséquences que cela pourrait avoir pour leur propre pays. 

 

3 millions de réfugiés

Victimes d’une situation économique invivable, les VénézuélienEs fuient le pays, créant une crise migratoire de magnitude inconnue dans le continent. Selon l’ONU, 3 millions de personnes (environ 10% de la population) ont déjà quitté le pays vers les États voisins en général et la Colombie en particulier. Le 18 août, des BrésilienEs ont attaqué des VénézuélienEs à la frontière. Partout, en Amérique latine, les réactions xénophobes se multiplient à l’égard des VénézuélienEs. Certains États, comme le Pérou et le Chili, et des pays supposément progressistes, comme l’Équateur, restreignent de plus en plus l’accès des VénézuélienEs à leur territoire, commençant à les condamner à passer par des voies illégales comme en Europe. Face aux heurts entre migrantEs et une partie xénophobe de la population locale, Michel Temer, alors président du Brésil, a déployé l’Armée à la frontière. L’arrivée au pouvoir au Brésil du dirigeant d’extrême droite Jair Bolsonaro, qui pointe le Venezuela comme la source de tous les maux, aggrave encore davantage cette configuration et promet de nouveaux durcissements pour l’accès des VénézuélienEs à ce territoire. 

 

Avec les Vénézuéliens, contre toute instrumentalisation

Au-delà de l’extrême droite brésilienne, le Venezuela est instrumentalisé par les libéraux et réactionnaires du monde entier dans des visées maccarthystes de politique intérieure. De Macron à Trump, de la droite espagnole à Le Pen, tous versent des larmes de crocodile sur la défense de la démocratie vénézuélienne, en s’affichant parfois avec les leaders de l’opposition vénézuélienne. Ces derniers sont pourtant les héritiers politiques du coup d’État d’avril 2002 contre Hugo Chávez. L’indignation des élites occidentales relève d’une hypocrisie abjecte, tous soutiennent des dictateurs nettement plus répressifs, du maréchal Sissi en Égypte au prince héritier saoudien, tous mettent en œuvre ou promettent de mettre en œuvre des solutions plus autoritaires dans leurs propres pays, mais ne manquent pas d’instrumentaliser le Venezuela dans leur politique intérieure contre la gauche radicale, contre un socialisme qui pourtant, on l’a vu, n’existe pas au Venezuela.    

Face à tous ces ennemis, les VénézuélienEs peuvent compter, à l’intérieur du pays, sur les militants indépendantEs du gouvernement et de l’opposition patronale et, à l’extérieur, sur la population solidaire de leurs souffrances, contre toute ingérence impérialiste.

Pedro Huarcaya