Publié le Mercredi 6 juin 2018 à 11h08.

État espagnol : après Rajoy, un nouveau gouvernement, des défis anciens

La victoire de la motion de censure présentée par Pedro Sánchez le 1er juin et l’éviction de Mariano Rajoy sont de bonne nouvelles, qui ont été reçues comme telles par la majorité de la société espagnole. S’ouvre une nouvelle phase politique, pleine d’inconnues, et sans grandes illusions au sujet du gouvernement qui va se former dans les jours à venir. Mais, au moins, la période d’attaques brutales contre les droits et les libertés fondamentales pourrait commencer à se clore. Une contribution de Jaime Pastor, éditeur de Viento Sur et militant d’Anticapitalistas

Le 24 mai, la décision de la Cour nationale relative au scandale de corruption connu sous le nom de Gürtel était finalement rendue. Une sentence dévastatrice, qui ne laissait planer aucun doute quant aux agissements criminels du Parti populaire et à la responsabilité personnelle de Mariano Rajoy en tant que président du parti. Dès lors, la décision de Pedro Sánchez de présenter une motion de censure est apparue comme une initiative qui avait peu de chance de succès mais qui était le minimum pour répondre à la demande démocratique exigeant de se débarrasser d’un gouvernement dirigé par le parti le plus corrompu d’Europe. Et finalement, dans un climat d’incertitude quant à la démission, ou non, de Rajoy, le PNV (Parti nationaliste basque) a fait pencher la balance du bon côté en votant en faveur de la motion, en échange d’un respect des budgets austéritaires déjà votés et de la non-convocation d’élections anticipées. 

Un programme modeste

L’ébauche de programme présentée par Pedro Sánchez se concentre jusqu’à présent sur des mesures modestes mais urgentes, contre lesquelles le gouvernement du PP avait mis son veto, comme celles concernant la loi bâillon [la ley Mordaza] (restrictions sur la liberté d’expression et de manifestation), la santé universelle ou la garantie de l’indépendance de la RTVE [radiotélévision espagnole], ainsi que les questions d’environnement ou d’égalité salariale entre hommes et femmes. Toutefois, les annonces de « sauvetage social » ne semblent guère compatibles avec l’engagement à se conformer aux budgets austéritaires, sous la pression d’une Union européenne qui exige une réduction du déficit avec 9 milliards de coupes supplémentaires. 

En ce qui concerne les dispositions de Sánchez à dialoguer avec les indépendantistes catalans, on peut supposer que des mesures symboliques seront prises (comme, à moyen terme, le rapprochement des personnes incarcérées), qui permettraient une certaine baisse des tensions, mais on peut difficilement envisager une déjudiciarisation du conflit et la fin de l’ingérence économique du gouvernement central dans les dépenses de la Generalitat.

S’ajoute à cela le fait que ce gouvernement sera sous la pression des lobbys patronaux et subira l’hostilité du PP, de Ciudadanos et des grands médias, y compris en cas de gestes d’apaisement vis-à-vis de l’indépendantisme catalan. On assistera donc rapidement avec une offensive à laquelle le nouveau gouvernement pourra difficilement résister. 

Construire un bloc alternatif

C’est pourquoi nous ne pensons pas que, pour faire face à ce bloc réactionnaire, la meilleure solution soit de proposer notre participation à ce gouvernement, comme l’a déjà fait hâtivement Pablo Iglesias. Au contraire : à Anticapitalistas, nous soutenons qu’Unidos Podemos devrait s’affirmer comme la force politique qui, au Parlement et en lien avec les mouvements sociaux, est disposée, dans la mesure du possible, à des accords avec le PSOE, mais sans rejoindre son gouvernement. Sa tâche devrait toutefois être surtout de travailler à construire un front alternatif déterminé, capable non seulement de répondre aux attaques de la droite mais également de pousser Pedro Sanchez à aller au-delà de mesures modérées de relance, sociales-libérales.

Telle serait la tactique la plus adéquate, car nous ne sommes pas seulement confrontés à la nécessité d’en finir avec l’ère du PP corrompu, ni face à une simple crise de représentation politique. Nous sommes confrontés à une triple crise, institutionnelle, socio-économique et nationale-territoriale qui, malgré le reflux de ces derniers temps et le blocage de la situation en Catalogne, maintient ouverte la crise de régime, duquel le PSOE a été un pilier fondamental. C’est pourquoi nous ne pouvons nous limiter à chercher un nouveau consensus (en idéalisant de nouveau celui de la Transition), mais nous situer dans la perspective d’une régénération du régime, en maintenant l’horizon de la rupture constitutionnelle, qui était à l’origine de la fondation de Podemos.

Jaime Pastor, traduction JS.