Publié le Jeudi 12 décembre 2019 à 10h37.

Grande-Bretagne : quels sont les enjeux de l’élection générale ?

L’élection générale du 12 décembre en Grande-Bretagne sera la plus importante depuis 40 ans. En 1979, Margaret Thatcher devenait Première ministre, introduisant des politiques néolibérales avec une vague de privatisations et le démantèlement de l’État-­providence. Malgré les luttes héroïques des années 1980, en particulier la grève des mineurs qui a duré un an, les défaites du mouvement syndical ont eu un effet durable. Cela a été particulièrement évident avec le changement politique au sein du Parti travailliste, Tony Blair devenant chef du parti puis Premier ministre pendant dix ans, jusqu’en 2007.

Les effets de la crise de 2008

Le blairisme était une continuation du néolibéralisme avec ses privatisations, ses partenariats public-privé et son alliance avec les États-Unis, qui a conduit la Grande-Bretagne à se joindre à l’invasion désastreuse et impopulaire de l’Irak en 2003.

Les ondes de choc de la crise économique de 2008, suivie par l’austérité, et celles de la victoire inattendue du Brexit au référendum de 2016, font maintenant voler en éclats toutes les certitudes politiques habituelles.

La crise économique de 2008 a eu pour conséquence l’effondrement du blairisme et l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste en 2015. Il s’agissait d’un retour à un programme réformiste de gauche qui, dans la conjoncture actuelle, constitue une rupture radicale avec le néolibéralisme. Son élection a entraîné un afflux massif de membres, portant le Parti travailliste à plus de 500 000 membres, dont les deux tiers ont élu deux fois Corbyn à la tête du parti. Ces nouveaux membres sont jeunes et appuient Jeremy Corbyn et ses politiques, résumées dans le titre du manifeste pour l’élection générale de 2017 : « For the Many - Not the Few ».

Le référendum sur le Brexit

Le référendum de 2016 a ouvert les portes au racisme et au nationalisme. Ceux qui ont fait campagne pour le Brexit, comme Boris Johnson et Michael Gove du Parti conservateur et Nigel Farage du parti UKIP/Brexit, ont avancé des thèmes similaires à ceux de Trump : reprendre le « contrôle » de Bruxelles, fermer les frontières, rendre la Grande-Bretagne de nouveau « grande ». En outre, le Brexit proposé était un approfondissement du néolibéralisme avec un assouplissement accru de la réglementation du travail et de l’environnement. C’est pourquoi des sections de la gauche radicale, y compris Socialist Resistance, ont appelé a voter contre le Brexit lors de ce référendum, sans aucune illusion dans l’Union européenne. La position du Parti travailliste était en faveur de « Rester et réformer ». Cependant, une grande part de la gauche radicale, issue d’une tradition marxiste, comme le Parti communiste, le Socialist Workers Party et le Socialist Party (ex-Militant) ont appelé à voter pour un Brexit de gauche. La campagne officielle en faveur du Remain était faible, suggérant que l’UE était progressiste et minimisait ses aspects néolibéraux. Elle n’a pas vu le danger venir. La faible victoire du Brexit avec 52 % reflète les profondes divisions qui règnent dans le pays. Toutes les grandes villes, à l’exception de trois d’entre elles, ainsi que l’Irlande du Nord et l’Écosse, ont voté pour le Remain. Ce sont aussi les jeunes et les minorités ethniques qui ont voté massivement contre le Brexit.

Depuis le référendum de 2016, la montée de la droite dure au sein du Parti conservateur et du parti d’extrême droite Brexit (anciennement UKIP) dirigé par Nigel Farage a été implacable. Le parti Brexit est arrivé premier, avec 30,5 % des voix, aux élections européennes de 2019, devant les Libéraux-Démocrates, les Travaillistes, les Verts, poussant les Conservateurs à la cinquième place avec un peu moins de 9 % des voix.

L’ascension de Boris Johnson

Le manifeste radical de Corbyn, ainsi que sa promesse de ne jamais lancer une frappe nucléaire, ont mis en colère la classe dirigeante et la droite, y compris dans le Parti travailliste. Néanmoins, ses propositions sont populaires et ont vu le Parti travailliste augmenter sa part du vote aux élections générales de 2017, et être en mesure, avec d’autres partis d’opposition, d’empêcher le gouvernement Conservateur de poursuivre un Brexit dur ou sans accord. Cela a conduit Theresa May à démissionner de son poste de Première ministre en juillet 2019 et Boris Johnson à devenir chef du Parti conservateur et Premier ministre. 

Boris Johnson, qui avait fait campagne pour le Brexit lors du référendum de 2016, est à la droite du Parti conservateur et est enclin à faire des commentaires racistes. Il s’est opposé aux accords de Theresa May pour le Brexit, arguant qu’ils faisaient trop de concessions à l’Union européenne. Il a entraîné le Parti conservateur plus à droite, en faisant des concessions au parti d’extrême droite Brexit, avec des politiques concernant les migrantEs et la sécurité, et en envisageant la possibilité d’un Brexit sans accord. Il a exclu du Parti conservateur 21 députés qui avaient voté contre l’accord qu’il avait négocié après avoir été élu Premier ministre. Bon nombre de ceux qui ont été exclus du Parti conservateur, ainsi que l’ancien Premier ministre John Major, appellent maintenant à voter tactiquement afin d’empêcher une majorité conservatrice de livrer un Brexit dur ou sans accord.

Campagne polarisée

Le Brexit et l’austérité sont les lignes de démarcation profondes de cette élection générale, qui est la plus polarisée depuis plus d’une génération. Boris Johnson fait valoir qu’il veut « faire le Brexit » sans écarter la possibilité d’un Brexit sans accord à la fin de la période de transition de 2020, maintenir les impôts à un bas niveau, introduire des contrôles plus sévères de l’immigration, et maintenir un cap néolibéral. Il a dû faire une concession en déclarant qu’il protégerait le NHS, service national de santé. La campagne des Conservateurs a été remarquée pour son manque d’annonces politiques et s’est concentrée sur les attaques contre le Labour et Corbyn en particulier. Ils se sont présentés comme ceux qui se mettent au côté du peuple contre le Parlement et les élites londoniennes qui veulent faire échouer la décision du référendum de 2016.

Le Parti travailliste a maintenant pris la décision d’organiser un autre référendum, avec la possibilité de rester dans l’Union européenne, s’il forme un gouvernement. C’est la seule façon démocratique de résoudre cette crise, maintenant que les conséquences d’un Brexit des Conservateurs sont claires. Mais la campagne électorale des Travaillistes va bien au-delà de la simple résolution du Brexit. Le manifeste de cette année, « Il est temps de changer les choses », est plus radical que celui de l’élection générale de 2017. Il offre une vision d’un autre type de société après 10 ans d’austérité : augmenter les impôts sur les entreprises et les riches pour payer la reconstruction des services publics, en particulier l’éducation, la santé et le logement, remettre en propriété publique les chemins de fer, l’eau et autres services, un New Deal vert, augmenter le salaire minimum, supprimer les contrats sans heures et rétablir les droits syndicaux. 

Poussée à gauche

Personne ne croit sérieusement que le prochain gouvernement travailliste prévoit une attaque majeure contre le capitalisme britannique. John ­McDonnell, le porte-parole des finances pour les Travaillistes, présente les arguments en faveur des dépenses d’infrastructures et de recherche comme étant bons pour les affaires. Les hausses d’impôt proposées pour les plus riches sont très modestes, et inférieures à ce qu’elles étaient avant 2010. Le Parti travailliste cherche à obtenir l’appui des travailleurEs du secteur public qui ont subi une décennie de réductions salariales, des travailleurEs du secteur privé qui ont des contrats à temps zéro ou qui sont obligés de travailler à leur compte, des parents qui voient que les écoles de leurs enfants manquent de personnel et s’effondrent, et de tous ceux qui doivent utiliser un hôpital ou dont un parent âgé nécessite des soins. Il s’agit d’un programme qui rompt radicalement avec l’austérité, donne l’espoir d’une amélioration majeure de la vie pour de nombreuses personnes et offre la possibilité d’en demander davantage.  

Quel que soit le résultat des élections du 12 décembre, Corbyn et le nouveau manifeste du Parti travailliste ont radicalisé et mobilisé un grand nombre de personnes, en particulier les moins de 35 ans, qui participent activement à la campagne électorale. Un mouvement social de gauche a été créé, qui ne disparaîtra pas. Les récentes grandes manifestations et les grèves d’écoliers contre le changement climatique vont s’intensifier, puisque le prochain sommet sur le climat de la COP aura lieu à Glasgow en décembre 2020. Et la campagne pour l’indépendance de l’Écosse se poursuivra puisque le Scottish ­National Party est sur la bonne voie pour remporter la plupart des sièges au nord de la frontière avec l’Angleterre.

Fred Leplat, membre de Socialist Resistance.