Publié le Mardi 26 février 2013 à 10h54.

GRÈCE : Les plans d’austérité continuent, les résistances aussi

Par Yanis Kastanos

Alors qu’un troisième plan d’austérité vient d’être voté, le peuple grec continue de résister. Avec un handicap. Les luttes restent isolées, sans perspective de centralisation. Leur coordination devient un enjeu, auquel le parti Syriza tarde à répondre.

Un nouveau plan de rigueur a été adopté le 7 novembre dernier par le parlement grec. Ce mémorandum 3 – le troisième en trois ans ! – conditionne le versement d’une nouvelle tranche d’« aide » de 34,4 milliards d’euros par la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI), dont la majeure partie doit servir à recapitaliser les banques grecques. Il prévoit notamment de nouvelles baisses des pensions de retraite, des salaires du secteur public, des prestations sociales et des dépenses de santé, et repousse de 65 à 67 ans l’âge légal de départ à la retraite.

Il a été adopté sur fond d’une nouvelle hausse de la pauvreté, du chômage (26 % en septembre dernier, contre 18,9 % un an plus tôt, soit 1 295 203 chômeurs) et de la popularité de l’organisation d’extrême droite fasciste, l’Aube Dorée, passée troisième force politique dans tous les derniers sondages. 

Un quatrième mémorandum pourrait voir le jour dans les mois à venir, tant l’objectif affiché officiellement de ramener la dette du pays à 120 % du PIB en 2020, contre environ 190 % actuellement, est jugé irréaliste par ceux-là même qui l’ont imposé, à savoir la Troïka. En effet, lors de la réunion des ministres des Finances à Bruxelles, le 12 novembre dernier, la Troïka a livré un rapport qui confirme que la Grèce a besoin de deux ans de plus pour atteindre cet objectif et que ce délai supplémentaire entraîne un besoin financier de 32,6 milliards d’euros. 

Face à cette attaque sans précédent par sa durée et sa profondeur, les résistances ne manquent pas. Les grèves et les manifestations qui ont éclaté contre le nouveau plan de rigueur dévoilent une détermination et une colère populaires intactes, malgré l’incapacité du mouvement à stopper l’attaque de ce qu’on appelle en Grèce « les deux Troïkas » : celle de l’extérieur… et celle de l’intérieur, à savoir le gouvernement actuel composé de la Nouvelle Démocratie (la droite classique), du Pasok (le parti socialiste) et de la Dimar (Gauche démocratique, ancien courant droitier du parti de gauche Syriza). 

 

Des gouvernements impopulaires

C’est le troisième gouvernement que la Grèce connait depuis trois ans et le début des cures d’austérité. Le premier était celui du Pasok. Les deux suivants sont le produit d’une alliance entre la Nouvelle Démocratie et le Pasok, les deux partis dominants jusqu’à très récemment (environ 83 % des voix à eux deux jusqu’en 2009, contre 43 % seulement en juin dernier), assistés d’abord par le parti d’extrême droite populiste Laos (dans le gouvernement intérimaire de Papadémos) puis par la Dimar aujourd’hui. 

Malgré l’effondrement du bipartisme, ces gouvernements ont atteint leur objectif principal : faire payer la crise aux travailleurs. Le dernier plan d’austérité a été massivement voté par les députés du Pasok et de la Dimar, et ceci malgré leur chute dans les sondages, la grogne parmi leurs députés – plusieurs d’entre eux ont voté contre et ont été immédiatement exclus – et le risque, bien réel, de disparaître du parlement en cas d’hypothétiques élections anticipées. A l’exemple du Laos, discrédité par son soutien au gouvernement de Papadémos, et chassé du parlement aux élections de juin. A l’évidence, la défense des intérêts de la bourgeoisie grecque pèse plus sur la ligne politique de ces partis, que les ambitions personnelles de leurs cadres.

Les élections de mai et juin 2012 ont montré un désaveu profond des partis qui ont mis en place les mémorandums : l’effondrement du bipartisme a été accompagné par l’explosion du score du parti de gauche Syriza (26,89 % en juin contre 4,6 % en 2009). Les élections successives, et la possibilité bien réelle de voir Syriza finir par les gagner, ont certes déstabilisé le système politique traditionnel et bouleversé, temporairement, le calendrier des reformes des deux Troïkas. Cela peut entretenir l’illusion que le gouvernement, fragile, serait prêt à s’effondrer. Une illusion que le président de Syriza, Alexis Tsipras, alimente lorsqu’il déclare sur la chaine privée ANT1, le 15 octobre, que « ce consortium tripartite est en train de s’effondrer, il va s’effondrer ». Or la croyance en une telle perspective ne facilite pas l’organisation d’une riposte coordonnée des travailleurs grecs sur le terrain qui compte le plus, celui des luttes. 

 

Le congrès de Syriza botte en touche

De la clarté dans l’analyse, les perspectives politiques et le programme économique : c’est ce que Syriza pourrait et devrait apporter, en tant que formation politique hostile aux plans d’austérité la plus écoutée actuellement. Pourtant, les textes adoptés par le récent congrès de Syriza, qui a eu lieu du 30 novembre au 2 décembre, prêtent à confusion. Les débats ont d’ailleurs également montré les interrogations d’une partie des militants sur la stratégie du parti à l’étape actuelle. Car si Syriza a représenté l’espoir, par un biais électoral, cette stratégie trouve aujourd’hui ses limites. 

D’abord, sur la question de savoir comment annuler les plans d’austérité, la réponse de Syriza reste principalement électorale. L’objectif principal fixé par le congrès pour la période à venir est de « créer les conditions d’un renversement démocratique du gouvernement actuel, grâce à une révolte générale et la tenue d’élections pour la constitution d’un nouveau gouvernement de Gauche, appuyé sur un large front populaire ». 

La notion de « révolte générale » reste volontairement très vague. Dans les mêmes textes, elle prend la forme d’un « puissant mouvement de masse ayant une optique anti-néolibérale et comme objectif l’extension et l’approfondissement de la solidarité sociale ». Le rôle principal d’un tel mouvement serait d’appuyer la politique du gouvernement issu des urnes et d’« exercer une pression créative sur le gouvernement ». 

 

Comment construire le rapport de forces ? 

Syriza appelle à l’engagement de ses militants dans tous les syndicats, afin de « reconstruire le mouvement syndical ». En réalité, sa politique sur ce terrain paraît encore superficielle. Il semblerait que le travail au sein de la Coordination des tendances syndicales du premier niveau – les structures de base –, regroupement créé en coopération avec d’autres forces dont Antarsya (coalition de la gauche anticapitaliste), n’a jamais été un axe d’intervention prioritaire de toute l’organisation, mais plutôt le résultat de l’action individuelle de quelques militants. Une opportunité ratée pour beaucoup de militants de se retrouver dans un cadre interprofessionnel qui pourrait contribuer à la coordination des luttes. 

L’organisation de la riposte nécessite aussi de fixer des priorités claires. Or Syriza place sur le même plan de priorité le travail syndical et la création de « réseaux de solidarité », qui se substitueraient à l’action sociale de l’État et auraient comme objectif de combattre la faim, de fournir à tout citoyen l’accès à la Sécurité sociale et finalement de faire face à la « catastrophe humanitaire ». Il est vrai que la pression exercée par la situation sociale en Grèce est énorme. Selon Eurostat, 3,4 millions de personnes (sur une population d’environ 11,3 millions) étaient menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale en 2011 et ce chiffre est aujourd’hui sûrement plus élevé. Mais orienter vers ce combat une bonne partie des forces de la coalition (quelques milliers de militants sur environ 30 000 adhérents, dont près de la moitié a intégré Syriza dans les six mois ayant précédé le congrès) ne risque-t-il pas de les détourner du travail d’organisation de la lutte de classe, contre les causes mêmes de cette catastrophe humanitaire ?

D’ailleurs, les textes votés par le congrès ne disent pas non plus clairement comment faire payer la crise aux « riches ». En ce qui concerne la dette, Syriza propose toujours sa renégociation en vue de l’annulation de sa majeure partie, mais promet aussi le remboursement d’une autre partie. Il promet aussi la « hausse progressive des salaires et des dépenses publiques au fur et à mesure de la hausse des recettes publiques », financée, entre autres, par une « baisse étudié des dépenses militaires » et la taxation des riches. Mais sans donner plus de détails. La taxation de la richissime église orthodoxe et des armateurs grecs est ainsi absente des textes. Il ne s’agit pourtant pas d’une question annexe, mais de savoir qui paiera la dette !

Enfin, la politique de Syriza reste également ambiguë sur le front de l’immigration et de la lutte contre les idées xénophobes, qui sont au cœur de la propagande des néonazis de l’Aube Dorée. Syriza propose l’abrogation du règlement Dublin II, qui stipule que l’État par lequel un immigré a fait son entrée dans l’Union européenne sera responsable de l’examen d’une demande d’asile. Pour Syriza, il faut fournir des papiers aux immigrés qui désirent chercher du travail ailleurs et ne considèrent la Grèce que comme une étape intermédiaire. Mais c’est accepter implicitement l’idée que le nombre d’immigrés en Grèce serait trop élevé et que l’immigration constituerait un problème. Le texte du congrès fait même une bizarre comparaison entre les « bons » immigrés et la criminalité, en exigeant simultanément un « juste traitement pour ceux qui travaillent et le démantèlement des réseaux criminels ».

 

Une « Plateforme de gauche » au congrès 

Lors du congrès de Syriza, deux amendements ont été proposés par la liste « Plateforme de gauche », qui rassemble la tendance de gauche de Synaspismos (Coalition de la gauche, des mouvements et de l’écologie, scission du KKE, le parti communiste grec), la moitié de Kokkino (Rouge, trotskyste), ainsi que les organisations DEA (Gauche ouvrière internationaliste, trotskyste), APO (Groupe politique anticapitaliste, scission de Kokkino) et KEDA (Mouvement pour l’unité et l’action de la gauche, autre scission du KKE). Le premier amendement mettait l’accent sur la nécessité d’une action commune avec toutes les forces de gauche, y compris le KKE et Antarsya, et de discuter avec elles de la construction d’un front « de gauche, large et radical ». Il excluait toute coalition gouvernementale avec les forces du centre gauche ou de la droite. Le deuxième amendement stipulait qu’un gouvernement de gauche devrait, en cas d’échec des négociations, annuler unilatéralement la dette, que l’on ne peut pas réformer l’Union européenne mais seulement la renverser et qu’il faut refuser le maintien dans la zone euro à tout prix. Il faut rappeler qu’à l’inverse Alexis Tsipras a récemment déclaré sur la chaine ANT1 que « sortir de l’euro serait une catastrophe pour la Grèce ». 

Ces deux amendements ont été rejetés. Mais ils ont rencontré un succès qui dépasse largement les forces constitutives de cette « Plateforme de gauche ». Le vote a dû d’ailleurs se répéter pour le deuxième amendement, car le résultat du premier vote n’était pas certain. La liste a finalement obtenu 25,71 % des voix, sur un total des 2 827 délégués. Il y a donc un nombre non négligeable de militants, au sein de Syriza, qui estiment nécessaire l’action commune avec les militants des autres organisations communistes. Ils défendent ainsi une perspective moins centrée sur les élections, car cherchant à construire avec d’autres forces la mobilisation sociale.

 

La colère populaire reste intacte 

Or, la résignation ne l’a toujours pas emporté, malgré les difficultés. L’adoption du mémorandum 3 n’a pas fait taire les résistances. Et la stratégie des directions syndicales se répète à l’identique : appel à la grève générale, c’est-à-dire interprofessionnelle, le jour du vote du plan d’austérité ou le jour précédent. A chaque fois, ces journées – vingt-cinq depuis 2010 – ont été bien suivies. Ainsi, la manifestation du 7 novembre 2012 a rassemblé entre 

45 000 et 70 000 manifestants à Athènes. Selon les centrales syndicales du privé et du public, la GSEE et Adedy, le nombre de grévistes était supérieur à 90 % dans des secteurs comme les transports, les banques, le commerce, les ports, la poste et les hôpitaux.

Cependant, les centrales syndicales se cantonnent à un rôle de pression sur les députés, pour qu’ils ne votent pas les plans de rigueur. Et chaque fois, le lendemain du vote, les travailleurs doivent revenir au travail pour ceux qui en ont un, ou là où ils se battent de manière isolée contre la mise en pratique des mémorandums. Ils sont ainsi renvoyés à des résistances locales et isolées, dont la portée est moindre et la victoire incertaine. 

En novembre néanmoins, malgré le vote du mémorandum, les travailleurs du secteur public (mairies, impôts, hôpitaux, ministères, justice) ont continué leur mobilisation. Ainsi, les salariés des mairies et des municipalités se mobilisent contre le licenciement annoncé de tous les travailleurs avec contrat de droit privé et pour empêcher la communication des listes des fonctionnaires susceptibles d’être « mis en réserve ». Un euphémisme pour masquer le licenciement annoncé de 2 000 travailleurs d’ici fin 2012 et des 25 000 prévus pour 2013. La mobilisation touche tous les coins du pays et prend des formes diverses et variées : occupations de mairies, manifestations, débrayages et journées de grève. La centrale syndicale du public, Adedy, a fini par annoncer une grève dans tout le secteur public le 19 décembre. Les cheminots continueront la grève le lendemain, contre la privatisation de l’entreprise et une nouvelle baisse de leur salaire.

Des mobilisations isolées touchent aussi le privé. Ainsi, les salariés de plusieurs journaux et stations radio et ceux d’Ikea se mobilisent contre de nouvelles coupes dans les salaires. Mais la centrale du privé, la GSEE, a refusé de se joindre à l’appel du 19 décembre et se contente d’appeler à un débrayage de trois heures, le jour de la grève dans le public.

Dans la situation que connaît la Grèce aujourd’hui, le rôle d’un parti qui veut offrir une autre perspective aux classes populaires grecques serait justement de rompre avec cette scission entre, d’une part, le champ politique soi-disant « pur » – en fait, un respect de la démocratie bourgeoise et des ses institutions – et, d’autre part, une action sur le terrain des luttes. Celles-ci ne devraient plus se limiter à faire pression sur les députés pour qu’ils ne votent pas des lois « injustes », mais remettre en cause leur pouvoir politique.