Paradoxe dominant en Grèce : alors que, depuis 10 ans, le capitalisme s’est appuyé sur les institutions européennes pour étrangler le pays, et alors que ces élections devraient donc être l’occasion d’un bilan rigoureux et d’une large mobilisation populaire pour appeler à la construction d’une Europe rouge et verte anticapitaliste, sociale et internationaliste, le début de campagne donne lieu avant tout à des lieux communs, sans remise en question de fond, hormis quelques voix à gauche, bien minoritaires dans les sondages.
Pourquoi si peu d’intérêt pour la question européenne ?
La raison principale vient peut-être précisément du fait qu’il y a eu défaite, et qu’au-delà de la victoire de la bourgeoisie locale, les vainqueurs, c’était cette Europe, qui paraît invincible, tout au moins sur le terrain des élections, de la légalité institutionnelle, de sa démocratie se traduisant en véritable dictature contre le peuple grec ! De plus, en mai, on votera le même jour pour les municipales, les régionales et le Parlement européen : les municipales pourraient avoir plus d’intérêt pour l’électorat populaire, d’autant que, depuis quelques mois, le débat politique se tend, PASOK (sociaux-démocrates) et droite contre Syriza. Les questions européennes risquent donc de n’être qu’une toile de fond pour traiter la situation nationale. Ainsi, pour Syriza, l’aspect européen joue dans ses calculs d’élargissement du parti, avec l’appel de (presque) tous les dirigeants de Syriza aux « progressistes », en particulier à des cadres du PASOK, à former une « Alliance progressiste » pour les élections.
Les cadres de Syriza le justifient en déclarant constater un effort de la social-démocratie européenne pour se rapprocher de la gauche radicale, effort que Syriza tient à favoriser, les dirigeants socialistes européens se répandant en louanges sur la politique de Tsipras ! Du coup, la campagne européenne de Syriza se fera sur le thème du pôle progressiste – ouvert aux « centristes de progrès » – (sic) face au pôle réactionnaire. Gagnant-gagnant pour les appareils : Syriza tente de reconstruire une majorité électorale et la social-démocratie européenne se refait une santé en prenant l’exemple du sage Alexis, qui a obéi aux institutions tout en allégeant un tout petit peu la situation (salaire minimum augmenté de 11 %, de 27 % pour les jeunes dont le « salaire jeune » est aboli).
Or, non seulement les institutions européennes sont responsables de l’actuelle misère sociale, mais elles continuent leur œuvre : la Grèce vend des biens nationaux à des entreprises européennes et elle est sous contrôle permanent jusqu’en… 2060. On vient d’entendre le refrain à l’occasion de l’obtention d’une somme d’1 milliard, le président de l’Eurogroupe Centano, approuvé par le commissaire Moscovici, rappelant que dans un an, les maisons des (nombreux) endettés insolvables pourront être vendues sans obstacle !
Quelle campagne ?
Une campagne 100 % à gauche devrait comporter des axes de mobilisation d’urgence :
▸ non-paiement de la dette, augmentation immédiate des salaires et des retraites (le salaire minimum, même augmenté, est de… 546 euros) ;
▸ des moyens pour l’éducation, la santé ;
▸ ouverture des frontières et libre circulation des migrantEs (des rassemblements de migrantEs tentant de rejoindre et de passer la frontière nord viennent d’être réprimés) ; lutte unitaire contre le racisme ;
▸ contre la réaction, contre les fascistes : non seulement les assassins de Chryssi Avgi (Aube dorée) sont toujours libres – et agressent – mais la droite a adopté son cours ; l’unité antifasciste est indispensable ;
▸ contre le nationalisme – hystérie par rapport à la reconnaissance de la Macédoine du Nord, avec rassemblements mêlant la droite et les nazis, mais vus par le KKE (PC) et LAE (Unité Populaire) comme des manifestations de « patriotes » –, pour la solidarité internationale ;
Si on lit les programmes ou les déclarations, ces axes se retrouvent à Antarsya comme à LAE – et dans une moindre mesure au KKE (Parti communiste) qui met comme préalable de former un gouvernement… du KKE –, mais la volonté de « rupture anticapitaliste » avec l’UE, c’est pour retrouver l’indépendance nationale, surtout chez LAE, en quittant la zone euro, ce qui n’effraierait pas forcément le patronat grec et qui n’est surtout pas crédible comme programme d’émancipation, même minime !
La défaite des luttes des années 2011-2015 et les restructurations sociales imposées depuis pèsent lourd, y compris pour les organisations de gauche : le mouvement syndical unifié risque la scission et les différentes forces militantes se donnent surtout comme but de se renforcer les unes aux dépens des autres. Même Antarsya n’est pas sûre de pouvoir se présenter unie aux élections européennes, vu les divisions sérieuses entre ses principales composantes. Ainsi, aux municipales sur Athènes il y aura deux listes de cette formation… Pour la gauche grecque, il y a urgence à éviter les replis sectaires et à œuvrer à des réponses internationalistes !
À Athènes, A. Sartzekis