Publié le Mardi 9 septembre 2014 à 10h11.

L’« Etat islamique », un visage de la barbarie moderne

En quelques mois seulement, l’« Etat islamique » est passé du statut de groupe djihadiste en concurrence avec d’autres à celui de monstre presque invincible. En fait, il n’est pas sorti du néant ou d’un lointain passé, mais constitue une des incarnations de la barbarie moderne, dans une région ravagée par des régimes corrompus et clientélistes et les interventions impérialistes.

Cet été au Proche-Orient, se sont poursuivies l’agression contre Gaza et les incursions israéliennes en Cisjordanie. Tandis qu’en Egypte, le régime d’El Sissi, tout en continuant à réprimer les Frères musulmans, s’attaquait aux travailleurs en grève et à la fraction de la gauche qui persiste à juste titre à refuser de soutenir ce nouveau Moubarak, en Syrie, pour sa part, Assad réprimait toujours impitoyablement son opposition. Tous ces évènements se sont produits avec la complicité (Palestine, Egypte) ou la passivité (Syrie) des impérialismes américain et européens. Par contre, l’agitation des mêmes impérialismes a été beaucoup plus importante  à la suite de l’expansion du territoire contrôlé par les djihadistes irakiens  et la proclamation de l’« Etat islamique » (EI).

 

Complaisances des Etats du Golfe et de Assad

L’organisation djihadiste, issue d’Al Qaida, qui s’est baptisée Etat islamique en Irak et au Levant, dominait déjà des portions de territoire en Syrie et en Irak. Le 10 juin dernier, elle a pris le contrôle de Mossoul, deuxième ville d’Irak, puis a avancé vers Bagdad. Le 29 juin, l’organisation a changé de nom (pour un simple « Etat islamique », EI) et un « califat » a été proclamé à Mossoul. Le « calife », Abou Bakr al-Baghdadi, contrôle désormais une région à cheval entre l’Irak et la Syrie. L’expansion de l’EI vers Bagdad au sud et l’Etat autonome kurde au nord a entraîné l’intervention occidentale : bombardements américains, livraisons d’armes, présence de « conseillers » militaires au sol.

Les estimations des forces de l’Etat islamique sont incertaines mais très vraisemblablement, elles ne dépassaient pas 20 000 combattants à la mi-août, ce qui est modeste comparé aux 250 000 soldats de l’armée irakienne régulière. Mais les membres de l’EI sont motivés et ont été renforcés par des officiers issus de l’armée de Saddam Hussein, tandis que l’armée irakienne a du mal à recruter et que ses unités sont souvent mal entraînées et encadrées. Au début de son aventure, l’organisation aurait reçu des fonds provenant d’Arable saoudite et du Qatar. Il est certain qu’elle a bénéficié à certains moments de la bienveillance du régime syrien afin de renforcer les islamistes au détriment des groupes laïques. Enfin, ses combattants se sont appuyés sur des tribus sunnites, lassées des politiques sectaires du premier ministre irakien chiite, Nouri al-Maliki, depuis chassé du pouvoir.

 

Un régime de servitude s’il se stabilise

L’EI n’est pas le cadavre ressuscité des guerriers des premiers temps de l’Islam. Il est profondément ancré dans notre temps et dans ses tourments. Il fait un usage très maîtrisé d’internet.  Il est apparemment capable d’écouler du pétrole venant du territoire qu’il contrôle. L’Etat islamique n’est pas un véritable Etat mais selon certains analystes (ce point est contesté),  il se soucie de gérer les territoires qu’il contrôle : services publics de base (hôpitaux, police, ramassage des ordures...) mais aussi banques et prélèvement d’impôts. Lors de son premier discours après la conquête de Mossoul, le calife autoproclamé a appelé « les scientifiques, les savants, les prédicateurs, les juges, les docteurs, les ingénieurs et les personnes ayant de l’expertise militaire ou administrative » à rejoindre le territoire sous contrôle du groupe. 

Cette « modernité » est mise au service d’un projet totalement réactionnaire. Le porte-parole du « calife » a déclaré qu’il est du « devoir » de tous les musulmans de lui prêter allégeance : « Musulmans (...) rejetez la démocratie, la laïcité, le nationalisme et les autres ordures de l’Occident. » Toutes les manifestations publiques, considérées comme contraires à l’islam, sont interdites. Les femmes ne peuvent sortir que vêtues d’un niqab et accompagnées d’un membre de leur famille. Dans le nord de l’Irak, chrétiens, Yézidis et autres minorités sont victimes d’exactions et de meurtres. 

L’EI est l’ennemi mortel des femmes, du mouvement ouvrier et de toutes les forces progressistes de la région. La stabilisation de son emprise territoriale signifierait la servitude pour les populations concernées. Des Syriens en révolte contre Assad en ont déjà fait l’expérience. L’Etat islamique s’ajoute aux divers ennemis des peuples de la région. Même dans un contexte où les initiatives impérialistes se déploient, aucune complaisance à son égard n’est de mise.

 

Henri Wilno