Publié le Vendredi 10 janvier 2020 à 15h54.

La rébellion de Hong Kong a besoin de notre soutien

Sept mois après son déclenchement, le mouvement pour la défense et l’extension des droits démocratiques à Hong Kong se poursuit. 

Celui-ci a connu des hauts et des bas avec notamment des manifestations gigantesques début juin, puis le 18 août ; une radicalisation rapide de la jeune génération ; une grève générale réussie le 5 août ; une croissance exponentielle de la répression avec des centaines de blesséEs, ainsi que des viols.

Répression massive 

Refusant de céder, tout en voulant éviter les inconvénients liés à une intervention directe de l’armée chinoise, le pouvoir a mis en route un rouleau compresseur répressif combinant notamment : l’interdiction systématique des manifestations ; le recours à la législation d’urgence héritée des britanniques ; l’arrestation en six mois de 6 022 personnes, dont 956 vivent maintenant dans la hantise de longues années de prison ; une répression intense des manifestations, s’appuyant notamment sur des « canons à eau » fabriqués à Saint-Nazaire projetant un liquide indélébile et toxique ; le licenciement de salariéEs ayant participé à des grèves ou des manifestations, ou simplement accusés d’avoir montré de la sympathie envers le mouvement.

En novembre, le mouvement était dans l’impasse. Le risque était réel que l’aile la plus radicale se retrouve isolée. La calamiteuse fin de l’occupation des universités donne une idée d’un des scenarii possibles.

Mais l’opposition de masse à la politique liberticide du pouvoir est demeurée intacte. Depuis cet été beaucoup de salarié.es rejoignent les syndicats et ou en créent de nouveaux. Le 24 novembre, l’opposition a remporté 80 % des sièges aux élections locales, qui sont les seules basées sur le suffrage universel. Depuis ces élections, un coup d’arrêt a été mis à la descente aux enfers. Certaines manifestations, ont été autorisées comme le 1er, puis le 8 décembre. La première a regroupé 380 000 personnes, et la seconde 800 000.

À l’heure où ces lignes sont écrites (fin décembre 2019), il est encore trop tôt pour dire si cette stabilisation de la ligne de front débouchera sur une contre-offensive dans la durée. Le développement de la solidarité internationale pourrait y contribuer utilement.

Dominique Lerouge

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Questions à Au Loong Yu, militant anticapitaliste hongkongais. 

Pourquoi défendre l’autonomie de Hong Kong, et sur quelle base ?

Le capitalisme ultra-libéral en vigueur à Hong Kong est très défavorable aux salariéEs, mais simultanément, le texte servant de Constitution prévoit la protection des droits humains fondamentaux, ce qui rend notamment possible la croissance d’un mouvement social. 

Le capitalisme de Chine est pire que celui de Hong Kong, car il ne tolère aucun mouvement social ni aucune opposition. Nous devons lier la défense de l’autonomie de Hong Kong à l’élargissement des droits et libertés, et en particulier ceux des salariéEs.

Quelle attitude avoir face aux tensions actuelles entre la Chine et les USA ?

Aucun des deux ne mérite notre soutien. Leur lutte pour la domination mondiale n’est pas notre bataille. Toute rupture immédiate de leurs liens économiques est improbable, à moins que l’un deux soit prêt à supporter le coût de la crise économique qui en résulterait. 

Le statut particulier de Hong Kong visait à parvenir à un compromis historique entre la Chine, le Royaume-Uni, mais aussi tacitement avec les États-Unis, en échange non seulement du rétablissement de la souveraineté de la Chine sur Hong Kong, mais aussi de la pleine intégration de Pékin au capitalisme mondial.

Nous ne devons faire aucune confiance aux grandes puissances occidentales. Soutenir de façon acritique la récente loi adoptée par les États-Unis [en soutien aux manifestants pro-démocratie à Hong Kong] n’est pas acceptable car elle lie les droits humains à Hong Kong à la politique étrangère des États-Unis. 

N’existe-t-il pas un risque d’être accusé de participer à une « intervention étrangère » ?

Ceux qui le font devraient regarder du côté des centaines de policiers blancs de Hong Kong qui sont détenteurs de passeports étrangers. Le texte servant de Constitution garantit en effet que des ressortissantEs étrangers peuvent être engagés comme fonctionnaires ou consultantEs du gouvernement. Il prévoit aussi le maintien de l’usage de l’anglais comme langue officielle, la persistance du système juridique britannique de la Common law, la nomination de juges étrangers dans les tribunaux de Hong Kong, l’octroi de passeports britanniques à des HongkongaisEs, etc. 

Ne risque-t-on pas de se retrouver au côté de courants de droite xénophobes ?

Un courant qualifié de « localiste » est apparu il y a 10 ans. Il était très hétérogène mais, très vite, c’est l’aile droite qui l’a dominé. Il était en fait plus « nativiste » que « localiste », tenant des discours haineux envers le syndicat étudiant, les mouvements sociaux, l’ensemble de la population du continent chinois, et en particulier les immigrantEs accusés de venir voler les prestations sociales existant à Hong Kong. 

Ce courant a été rapidement discrédité. Battu lors des élections de 2016, il a ensuite été marginalisé. De très petites organisations nativistes ont subsisté, mais elles sont si petites qu’elles n’ont aucune capacité de faire prévaloir leurs idées.

Lorsque le mouvement actuel a pris de l’ampleur, des millions de citoyenEs ordinaires y ont pris part. Parmi elles et eux, des centaines de milliers de jeunes faisant leurs premiers pas en politique et n’ayant de lien avec aucun parti politique existant. Le discours nativiste s’est alors beaucoup dilué, même si des jeunes utilisent une partie du langage et des icônes nativistes. 

Le 7 juillet, 230 000 personnes se sont rendues à la gare de trains à grande vitesse pour saluer les visiteurs et visiteuses venus du continent, et tenter de les appeler à soutenir le mouvement. De toute évidence, l’avis des nativistes n’a pas été suivi par ces manifestantEs !

Des jeunes radicaux, totalement inexpérimentés en politique, font des erreurs, par exemple en croyant que Trump les sauvera, ou parfois en adoptant de façon insensée des slogans xénophobes. La gauche ne doit pas se mettre sur le côté de la route et se contenter de critiquer. Elle doit au contraire participer au mouvement, et se tenir au côté des progressistes pour lutter contre les tendances nativistes. 

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La faiblesse du soutien d’une grande partie de la gauche internationale

La méfiance de la gauche américaine et occidentale à l’égard de ce mouvement laisse perplexe nombre de militantEs de la gauche hongkongaise. Jusqu’à présent, nous avons laissé le terrain libre à des anticommunistes étatsuniens qui se sont exprimés avec force sur Hong Kong.

La gauche de Hong Kong, des anarchistes et militantEs du mouvement social, aux sociaux-démocrates, est profondément impliquée. Et la raison en est simple : le Parti communiste chinois est à la tête d’une forme ethno-nationaliste de capitalisme d’État dictatorial. Après la rétrocession de 1997, le PCC a décidé de s’allier aux magnats de la ville en leur permettant de continuer à s’enrichir à Hong Kong, ainsi qu’en leur accordant un accès privilégié au continent en échange de leur allégeance politique.

En Chine même, les salariéEs, les paysanEs et les minorités ethniques ont été durement traitées lorsqu’ils et elles ont tenté de défendre ou d’améliorer leurs droits. Des étudiantEs marxistes sont kidnappés, portés disparus ou emprisonnés.

Pratiquement touTEs les militantEs de gauche à Hong Kong ayant essayé d’intervenir en Chine n’ont pas pu continuer à cause de la répression. Cela explique pourquoi la gauche hongkongaise a été très activement impliquée dans des mouvements pour préserver ce qui reste des libertés civiques de Hong Kong. Et cela depuis au moins 2003. Si la gauche hongkongaise est fondamentalement unanime dans son soutien au mouvement en cours, pourquoi celle des États-Unis a-t-elle vacillé ? 

Il est certes troublant de voir des manifestantEs brandir le drapeau américain et remercier le Républicain Marco Rubio sur Twitter. Il est possible de se demander s’ils et elles croient vraiment que les États-Unis sont un exemple moral. Mais faire appel à Trump pour qu’il soutienne un mouvement en faveur de la démocratie, même pour des raisons purement utilitaires, est au mieux une mauvaise stratégie.  

Pourquoi devrions-nous laisser les pires éléments d’un mouvement massif et incroyablement diversifié prétendre représenter l’ensemble de celui-ci ? Devrions-nous refuser notre soutien au mouvement syndical américain parce que certains dirigeants syndicaux sont ouvertement nationalistes et xénophobes ?

Les aspirations fondamentales du mouvement sont l’opposition à la violence policière, la préservation de l’autonomie du système juridique envers celui de la République populaire de Chine, et le renforcement de la démocratie. Si des revendications similaires étaient formulées aux États-Unis, nous les appuierions. CertainEs peuvent avancer que la démocratie électorale et un ordre juridique bourgeois ne seront guère bénéfiques à la classe ouvrière. C’est peut-être le cas. Mais un capitalisme où les citoyenEs ont le droit de débattre et de s’organiser politiquement est de loin meilleur qu’un capitalisme où vous pouvez être rayés de la carte pour des activités similaires.

Je pense qu’un autre facteur, non déclaré, joue dans la réticence d’une partie de la gauche, à savoir que ce mouvement ne s’emboite pas très bien dans les récits hérités du passé. 

Nous savons intuitivement comment réagir quand il y a un coup d’État militaire en Amérique latine.

Il ne fait aucun doute que la gauche réagira aux atrocités israéliennes la prochaine fois qu’elle bombardera Gaza. Mais lorsqu’il s’agit d’anciens sujets coloniaux britanniques, en moyenne relativement privilégiés par rapport aux normes mondiales, qui jettent des cocktails Molotov sur les représentants d’un régime se déclarant socialiste, beaucoup sont déroutés. Ajoutez quelques vidéos de manifestantEs vêtus de noir chantant l’hymne américain, et vous comprendrez pourquoi cela provoque des sentiments mélangés.

La Chine est un empire émergent, qui est d’une part pleinement incorporé dans les pratiques capitalistes fondamentales, mais qui d’autre part bouleverse l’ordre impérial euro-américain séculaire. Le déclin de cet ordre ancien ne va pas, en soi et de lui-même, conduire à une expansion de la liberté humaine.

La lutte de Hong Kong reflète ces changements structurels massifs. Celle-ci aura une influence profonde sur la manière dont la Chine, en plein essor, réagira aux mouvements pour l’autonomie et la démocratie ailleurs, dans sa périphérie et au-delà.

Nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir et exprimer notre solidarité avec nos camarades de Hong Kong, puisqu’ils et elles sont dans la lutte, avec ou sans nous. o

Elie Friedman (enseignant-chercheur au États-Unis, spécialiste du mouvement ouvrier chinois. Extraits d’un entretien accordé au site Jacobin).