Publié le Vendredi 16 décembre 2016 à 18h55.

Turquie : État d’urgence et union nationale

Samedi 10 décembre a eu lieu à Istanbul le 33e attentat à la bombe en un an et demi… Soit au total 446 morts, dont 363 civils…

Réalisés tantôt par Daesh tantôt par le TAK pro-kurde (comme samedi dernier), ces attentats que nous dénonçons sont bien une conséquence de la politique de guerre menée par l’AKP, à l’intérieur du pays et à l’extérieur (en Syrie).Ils n’ont d’autres effets que de consolider les dispositifs sécuritaires et de servir d’alibi à Erdogan pour accroître sa répression.

Dépourvu de soutien populaire et international et muni de forces extrêmement limitées, la tentative de coup d’État du 15 juillet dernier avait été défaite en quelques heures. Pour autant, elle fut l’occasion pour le président de la République Erdogan de réaliser son propre coup d’État civil à travers l’instauration de l’état d’urgence, de mener une vague de répression sans précédent contre toutes les forces d’opposition, et de consolider son régime dictatorial. Dans le cadre de l’état d’urgence qui sera probablement prolongé autant de fois que le régime le jugera nécessaire, Erdogan peut ainsi diriger le pays à sa guise à travers des décrets arbitraires.

La répression a tout d’abord visé les adeptes de la confrérie de Fethullah Gülen, suspecte d’avoir orchestré la tentative de putsch. Si cette dernière semble effectivement impliquée dans le coup d’État, d’autres forces au sein de l’armée ont très probablement aussi pris part à la conspiration pour finalement abandonner les gülenistes au dernier moment dans des conditions obscures, pour le moment, mais où des négociations avec Erdogan semblent avoir été décisives.

À qui profite la répression ?

Toutefois les purges, arrestations et fermetures de médias, entreprises et associations se sont rapidement élargies au mouvement kurde et à la gauche radicale.

50 000 personnes ont été placées en garde à vue et 35 000 arrêtées. Le nombre total de personnes exclues de la fonction publique s’élève à 70 000, et celles qui sont suspendus à 93 000. Parmi les milliers d’institutions, de fondations et d’établissements fermés, un millier sont des établissements scolaires, 35 sont des centres médicaux et hôpitaux. 15 universités privées et 19 syndicats ont aussi été fermés. Tous leurs capitaux, ressources financières, biens immobiliers ont été confisqués. La répression a aussi durement frappé les médias. Plus d’une centaine d’organes de médias ont été interdits. Des chaînes de télévision proches de la cause kurde et de l’extrême gauche en font partie. Le nombre de journalistes emprisonnés a dépassé les 140.

Alors que le HDP de gauche et pro-kurde a été d’emblée exclu de « l’union nationale » post-putsch et que le CHP républicain/centre-gauche s’est trouvé rapidement en dehors de celle-ci en critiquant les méthodes répressives utilisées par le gouvernement, le MHP d’extrême droite y a trouvé toute sa place... La tentative de coup d’État tombant en plein milieu d’une crise interne du MHP, son leader s’est emparé de l’occasion pour se soumettre à Erdogan et dénoncer son opposition, l’accusant d’être téléguidée par Gülen et faisant exclure ses rivaux. Aujourd’hui, le soutien du MHP, qui en retour obtient la promesse du rétablissement de la peine de mort, semble suffire pour faire passer au Parlement la proposition de référendum visant à instaurer un régime présidentiel confectionné sur mesure pour Erdogan qui veut anéantir le peu de séparation des pouvoirs qu'il reste.

D’Istanbul, Uraz Aydin