Le Secrétariat de la Gauche écosocialiste, membre de la France insoumise – NUPES, exprime ici son point de vue sur la situation et la construction d’un parti pour les exploitéEs et les oppriméEs.
Comme dans d’autres pays, il y a moins de 6 mois, la gauche française apparaissait bien mal en point.
Elle était confrontée à au moins cinq freins puissants :
• une influence culturelle des grands marqueurs qui font son identité en berne et une conscience de classe en recul,
• un discrédit politique lié aux expériences négatives du passé, notamment le hollandisme,
• une crise des idéologies antilibérales et anticapitalistes liée au caractère répulsif des expériences social-libérales et staliniennes,
• un recul du mouvement ouvrier organisé, notamment le mouvement syndical, et l’échec répété des luttes sociales globales,
• un grand éparpillement partidaire.
Ces éléments négatifs n’ont certes pas disparu comme par magie en deux élections, fussent-elles importantes, mais ce cycle électoral a ouvert de nouveaux possibles.
C’est la conséquence du score de Jean-Luc Mélenchon et de la décision, prise ensuite, de construire un rassemblement de la gauche et des écologistes, la NUPES, pour les législatives.
Ces excellents résultats dans le contexte ont été le produit d’une clarification politique à gauche. Confrontés à une offre politique éparpillée au premier tour de la Présidentielle, les électrices et les électeurs ont choisi de donner une large avance à la candidature porteuse d’un programme de rupture avec le libéralisme et le productivisme. Parmi eux, certains l’ont sans doute fait par « utilité » mais même pour ceux-là, le caractère radical du programme ne les a pas dissuadés, ce qui est une indication signifiante.
Il est désormais possible de refonder durablement un espace politique large, capable d’organiser la résistance face à la droite et à l’extrême droite et d’incarner une alternative crédible en termes de programme et de pouvoir.
On le doit à la campagne de Jean-Luc Mélenchon et à l’orientation déployée ensuite par La France insoumise, qui relève du sans-faute.
Quelques éléments du débat sur la stratégie
La situation politique actuelle est à la fois le reflet et le produit d’une crise politique majeure. Elle prend sa source dans le rejet massif du macronisme, qu’une Ve République à bout de souffle n’a cette fois pas pu protéger. Contrairement à ce qui s’est produit depuis l’inversion du calendrier électoral en 2002, les dernières législatives n’ont pas permis au Président élu d’obtenir une ample majorité à l’Assemblée Nationale. Macron et Borne sont sans majorité pour appliquer leur politique. S’ils ont bien compris le problème institutionnel auquel ils sont confrontés, ils pensent pouvoir s’en sortir à coups de manœuvres politiques, c’est-à-dire en cherchant à réunir des majorités autour de chaque projet de loi qu’ils comptent faire passer.
Mais, cyniques et imbus d’eux-mêmes, ce qu’ils sous-estiment, c’est la possible irruption sociale qui peut venir perturber leur petit jeu institutionnel. Une mobilisation massive et globale de la société du type de celles que nous avons connues sous le précédent quinquennat, la mobilisation des Gilets jaunes ou celle contre la réforme des retraites, peut cette fois précipiter une crise politique majeure, posant la question du pouvoir. Le macronisme ne dispose plus de la puissance politique qui était la sienne sous le précédent quinquennat pour espérer maîtriser la situation, faire le dos rond, réprimer, user de la démagogie des annonces sans effet réel. L’opposition parlementaire est beaucoup plus forte que dans le cycle 2017-2022 et peut constituer à la fois un centre d’initiative et une caisse de résonance institutionnelle pour les luttes. Quant à la majorité macroniste, elle est beaucoup trop étroite et dépendante de la solidarité politique de la droite et de l’extrême droite.
Une des tâches urgentes est donc de participer à la construction des luttes sociales et écologiques. Nous ne partons pas de rien. Des luttes se mènent actuellement, souvent couronnées de succès d’ailleurs, sur la question de l’augmentation des salaires. À la rentrée, la NUPES appelle à manifester sur la question du pouvoir d’achat et les organisations syndicales appellent touTEs les travailleurs/ses à la grève le 29 septembre. Il faut faire de toutes ces initiatives des succès et aider autant que possible à la convergence et à la globalisation du combat social et écologique.
La situation n’est pas révolutionnaire, nous le savons bien, mais nous savons que les luttes peuvent faire avancer la conscience plus vite que mille programmes. Nous touchons ici au fond du choix stratégique que doivent faire les anticapitalistes et les révolutionnaires. Il faut bien analyser ce qui se passe. Si, dans le contexte que nous avons précédent décrit, de telles possibilités se rouvrent, ce n’est pas le simple produit des luttes. C’est aussi celui du combat politique dans le cadre institutionnel. Il faut donc prendre au sérieux la conquête du pouvoir dans cette sphère, au moyen de campagnes électorales qui doivent être particulièrement soignées, construites dans l’objectif de gagner. Certes en gardant raison. C’est un fait, le passé a montré à de nombreuses reprises que des cadres aguerris de la gauche peuvent individuellement et collectivement être pris par les logiques institutionnelles et renoncer à la rupture dont ils étaient préalablement porteurs.
Il n’existe aucune garantie absolue contre les possibles dérives bureaucratiques ou la droitisation politique. Pour les parer, le meilleur moyen, c’est de construire un contrôle politique et de s’appuyer sur les mouvements sociaux, continuer à les construire à toutes les étapes du processus.
C’est la combinaison de ces deux éléments, dialectiquement liés, avoir un maximum d’élus à toutes les échelles territoriales et participer activement à la construction du mouvement social, qui est la clé de voute d’une stratégie révolutionnaire de notre temps.
Car, à moins d’être dans le déni, les anticapitalistes et les révolutionnaires connaissent le produit d’une orientation qui, par crainte des risques préalablement décrits, au nom du rejet du « piège de l’électoralisme » et du totem de « l’indépendance vis-à-vis des institutions » : la marginalité électorale et la marginalité tout court. On va d’élections en élections dans l’unique but de diffuser des idées, de faire connaître son parti, de recruter des nouveaux militants. Si ce choix n’est pas déshonorant, on ne peut pas en ignorer les limites.
Les anticapitalistes à la croisée des chemins
Le paysage politique global en France est structuré autour de trois blocs :
• un bloc libéral, de droite, dominé par le macronisme mais taraudé par Les Républicains qui, bien qu’en difficulté continuent à peser tout en ambitionnant se refaire une santé si le macronisme se délite,
• un bloc d’extrême droite dont la vitalité et la dangerosité se sont confirmées lors des législatives. Sans faire véritablement campagne, le RN a réussi à obtenir 90 députés en profitant lui aussi du rejet de Macron,
• un bloc de la gauche et des écologistes, la NUPES, qui constitue la première force d’opposition parlementaire et dont la progression par rapport à la législature précédente est forte.
Il ne faut évidemment pas oublier les abstentionnistes qui constituent un enjeu car ils se recrutent massivement dans la jeunesse et les classes populaires.
Nous sommes aujourd’hui dans une période d’intense bouleversement et de possible refondation et reconstruction à gauche. La dynamique militante qui s’est renforcée après la Présidentielle, le poids de la jeunesse en son sein, le poids des luttes féministes et antiracistes, le potentiel de luttes sociales, celles de la « génération climat » en sont des signes importants. Pourtant, bien des débats restent ouverts, bien des incertitudes et des fragilités demeurent, notamment le poids de l’extrême droite.
Nul ne peut aujourd’hui présumer de la durabilité de la NUPES. Le recul n’est pas assez important pour en juger. Cependant, ceux qui pensaient qu’il ne s’agissait que d’un simple accord électoral purement opportuniste en sont pour leurs frais. Deux éléments majeurs viennent le confirmer. Le premier, c’est la crise que suscite, au sein du PS et dans sa sphère d’influence classique, le coup de barre à gauche donné par la direction autour d’Olivier Faure et approuvé par une majorité de militantEs de cette organisation à cette heure mais virulemment combattu par une minorité assez importante. Le second, c’est le maintien d’une capacité d’expression unifiée de la NUPES visible dans les interventions complémentaires des groupes à l’Assemblée nationale, la capacité à organiser une campagne nationale commune sur le pouvoir d’achat à la rentrée et le maintien de structures NUPES dans toutes une série de localités et de départements.
La NUPES n’est pas un nouvel avatar de l’Union de la gauche. Certes, son programme paraît moins radical que le programme commun de gouvernement PCF/PS des années 70. Mais nous ne sommes pas dans la même période et quand on compare les 650 propositions de la NUPES et la politique menée lors du quinquennat de Hollande, on voit le chemin parcouru. Cela renvoie à une autre différence majeure avec la gauche plurielle version années 90 ou l’Union de la gauche version années 70, c’est le fait que cette fois, c’est l’aile la plus radicale qui domine l’arc unitaire. Cela fait son caractère inédit.
Pour notre part, nous voyons la NUPES comme un instrument indispensable dans la période, dans le sens où il faut le construire et le faire évoluer comme un bloc social et politique capable de s’opposer et de proposer des solutions aux crises sociales, écologiques, démocratiques majeures que nous affrontons.
La France insoumise est la force motrice de la NUPES. Elle porte une orientation radicale, antilibérale et anticapitaliste. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il faut prendre part dans sa construction, son renforcement.
Dès lors, pour les anticapitalistes révolutionnaires, deux choix sont possibles :
• Le premier, est de considérer que la NUPES et La France insoumise peuvent avoir leur utilité mais que ces regroupements ne sont pas assez radicaux, qu’il y a un risque de dilution – et donc à terme de disparition – du courant marxiste révolutionnaire en leur sein. Dans ce cas, il faut rester en dehors, tenir bon dans l’adversité, attendre et espérer des jours politiques meilleurs pour retrouver de la percussion. C’est le choix que fait avec constance et sérieux Lutte ouvrière par exemple. Mais c’est de notre point de vue un choix voué à l’échec et le chemin le plus rapide vers la disparition.
• Le second, c’est de considérer que, au-delà des limites programmatiques et organisationnelles que l’on peut souligner, il est utile de prendre part à leur construction car il en va de l’intérêt des jeunes et des classes populaires dans le contexte d’urgence climatique et sociale qu’il n’est pas utile de décrire ici.
C’est ce second choix que fait notre courant politique, la Gauche écosocialiste. De notre point de vue, il est possible de contribuer loyalement à la construction de La France insoumise et de prendre part aux tâches de développement et de consolidation de la NUPES. Cela peut se faire tout en préservant l’existence d’une formation politique indépendante.
Nous voulons en débattre avec le NPA, une organisation qui regroupe des militantes et des militants avec qui nous partageons bien des combats et avec qui nous voulons avoir des relations fraternelles.