Les élections européennes ont été lues, à juste titre, comme une défaite pour les forces politiques issues de la gauche. Le score de la France insoumise, inférieur à 7%, en est l’une des expressions les plus frappantes, qui n’a pas manqué de susciter discussions, débats, voire échanges de noms d’oiseaux, au sein du mouvement qui avait porté la candidature de Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle de 2017. Du « Big bang » porté par Clémentine Autain et Elsa Faucillon au « retour aux fondamentaux du populisme » défendu par certains membres de la garde rapprochée de Mélenchon, les idées, plus ou moins bonnes, fusent, mais l’essentiel des discussions se polarisent sur les prochaines échéances électorales, quand certainEs ne pensent pas déjà à la présidentielle de 2022. Autant dire que, même si toutes les discussions sont bonnes à prendre, a fortiori lorsqu’elles entendent transcender les clivages boutiquiers, les choses peuvent paraître mal engagées.
Car une chose est certaine : la construction du rapport de forces contre le patronat et ses zélés correspondants sur le champ politique et la reconstruction d’une perspective politique collective et émancipatrice ne pourront être le produit de discussions enfermées dans la vraie-fausse alternative « abandonner la référence à la gauche vs revenir à la vraie gauche ». Les grandes absentes des débats consécutifs au scrutin européen sont en effet les mobilisations sociales, au premier rang desquelles le mouvement des Gilets jaunes, qui a été tout à la fois le principal vecteur de la polarisation politique et sociale de ces derniers mois et un rendez-vous manqué pour les principales forces de la gauche sociale et politique. Une mobilisation inédite, qui a fait couler des sueurs froides à certains, du côté de l’Élysée et de Matignon, et qui marquera durablement la situation sociale et politique.
Le mouvement des Gilets jaunes, de par sa composition sociale, ses contradictions, ses formes d’action, sa radicalité, mais aussi son rapport au mouvement ouvrier traditionnel, est en effet annonciateur des explosions qui ne manqueront pas de survenir dans la prochaine période, a fortiori dans la mesure où Macron et Cie n’entendent pas lever le pied dans leur agenda antisocial et autoritaire. Imaginer, ne serait-ce qu’un instant, qu’il serait possible de deviser plus ou moins paisiblement entre représentantEs de divers courants de la gauche sociale et politique, sans tirer les leçons du mouvement des Gilets jaunes et sans se poser la question de la préparation collective des mobilisations et explosions à venir, serait une faute majeure. Pire encore, ce serait renforcer les tendances au décrochage entre les classes populaires et le mouvement ouvrier, chemin le plus court vers de nouvelles défaites sociales et politiques.
Toute discussion sur les perspectives sociales et politiques pour le camp des exploitéEs et des oppriméEs ne peut faire l’impasse sur cette coordonnée essentielle de la situation : si les mobilisations existent, y compris sous des formes inédites comme cela a été le cas avec le surgissement des Gilets jaunes, cela fait désormais de longues années que nous subissons des défaites. Celles-ci, comme la division entre les organisations du mouvement ouvrier et la destruction des acquis sociaux et démocratiques, alimentent le recul de la conscience de classe, perceptible y compris dans le mouvement des Gilets jaunes qui, malgré ses caractéristiques objectives, ne s’est pas pensé comme un mouvement du prolétariat.
Il est dès lors illusoire de penser qu’un rapport de forces moins défavorable pourrait être reconstruit contre le patronat et le gouvernement si l’on ne pose pas, en premier lieu, la question de la mise en mouvement, dans l’unité, de la classe pour obtenir les nécessaires victoires sociales. Ceux qui s’engagent dans des discussions polarisées par les prochaines échéances électorales, s’enferment dans une stratégie de double défaite, politique et sociale. Idem pour ceux qui se focalisent sur les réponses organisationnelles, oubliant que ce sont les mobilisations sociales victorieuses qui produisent des décantations/recompositions à gauche, et pas l’inverse.
Pour le NPA il s’agit donc de proposer une méthode alliant action et discussion. Pour gagner contre Macron, la solution n’est certainement pas la fabrication du bon programme et du bon meccano électoral pour 2022, mais la construction d’une riposte sociale unitaire et massive pour mettre un coup d’arrêt à ses politiques libérales-autoritaires. C’est à la lumière de ces discussions tournées vers l’action et de leurs vérifications pratiques que les confrontations de points de vue quant aux perspectives politiques peuvent s’appuyer sur un support ayant un minimum de solidité. Il ne s’agit pas d’opérer une dichotomie entre politique et social : c’est même tout le contraire ! Il s’agit de refuser cette séparation et de défendre une idée simple : l’explosivité sociale est bien là, en témoignent les mobilisations aux urgences et dans l’éducation, sans oublier les Gilets jaunes, et la priorité de toute la gauche sociale devrait être d’oeuvrer à la convertir en expériences de luttes collectives de masse victorieuses, seules à même d’éclaircir un horizon politique de plus en plus assombri.
Julien Salingue