Le Courant d’Ensemble ! Autogestion et émancipation s’exprime dans nos colonnes sur la situation et la question du parti. La longue séquence électorale qui vient de se clore débouche sur un changement politique majeur. Certes Macron obtient un second mandat, mais l’ampleur de l’abstention et le fait qu’il s’est agi plus d’un vote de rejet de son adversaire que de soutien à sa candidature diminuent grandement sa légitimité.
La crise globale et multidimensionnelle du capitalisme est toujours là : sociale et économique, accentuée par la pandémie du Covid et les effets de la guerre en Ukraine ; écolo-climatique, aggravée par l’accentuation de la menace climatique comme l’a confirmé le dernier rapport du GIEC ; démocratique, exprimée par la crise de la démocratie représentative et l’abstentionnisme jeune et populaire très élevé ; géostratégique enfin dans un monde multipolaire, chaotique, fait de rivalités inter-impérialistes maintenues et remettant en cause la domination pluriséculaire des pays riches sur la planète.
La crise sociale et économique renforce les phénomènes spéculatifs, l’aggravation des conditions de vie des populations et la menace de nouvelles régressions sociales et austéritaires programmées par les pouvoirs en place (retraites, chantage à la dette).
La crise écolo-climatique devient un enjeu brûlant avec l’incapacité des États à y apporter la moindre solution, ce qui est dénoncé dans les mobilisations, notamment par la jeunesse.
La crise géostratégique est alimentée par l’offensive de l’impérialisme russe en Ukraine, après d’autres agressions comme en Syrie, avec comme conséquences indirectes le renforcement de l’OTAN en Europe baltique et nordique, et les menaces de famine pour les populations d’Afrique du Nord et du Proche-Orient.
Globalement, le rapport de forces mondial reste largement défavorable aux dominéEs et aux oppriméEs, les menaces des États autoritaires voire fascisants demeurent fortes dans différentes régions du monde.
Le coup d’arrêt donné par la pandémie Covid au nouveau cycle de soulèvements populaires et d’amorces de processus révolutionnaires commencé en 2010/2011 n’a pas été surmonté. Cependant les changements au Chili et en Colombie plus récemment sont importants.
La confirmation d’une conscience écologique mondiale, comme l’existence d’une révolution féministe mondiale – qui suscite une réaction très inquiétante aux États-Unis – demeurent des éléments majeurs d’une situation certes dégradée, mais contradictoire et non dénuée de points d’appui pour une contre-offensive.
L’agression impérialiste russe en Ukraine est un événement majeur à l’échelle européenne et mondiale
Ses conséquences à terme ne sont pas toutes identifiables aujourd’hui. Cette agression s’inscrit dans une continuité de l’impérialisme russe (Tchétchénie, Géorgie, Syrie) et dans un contexte colonial contre une nation opprimée, ce qui explique pour une large part, après les révolutions démocratiques de 2004 puis de 2014 (Maidan), la force et l’enracinement populaire de la résistance ukrainienne. La guerre en Ukraine ne relève pas d’un conflit inter-impérialiste, contrairement à ce qui a pu se dire dans une partie de la gauche.
Cette fausse symétrie aboutit à inventer deux « belligérants », conduit à nier ou minimiser la réalité de l’agression russe et l’existence d’un agresseur et d’un agressé, et au final à refuser au peuple ukrainien l’exercice de son droit à l’autodétermination et à l’autodéfense.
La constitution du réseau européen de solidarité (RESU/ENSU) est un acquis majeur qui a permis à l’échelle européenne de coaliser diverses forces, d’exprimer clairement le soutien à la résistance armée et non-armée, à travers des initiatives de solidarité par le bas et la jonction avec les réseaux citoyens, associatifs, féministes et syndicaux en Ukraine. Les réseaux altermondialistes, des réseaux syndicaux, la commission internationale d’Ensemble ! et la IVe Internationale ont joué un rôle important dans l’impulsion de ce réseau.
La difficulté à élargir la solidarité avec la résistance ukrainienne est liée aux fractures à gauche, en France, en Europe, dans le monde. La résurgence d’un pacifisme intégral et de divers campismes aboutissant à abandonner le peuple ukrainien à son sort – comme ce fut le cas en Syrie en 2016 – est à la fois un symptôme de la crise du projet à gauche et un accélérateur de ces fractures.
Cette difficulté rencontrée est aussi alimentée par la complexité de l’articulation nécessaire entre notre soutien à une résistance armée d’une part et d’autre part notre refus maintenu de toute logique des blocs, de l’OTAN, de la militarisation des sociétés et des esprits à l’œuvre à travers la remilitarisation de nombreux États européens sans lien aucun avec le soutien à l’Ukraine. Dans le même sens, la poursuite par les Etats-Unis de leur propre agenda impérialiste obscurcit les enjeux et rend plus difficile l’élargissement de la solidarité.
La guerre en Ukraine est à la fois un révélateur et un amplificateur de la crise géostratégique. Elle pose également et indirectement plusieurs questions majeures : Quelle Europe voulons-nous ? De quelle architecture mondiale avons-nous besoin aujourd’hui ?
La première question renvoie au vide laissé par l’absence de prolongement donné au Forum social européen après les diverses éditions du FSE dans les années 2000. Jamais un tel espace de rencontres, de réflexions et d’élaborations alternatives à partir des luttes et des problèmes rencontrés n’a été aussi nécessaire. Comment reprendre l’initiative dans ce sens ?
La seconde question pose le problème de la nécessaire, mais impossible, refondation du fonctionnement de l’ONU et des réflexions amorcées dans le mouvement altermondialiste sur une nouvelle architecture mondiale pour la paix, la solidarité et le développement, dans une optique de démocratie active, de partage des richesses et d’alter-développement.
Là-aussi, comment reprendre l’initiative ?
Une nouvelle situation politique
Sur fond de luttes sociales (grèves, mobilisations) le plus souvent sectorielles et locales et de maintien des mobilisations féministes, une nouvelle situation politique est ouverte en France depuis la double séquence électorale : double échec macronien (une réélection par défaut et une incapacité à se donner une majorité absolue à l’assemblée), une nouvelle configuration électorale et parlementaire en trois blocs (un macronisme fragilisé, une poussée de type néofasciste – car c’est bien de cela qu’il s’agit et pas d’une simple poussée populiste , une forte opposition de gauche) : il en résulte une très grande instabilité générale.
La réussite de Mélenchon dans la dernière ligne droite du premier tour, particulièrement dans les quartiers populaires et dans la jeunesse, a permis la mise en place de la NUPES qui change la donne. Les discours sécuritaires, réactionnaires et racistes ont été éclipsés pendant quelques semaines par le retour des thématiques sociales et écolos portées par la gauche. Un espoir et une perspective ont été alimentées par la dynamique du rassemblement, malgré le caractère limité du programme de la NUPES, ses silences sur les questions internationales – et sur l’Ukraine en particulier ! – et en dépit de son caractère cartellisé à l’ancienne, sans démarche citoyenne permettant à des citoyenNEs sans appartenance politique de s’associer à un projet, et sa démarche de sommet impulsée par une force – l’UP – discutant séparément avec les autres.
L’enjeu est aujourd’hui de contribuer à faire de la NUPES autre chose qu’un simple cartel électoral sans lendemain et d’être à la hauteur des espoirs soulevés. Nous pouvons y contribuer, par l’existence ou le renforcement de vrais parlements départementaux pluralistes sur le plan politique et ouverts aux composantes associatives, citoyennes, féministes, antiracistes, écolos, altermondialistes, etc, et par la mise en place d’assemblées populaires citoyennes.
Celles-ci sont pour nous décisives car, à la différence de parlements basés sur la représentation et la délégation, ces assemblées ouvertes à toutes et tous relèvent d’une démarche de démocratie active et peuvent permettre de retrouver toutes celles et tous ceux qui ont participé à la dynamique NUPES et qui, dans leur grande majorité, ne sont membres d’aucune composante organisée. Et d’y accueillir bien d’autres, jusque-là pas impliquéEs, notamment dans les quartiers populaires.
Déjà, dans certains départements et dans plusieurs villes, de tels parlements et de telles assemblées sont en discussion ou se mettent en place.
Construire une gauche alternative
Mais pour contribuer à la pérennité et la réussite de la NUPES – qui ne saurait être réduite à l’activité de ses parlementaires et à une démarche institutionnelle – ET combiner participation à la NUPES et approche critique et radicale, nous devons nous constituer en une force rassemblée et plus large que les individus, groupes, courants ou forces organisées de ce que nous appelons « gauche alternative ».
Qu’entendons-nous par « gauche alternative » ? Il s’agit d’une sorte de diaspora, partie prenante des mobilisations citoyennes et des mouvements sociaux, aujourd’hui dispersée en une multitude de militantEs du mouvement associatif, féministe, écologiste, syndical, altermondialiste, antiraciste, et aussi de forces politiques telles qu’Ensemble ! ou le NPA – ou d’une partie de ces organisations, et d’autres peut-être comme le regroupement politique « Rejoignons-nous ».
Ce qui définit enfin cette « gauche alternative », c’est qu’elle est à la fois anticapitaliste et autogestionnaire (l’autogestion étant à la fois un but, un chemin – donc une stratégie – et un moyen en termes de pratiques), féministe et écologiste, antiraciste, internationaliste et altermondialiste.
C’est ce qui la distingue du reste de la gauche radicale ou d’une simple extrême gauche anticapitaliste.
Bien sûr, construire une telle force prendra du temps. Et nous proposons qu’elle ne reproduise pas les errements du passé, qu’elle renonce à toute prétention au parti-guide, autoritaire et vertical, qu’elle se construise par le bas, de manière ouverte, non autoritaire et pluraliste, et qu’elle fonctionne comme un mouvement et pas comme un parti.
Et c’est précisément parce qu’il faudra du temps que nous proposons de nous y atteler sans tarder.
Construire et regrouper une telle gauche alternative n’a rien de contradictoire avec la participation à la NUPES : il s’agit, pour nous, de deux tâches complémentaires et articulées, facilitant les objectifs de pérennisation et d’enracinement du rassemblement de la gauche et permettant à la gauche alternative de devenir une vraie force politique.
(Les intertitres sont de la rédaction)