Rarement un président et un gouvernement auront autant affiché leur proximité avec le « monde des affaires ».Après cinq années de sarcasmes et de polémiques, Nicolas Sarkozy a fini par bredouiller ses regrets : « si c’était à refaire, je ne repartirais pas, reviendrais pas dans ce restaurant puisque ça a été vraiment le feuilleton ». C’est sûr : maintenant que le « Président des riches »1 veut se transformer, le temps d’une campagne électorale, en « candidat du peuple », il a intérêt à faire oublier la réception du Fouquet’s, le soir de son élection, immédiatement suivie d’une semaine de détente sur le yacht de son ami richissime, Vincent Bolloré. Aujourd’hui, Sarkozy fait mine de regretter. Mais, le mois dernier, Christian Estrosi, pas encore au courant du revirement de la communication présidentielle, assumait complètement, sans rire et avec sa légendaire subtilité : « C’est indigne de reprocher au président de la République d’être allé dans une brasserie populaire des Champs-Élysées. Je vous pose la question : lequel d’entre vous n’y est pas allé ? »2. Assez éclairant sur la conception qu’ont les amis de Sarkozy du peuple et des loisirs populaires…En fait de brasserie populaire, le lieu de ces réjouissances était bien un établissement de luxe – le Fouquet’s – situé dans le quartier du luxe et du fric, les Champs-Élysées. Mais, naturellement, le plus important dans ce véritable acte fondateur de la présidence Sarkozy est moins le lieu que… la liste des invités. Un vrai régal pour marxistes rétro et sociologues spécialisés dans l’étude des classes dominantes ! Sans surprise, on y trouve un contingent de personnalités politiques représentatives d’une droite… bien à droite, quelques vedettes du sport et du show-biz ainsi qu’une pincée d’éditorialistes mercenaires. Mais, bien sûr, ce qui a retenu l’attention, c’est la présence massive du « monde des affaires ».
Ils sont venus, ils sont tous là ! Vincent Bolloré (groupe Bolloré), Martin Bouygues (groupe Bouygues), Bernard Arnault (LVMH), Serge Dassault (groupe Dassault), Antoine Bernheim (successivement Banque Lazard, Euromarché, Mediobanca, Generali), Albert Frère (successivement Groupe Lambert, Bertelsmann, Total, Suez, Lafargue), Jean-Claude Decaux (groupe Decaux), Paul Desmarais (Power Corporation), Stéphane Courbit (Endemol), Agnès Cromback (Tiffany France), Dominique Desseigne (groupe Barrière), Jean-Claude Darmon (foot business), Patrick Kron (Alstom), Henri Proglio (Veolia), …
Ces invités-là3 ne sont pas seulement riches, voire très riches. Nombre d’entre eux sont les PDG et/ou les actionnaires principaux des plus grands groupes français, ceux du CAC 40. Ce soir du 6 mai 2007, l’assemblée réunie au Fouquet’s ressemble… à un conseil d’administration. Elle est vraiment composée des représentants les plus « titrés » du grand patronat, de la haute bourgeoisie des affaires. Elle fête sans retenue ni pudeur la victoire de son champion. Elle n’a pas ménagé ses efforts et elle n’aura pas à le regretter ! Quelques semaines plus tard, dès août 2007, le gouvernement Sarkozy–Fillon fera adopter le « bouclier fiscal », première étape d’une longue série de cadeaux au patronat et aux privilégiés, dont ce dossier donne un aperçu. D’une manière particulièrement spectaculaire, pendant cinq ans, Sarkozy aura servi globalement les intérêts de la bourgeoisie et, plus particulièrement, ceux de ses amis milliardaires.
La majorité des pays capitalistes développés se sont dotés, parfois depuis plusieurs siècles, d’un système de démocratie représentative. L’une des fonctions essentielles – pas la seule, évidemment… – du « jeu démocratique » est alors d’y présenter les politiques mises en œuvre par l’état comme résultant de « l’intérêt général ». Alors qu’elles ne sont que l’expression de la domination de la bourgeoisie capitaliste sur la société. Et c’est cela, précisément, qu’il s’agit d’occulter.
En mai 2007, les premiers gestes de Nicolas Sarkozy – fraîchement élu et, à l’évidence, tellement content de l’être – ont montré le contraire : au lieu de jeter un voile sur les multiples liens personnels, de connivence et d’intérêts qui subordonnent la « classe politique » à la grande bourgeoisie, Sarkozy les a éclairés et mis en scène, avec ostentation. Cinq ans plus tard, présentons-lui l’addition !
François Coustal
1. On peut relire avec profit l’ouvrage des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot : Le président des riches, Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, Editions Zones. Tout est à nous !, La Revue n° 14 (octobre 2010) en avait publié des bonnes feuilles.2. Interview de Christian Estrosi sur RFI (Radio France International) le 10 janvier 2012. 3. Pour la liste complète des invités et leur curriculum vitae, se reporter à l’ouvrage La nuit du Fouquet’s, par Ariane Chemin et Judith Perrignon, Fayard.