Un an et demi après les Assises de la psychiatrie, présentées à l’époque par E. Macron comme un « moment historique », où en est aujourd’hui la psychiatrie ? L’Anticapitaliste a rencontré Delphine Glachant, psychiatre de service public, présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie (USP), syndicat de psychiatres du public et du privé dont la priorité est de défendre une certaine psychiatrie, respectueuse des droits des patients et de leur émancipation.
L’Anticapitaliste t’avait interviewée en octobre 2020 à l’occasion du 35e congrès de l’USP 1 dont tu es la présidente. Tu décrivais alors une « psychiatrie abandonnée », « une psychiatrie publique sacrifiée », la remise en cause de soins psychiques relevant d’une éthique humaniste, respectueux des personnes soignées. Dans quel sens ont évolué les choses au cours de ces deux dernières années ?
Les orientations fléchées par les pouvoirs publics sont encore plus déshumanisantes. Lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie en septembre 2021, le président Macron a prôné les innovations et notamment la « e-santé ». Depuis deux ans, les plateformes d’orientation et de soins psychiques se sont multipliées. Les interfaces informatiques sont parfois les seules modalités d’échanges. Des algorithmes peuvent simuler des interlocuteurs ! À l’image du monde tant aimé par le président, des start-up ont fleuri pour proposer cette offre de « soins ».
Parallèlement, le dispositif MonPsy, qui permet le remboursement par la Sécurité sociale de 8 séances auprès d’un psychologue privé, sur prescription médicale, s’est généralisé. Comment peut-on prétendre à des soins psychothérapiques en si peu de séances ? C’est juste un pansement sur une jambe de bois.
Ce temps court correspond parfaitement à ce qui se fait de plus en plus : une approche thérapeutique axée sur le symptôme et une rééducation, ou une remédiation cognitive, pour le faire disparaître, ceci en quelques séances. Le temps de la rencontre et de l’élaboration, souvent long, en individuel ou en équipe, a été amputé. Avec tout cela, le privé gagne du terrain, donc les inégalités d’accès aux soins se creusent. Nous sommes très loin de l’accueil dans les structures de soins de la psychiatrie de secteur.
En pédopsychiatrie, il y a eu quelques moyens supplémentaires accordés mais si peu ! Non seulement les services sont à l’os, et il est très difficile de poursuivre un travail d’équipe pluridisciplinaire, mais en plus les enfants et les adolescents vont très mal depuis le début de la crise du Covid-19. Il faudrait donc vraiment beaucoup plus de moyens humains. Sans compter que le secteur médico-social est la cible d’une destruction massive ces dernières années et les services sociaux de protection de l’enfance ne tiennent plus debout. La situation est dramatique pour les enfants. L’USP va d’ailleurs consacrer son congrès annuel en mars 2023 à Besançon à ce vaste sujet : « Attention : les enfants… ».
Face à cette situation, les mobilisations, même si elles existent, ne sont pas à la hauteur de l’attaque. La journée du 29 novembre dernier a eu un certain retentissement médiatique, mais la grève et les manifestations n’ont rencontré qu’un succès très relatif. Quelles en sont les raisons ?
Les professionnels sont plus que las. Ils et elles sont épuisés, beaucoup sont au bord du burn out et n’ont plus la force de se révolter. Beaucoup sont aussi très découragés par la surdité du gouvernement à nos cris d’alarme. Tel un bulldozer que rien n’arrête, le gouvernement pousse ses projets toujours plus loin dans la destruction de la psychiatrie publique. Il y a à mon avis une perte d’espoir d’un changement.
Certains s’évadent de cette situation en se recentrant sur l’activité clinique, dans le colloque singulier avec le patient, seule source de satisfaction. D’autres fuient pour travailler dans le privé. Le collectif est devenu difficile à faire vivre. Le travail d’équipe a été très attaqué ces dernières années par le New Public Management, c’est-à-dire par une verticalité accrue d’une hiérarchie administrative maltraitante.
Il me semble que nous traversons aussi une crise sociale et politique dans laquelle chacun se replie sur soi et ainsi se protège des difficultés extérieures.
Par ailleurs, la mobilisation du 29 novembre était à l’initiative des syndicats de psychiatres. L’USP a souhaité y associer l’ensemble des personnels travaillant en psychiatrie mais l’appel n’étant pas univoque, cela n’a pas facilité la mobilisation de tous. La défiance de bon nombre de personnels vis-à-vis des psychiatres existe bel et bien, à juste titre sans doute. On le sait, il y a eu des psychiatres pour participer au naufrage actuel de la psychiatrie.
Quelles sont aujourd’hui pour l’USP les perspectives ?
Nous ne cesserons de marteler que la politique de secteur est la seule organisation des soins qui garantisse un accès pour tous aux soins psychiques. Elle permet continuité et proximité des soins, deux principes essentiels pour soigner en psychiatrie. Elle permet à chacun, si elle est bien pensée, de s’émanciper et de retrouver une citoyenneté. Malheureusement cette psychiatrie de secteur, dont les bases ont été établies en 1960, n’a plus été que peu appliquée depuis le milieu des années 1980.
Actuellement, devant les manques criants de personnels médicaux et infirmiers, nous demandons à ce que des milliers de psychologues soient embauchés dans le public, aussi bien en ambulatoire qu’en hospitalisation. Pour cela il faut revaloriser les salaires, ce qui permettra aussi de faire revenir infirmiers, psychomotriciens, orthophonistes… Et la psychiatrie générale doit rester le pilier de l’organisation des soins. Il faut arrêter les surspécialisations, qui excluent des patients et cloisonnent.
Nous demandons aussi à ce que les formations soient revues, initiales et continues. Elles sont trop pauvres et bien souvent favorisent une seule approche théorique alors que le pluralisme doit être de mise.
Nous avons rendez-vous, avec les trois autres syndicats de psychiatres publics, avec le ministre de la Santé, François Braun, le 23 janvier. Nous comptons développer ce positionnement.
Nous faisons également partie de l’Interorganisations de la santé. Une mobilisation générale pour le service public de santé se prépare.
Par ailleurs, l’USP travaille avec le collectif Le Printemps de la psychiatrie 2. Nous continuons un travail de liaison avec les différents collectifs, nombreux, qui expriment chacun la colère et l’indignation des professionnels. Il n’y a qu’en s’alliant que nous arriverons à faire évoluer les choses. Malheureusement, nous savons le gouvernement peu sensible à nos arguments mais nous ne lâcherons pas.
Propos recueillis par J.C. Laumonier