Entretien. À l’hôpital Delafontaine, l’un des deux sites du centre hospitalier de Saint-Denis, quasiment l’ensemble des sages-femmes actuellement embauchées étaient présentes le 7 octobre lors de la manifestation à Paris mobilisant 6 000 sages-femmes sur les 24 000 que compte le pays. Grève illimitée, communiqués de presse, pétitions, mise sous pression des politiques… Habituées à courir contre la montre dans leur boulot, les sages-femmes de Delafontaine gardent le rythme dans leur mobilisation. Rencontre avec deux d’entre elles.
Pourquoi vous mobilisez-vous ?
Les sages-femmes sont en grève et font des manifestations depuis un an pour réclamer une meilleure reconnaissance. Les promotions d’étudiantEs sont aux deux tiers remplies. Le métier est stressant, avec énormément de responsabilités, et le salaire a très peu évolué : plus personne ne veut assumer ces responsabilités avec le salaire qui ne suit pas1. Depuis 10-15 ans, on a gagné en compétences, on peut s’occuper de suivis gynécologiques dès la puberté mais, dans le même temps, on voit la disparition de plein de petites maternités et la centralisation des soins sur de gros centres. On a un rythme de travail qui augmente fortement dans les gros centres qui ne voient pas forcément leur capacité d’accueil augmenter.
À Saint-Denis, plus de 4 000 accouchements par an sont réalisés. Des maternités qui en font 200 ou 300, ce n’est pas rentable. On assiste à la fuite des sages-femmes vers le libéral pour qu’elles puissent exercer comme elles l’entendent, on se retrouve avec moins de sages-femmes, plus de patientes et de pathologies à gérer avec le même temps. L’état de santé des femmes qui viennent accoucher évolue aussi. De plus en plus de femmes à Saint-Denis sont en obésité, ce qui entraîne des complications associées comme l’hypertension durant la grossesse, le diabète, des bébés un peu trop gros ou un peu trop petits. Toutes ces pathologies demandent énormément de temps de soin.
Glissements de tâches, covid, suppressions de postes ?
On est « poly-tâches », on va dire… Mais on a des glissements de tâches et on nous demande de faire notre travail, plus celui d’autres personnes. S’il manque des draps à l’hôpital, je n’ai pas de drap pour refaire le lit de ma patiente : je dois gérer le manque de draps. S’il manque des blouses, je n’ai pas de blouse pour lui remettre sur le dos quand je la reprépare après l’accouchement. Tout ça, c’est du temps à gérer le quotidien au lieu de prendre soin de mes patientes2. Dans ces gros centres, la sage-femme joue un rôle de coordination entre les différents intervenants : on doit s’occuper de tout ce qui est médico-légal, on doit tout expliquer aux patientes, ce qui est absolument normal, mais on doit tout écrire, faire signer des accords à chaque étape et ça ça nous prend énormément de temps par rapport aux années passées.
Ce qui nous a aussi pris beaucoup de temps aussi, c’est la période covid. On s’est occupées de patientes sous oxygène jusqu’à ce qu’elles relèvent de la réanimation : au début on pataugeait mais on a quand même appris un nouveau métier au fur et à mesure. Durant les pics épidémiques, les autres grossesses pathologiques étaient renvoyées vers d’autres centres, ce n’est plus le cas aujourd’hui et on doit gérer les personnes oxygéno-dépendantes en plus des pathologies habituelles. Et soigner une personne sous oxygène est très chronophage. Il faut refaire le point toutes les trois heures, il y a les questions d’habillage, déshabillage, de protection.
Et à Saint-Denis, fermeture et service minimum ?
À Saint-Denis, on a dû fermer 8 lits de grossesse à haut risque sur 283. Et je tiens à dire que c’est vraiment dû au manque de sages-femmes et ce n’est pas une question de vaccination car on nous pose la question. Dans l’équipe on était quasiment toutes vaccinées avant l’obligation vaccinale donc ce n’est pas du tout le débat. Sur une équipe de 90 sages-femmes nous sommes actuellement 65, alors la direction se recentre sur le service minimum : l’accouchement, les grossesses à hauts risques et les suites de couche. On a fermé les consultations d’échographies effectuées par les sages-femmes, les consultations d’acupuncture, les séances de préparation à la naissance. C’est extrêmement dommageable pour nos patientes et ce qui est dit « non essentiel » est en revanche essentiel pour un bon suivi de la grossesse pour que la patiente soit sereine. Si l’accouchement est mal préparé, que la patiente subit des contractions, subit des douleurs sans savoir les gérer, l’accouchement sera plus compliqué, et le lien mère-enfant peut être difficile à s’instaurer. Cela crée une augmentation des risques de dépression du post partum.
Localement, lors du premier week-end noir de grève des sages-femmes fin septembre, on a des collègues qui ont exigé d’avoir les assignations en main propre à leur domicile car elles n’avaient pas été données au préalable. La direction a dû se mobiliser pour envoyer des huissiers qui se sont déplacés aux domiciles… Et le mouvement de force a favorisé le dialogue. On a obtenu un retour de la DRH sur l’octroi des formations, une stagiairisation d’emblée pour toute nouvelle sage-femme embauchée si elle le souhaite (à la place de contrat en CDD) ; une prime locale transitoire compensant le sous-effectif massif est en cours de mise en place, et on nous a promis une meilleure fluidité au quotidien pour échanger avec l’encadrement pour qu’il entende nos difficultés.
- 1. Titulaire, une sage-femme commence à 1 680 euros net.
- 2. En 2017, dans le cadre de la suppression des contrat aidés par Macron tout juste élu, plusieurs dizaines de postes d’agentEs des services hospitaliers (ASH) ont été supprimés à l’échelle du Centre hospitalier tandis qu’était également imposé l’externalisation du bionettoyage dans de nombreux services. Les ASH étant celles et ceux qui assurent l’entretien des locaux et des chambres des patientEs, la distribution des repas, les courses à travers les locaux, parfois le transport des patientEs ou encore les commandes... de nombreuses tâches se sont répercutées sur les autres professions.
- 3. Outre ces huit lits fermés, depuis plusieurs semaines, le service de néonatalogie de l’hôpital n’a pas la capacité de prendre en charge de nombreux nouveau-nés prématurés ou ayant besoin de soins spécifiques en raison du manque d’infirmières. Une aile entière est fermée jusqu’au 30 novembre minimum. Si la mère ne peut pas être transférée dans une autre maternité avant la naissance, par manque de places par exemple, ce sont les bébés, une fois stabilisés, qui sont transférés.