Entretien. À l’occasion de la tenue du 35e congrès de l’Union syndicale de la psychiatrie, l’Anticapitaliste a rencontré Delphine Glachant, sa présidente.
L’USP vient de tenir son 35e congrès, peux-tu nous la présenter en quelques mots ?
L’Union syndicale de la psychiatrie est un syndicat de psychiatres dont l’objet premier est de défendre la psychiatrie plus que les psychiatres. Une psychiatrie basée sur des valeurs humanistes, sur le respect des droits du patient et son émancipation, une psychiatrie ouverte sur la cité, qui concerne tous les citoyenEs. La psychiatrie de secteur, qui permet proximité et continuité des soins, est essentielle. Nous nous intéressons à la dimension politique de notre discipline, particulièrement en ce moment où tout ce qui concerne le soin à l’humain est écrasé et soumis aux règles du néolibéralisme.
Le congrès avait pour titre « La psychiatrie d’après ». La psychiatrie se trouve aujourd’hui à un moment critique, quelles en sont les raisons ?
Cela fait des années qu’elle a été abandonnée, notamment par des budgets à la baisse depuis au moins 15 ans, inférieurs au reste de la médecine. La diminution du nombre de lits d’hospitalisation sans compensation de moyens pour faire de l’ambulatoire à la hauteur des enjeux ; la baisse des effectifs ; l’appauvrissement des formations, tant pour les psychiatres que pour les infirmierEs… Tout cela a conduit à une forte dégradation de la qualité des soins que l’on peut apporter aux personnes souffrant de troubles psychiatriques, voire à leur expulsion de la psychiatrie publique. Cela a amené à une psychiatrie de plus en plus normalisante et sécuritaire, où il ne s’agit plus que de traiter le symptôme sans en comprendre la cause et le sens, les patientEs et les soignantEs souffrent beaucoup de tout ça. Les professionnels quittent le service public…
Ces dernières années, on peut dire que les gouvernements successifs ont délibérément sacrifié la psychiatrie publique. Et d’une manière générale ont attaqué tout ce qui a trait aux sciences humaines, à l’éducation…
Les pratiques ont été nivelées vers une psychiatrie plus médicalisée, protocolisée, s’accompagnant du recul de la prise en compte de l’humain dans toute sa subjectivité, son historicité. Les choses sont en train de prendre une tournure inquiétante actuellement, avec une hégémonie donnée aux neurosciences.
Le gouvernement affirme avoir pris en compte les difficultés de la psychiatrie, et y apporter des réponses en termes de « gouvernance » et de financement, qu’en penses-tu ?
Depuis le début de l’année 2019 et la mission Flash sur la psychiatrie de Martine Wonner, le gouvernement a décidé qu’était prioritaire une réforme du financement de la psychiatrie pour transformer le champ de la santé mentale jugé en perdition. Des travaux ont été menés dans ce sens avec différents partenaires mais en écartant l’USP et ses propositions : prise en charge à 100 % par la sécurité sociale des frais de santé (sur la base des tarifs Sécu) et des dotations financières proportionnelles au nombre d’habitantEs sur le territoire, corrigées de données sociodémographiques (niveau de pauvreté, d’éducation, répartition des classes d’âge, présence d’autres services publics en place, notamment les transports…).
Jusqu’à présent la psychiatrie est financée par une dotation annuelle de fonctionnement, la tarification à l’activité étant réservée à la médecine/obstétrique/chirurgie. Dans la réforme à venir, applicable à partir de janvier 2021, 15 % de cette dotation va être liée à l’activité, privilégiant les entretiens d’orientation et de diagnostic et les prises en charge courtes. Nous allons devoir faire du rendement pour avoir des moyens. C’est le pied dans la porte pour imposer toujours plus d’activité dans le calcul des dotations, objectif clairement énoncé par le responsable de la « task force » du ministère qui travaille cette réforme.
D’autres aspects nous préoccupent, dont la conséquence sera de ne plus autoriser les prises en charge longues des patientEs les plus vulnérables, ce qui correspond à la majorité des patientEs suivis dans la psychiatrie publique actuellement.
Avec la fin annoncée de la politique de secteur, nous savons que le gouvernement organise la bascule du public vers le privé : toujours plus de consultations, de places en hôpital de jour, de services d’urgences, vont être donnés au privé, qui sera le grand gagnant de l’affaire avec toutes les conséquences qui s’en suivent en termes d’inégalités d’accès aux soins et de dégradation des prises en charge. Actuellement des unités de soins intra hospitalières ferment pour voir ouvrir, sur les terrains mêmes de l’hôpital ou de l’autre côté de la rue, des cliniques privées (Besançon, Amiens..)
Concernant la gouvernance, le « Ségur » n’apporte rien de significatif. Les médecins sont confirmés dans leur place de gestionnaires et managers ; les personnels non médicaux et les usagerEs n’obtiennent pas la place qui devrait être la leur dans les processus décisionnels à l’hôpital.
La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescentE est tout particulièrement dans la tourmente ; ce fut l’un des moments forts de vos débats. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?
Nous avons appelé cette session « Pédopsychiatrie : crise ou effondrement » tant le sujet est grave. La pédopsychiatrie était déjà sinistrée mais elle est maintenant mise à mort. La création de plateformes de diagnostic et d’orientation pour repérer les troubles neuro-développementaux des enfants en est l’illustration. Cela touche les CMPP1 mais également les CMP2 qui sont tenus de prendre en charge ces enfants quand ils ne seront pas orientés vers le libéral. C’est une totale mutation des prises en charge de l’enfant en souffrance qui est en cours. Le travail de réseau si important en pédopsychiatrie devient très difficile car toutes les structures sociales, médicosociales et l’école sont priées de se mettre au pas de nouvelles normes prônant l’inclusion mais ne respectant en rien la temporalité et la subjectivité de l’enfant. Les professionnels de la pédopsychiatrie sont très en colère.
Confinement, isolement, enfermement ont été aussi un des thèmes du congrès…
Le confinement lié à la Covid a imposé la fermeture quasi-totale des structures de soins ambulatoires. Cela a été source de repli sur soi et d’enfermement pour des tas de gens qui sont déjà en difficulté dans leurs relations sociales. Enfermement au domicile des personnes en soins psychiatriques, mais aussi dans les services de psychiatrie. Les mesures d’hygiène ont fait passer au second plan les soins psychiques. Dans certains endroits, des équipes se sont démenées pour créer des prises en charge alternatives intéressantes mais ce ne fut pas le cas partout.
Concernant l’isolement et la contention, c’est une problématique d’une grande acuité. Non seulement parce qu’elle est en hausse depuis plusieurs années, tout comme les pratiques liberticides qui ont envahi les hôpitaux (rapport de fin de mandat d’Adeline Hazan, contrôleure général des lieux de privation de liberté) ; mais aussi par la décision du Conseil constitutionnel de rendre illégales ces pratiques de privation de liberté à compter du 1er janvier prochain sans l’avis d’un juge. Nous avons abordé ces questions au congrès ainsi que les effets secondaires de la loi de 2011 introduisant l’avis d’un JLD3 avant le 12e jour, et la surpénalisation des malades mentaux. Nous avions invité le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France, la LDH, l’association d’usagers Humapsy et la sénatrice Laurence Cohen.
Pour conclure, comment l’USP envisage-t-elle les perspectives de mobilisation en psychiatrie et dans la santé ?
La lutte va être rude car nous avons affaire à des gens sourds et déterminés à voir disparaitre le soin psychique. Mais nous sommes déterminéEs aussi. Nous pensons qu’il faut s’allier aux acteurs du social et du médicosocial ainsi qu’aux autres services publics laminés par ces politiques d’austérité.
Nous travaillons aux côtés des syndicats et collectifs (parmi lequel le Printemps de la Psychiatrie, Convergence, Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité) pour constituer une force de résistance et de reconquête d’un service public de santé de qualité qui permette l’accueil et les soins pour touTEs. Le « Ségur » nous a beaucoup déçus. Même s’il a permis des augmentations de salaires, dans le fond rien n’a changé. L’hôpital public est plus que jamais menacé.
Propos recueillis par Jean-Claude Laumonier