Macron pense sans doute avoir déjà remporté la première bataille, celle de la loi travail. On comprend malheureusement sa satisfaction : face à une loi travail XXL il faudrait une mobilisation XXL. Non seulement une vague de manifestations de l’ampleur de celle du printemps 2016, mais au moins un début de blocage de la machine économique du capitalisme, de véritables grèves reconductibles dans un certain nombre de secteurs importants. Rien de tel pour l’instant. Au contraire : après les deux journées syndicales du 12 et du 21 septembre, la manifestation de la France insoumise du 23, plus rien. A moins que la CGT, Solidaires et quelques autres ne s’accordent, enfin, sur une nouvelle journée ? Pour rejoindre la journée des fédérations de fonctionnaires du 10 octobre ?
Au lieu de proposer aux travailleurs un véritable plan d’attaque, les organisations syndicales qui prétendent vouloir combattre les ordonnances se sont en réalité contentées du minimum syndical (sans même parler de Mélenchon, qui a surtout cherché à poser au chef suprême de l’opposition de gauche à Macron, sans se préoccuper des intérêts du mouvement). Elles ont dû pourtant accompagner la colère et la détermination de leur base et d’un bon nombre de leurs militants et cadres, qui ne veulent rien lâcher. Même FO, dont la direction a négocié son accord avec la loi contre un renforcement de ses intérêts bureaucratiques dans les branches, est aujourd’hui secouée par la révolte de fédérations et d’UD entières.
Un seul espoir, la convergence des luttes
Si ces ordonnances passent, le pouvoir, sur les ailes de la victoire, va se sentir la force de cogner dur tous azimuts, et de projets radicaux il ne manque pas ! Avec une vraie cohérence d’ensemble entre la casse du code du travail, celle du statut des fonctionnaires (car n’est-ce pas, comme pour les retraites naguère, il ne serait pas « équitable » de ménager les fonctionnaires après avoir mis la tête sous l’eau aux salariés du privé), la transformation de l’assurance-chômage en machine à punir les chômeurs, la diminution encore plus drastique des dépenses publiques, la sélection à la fac.
Or c’est justement là que réside le danger pour Macron et son gouvernement. Puisque toutes les catégories du monde du travail et la jeunesse sont menacées par une même politique. Un article de Mediapart (« Macron estime avoir évité un troisième tour social » par Ellen Salvi, le 26 septembre) raconte plaisamment un échange, filmé par TF1 le 12 septembre, entre le premier ministre et la présidente de la commission des affaires sociales de l’assemblée nationale, Brigitte Bourguignon, qui dit : « la seule inquiétude c’est le mouvement étudiant, faut pas que ça brûle. » Ce à quoi Edouard Philippe répond : « oui, oui. On a tous à l’esprit que ça peut coaguler parfois, bien sûr. » Un conseiller ministériel se veut, lui, rassurant : « le risque de coagulation n’est pas considérable, les frustrations sont trop hétérogènes ».
Coagulation ? Curieux d’entendre ce mot dans la bouche de ceux qui veulent nous faire cracher du sang... Mais ce ne sont pas des « frustrations », ce sont des colères, et elles ne sont pas si « hétérogènes » puisqu’elles sont le résultat de la même politique. Alors bien sûr qu’il peut y avoir convergence dans la rue et dans la grève, de ces colères et des luttes.
C’est pour cela que les militantes et militants révolutionnaires, mais bien plus largement des dizaines de milliers de gens combatifs, dans tous les secteurs, celles et ceux qui ne veulent rien lâcher, ont un rôle à jouer dans cette période critique. Nous n’avons certes pas le pouvoir de déclencher des grèves par la seule force du verbe, mais, d’abord, celui de regrouper organisations d’extrême-gauche, équipes syndicales combatives et encore mieux secteurs en lutte, pour prendre des initiatives, donner des occasions aux travailleurs d’exprimer leur colère, même quand les confédérations (ou un appareil électoraliste comme celui de la France insoumise) choisissent la démobilisation.
Et surtout : quel secteur, demain ou après-demain, pourrait entrer dans la grève ? Dans des manifestations massives et déterminées ? Les hôpitaux ? Les étudiants et les lycéens, qui voient leurs facs pleines à craquer et le gouvernement préparer la sélection à l’entrée ? Les assurés sociaux, menacés d’être réduits un peu plus à la misère ? Des boîtes de l’industrie ou du commerce à qui on ferait l’honneur d’un nouvel « accord d’entreprise » esclavagiste ? Les 150 000 contrats aidés, brutalement virés ? On n’en sait rien, mais patrons et gouvernement mettent bien des secteurs au pied du mur. Ce qui est, un peu, de notre responsabilité, c’est que les départs de feu puissent mettre le feu à la plaine : que celles et ceux qui se battent dans un secteur aillent chercher des alliés dans tous les autres, que tous saisissent qu’ils ne peuvent gagner qu’ensemble.
Yann Cézard