Publié le Dimanche 5 juin 2016 à 11h34.

Des raisons d’être optimistes

Celui ou celle qui entreprendrait de réviser les éditoriaux de cette revue depuis quelques années en trouverait plusieurs comportant les éléments suivants : l’approfondissement de l’offensive néolibérale, désormais menée par une « gauche » toujours plus de droite ; l’existence de luttes éparses et restant pour l’essentiel isolées ; l’inconséquence (euphémisme) de directions syndicales qui ne font rien pour les aider à converger ; la nécessité de créer les conditions d’un indispensable mouvement d’ensemble – et d’avancer simultanément vers une alternative politique anticapitaliste…

 

Renouveau et rupture

La situation à laquelle nous étions confrontés a maintenant changé. Bien sûr, une partie des caractéristiques anciennes subsiste. On ne stoppera pas du jour au lendemain le rouleau-compresseur des agressions patronales et gouvernementales, pour cela il faudra remporter une, plusieurs victoires significatives, à commencer si possible par la loi El Khomri. Un tel changement du rapport des forces constitue également une condition pour avancer vers une résolution de la crise de direction du mouvement ouvrier et social, criante face à la poursuite des journées « saute-mouton » ou à la division instaurée entre les cheminots et le reste des salariés.

Mais à la différence de l’étape précédente, ces objectifs et tâches se posent concrètement aux yeux des secteurs mobilisés, qui dans le même temps peuvent entrevoir des embryons de solution. Car le tableau d’ensemble, lui, a été qualitativement transformé. Le projet de contre-réforme globale du marché capitaliste du travail, visant à aligner la France sur ses principaux partenaires/concurrents européens, a en effet déclenché deux processus que nous attendions et espérions depuis des années : le renouveau du mouvement social et l’expression d’une rupture de masse, par la gauche, avec le gouvernement et le PS.

 

Limites et enjeux

Le mouvement en cours rencontre pourtant des limites, qu’il s’agit précisément de surmonter.

La première réside dans le fait que, même si le rejet de la loi El Khomri est très majoritaire dans le pays, et bien que les manifestations aient déjà rassemblé des centaines de milliers de participants, seuls des secteurs minoritaires, une « avant-garde de lutte », se sont jusqu’à présent mobilisés. C’est vrai pour le salariat à partir de ses lieux de travail, comme pour les jeunes depuis leurs lieux d’étude. C’est aussi le cas pour la nouveauté de cette mobilisation, les Nuits Debout, dont l’un des principaux initiateurs allait jusqu’à estimer que « les gens qui occupent la place de la République et d’autres places dans de grandes villes en France ne représentent pas grand monde »1.

Corrélativement, l’organisation démocratique et souveraine par en bas, seule à même de faire franchir un cap à la mobilisation, reste très insuffisante. Dans le monde du travail comme dans la jeunesse, les assemblées générales et les comités de mobilisation (sans parler de comités de grève) sont rares et, quand ils existent, embryonnaires – à l’exception, dans le second cas, de quelques universités.

Le pouvoir joue sur ces faiblesses et sur le déficit de maîtrise collective qu’elles entraînent. Il s’en empare pour tenter de casser le mouvement – en faisant quelques concessions mineures d’un côté mais surtout, de l’autre, en maniant à grande échelle la matraque. Il utilise le phénomène des « casseurs », que pour l’essentiel il crée lui-même, afin de déconsidérer et minoriser la mobilisation.

 

Points d’appui

Outre le rejet massif qui ne faiblit pas, le mouvement dispose cependant d’atouts importants, au premier rang desquels la combativité des équipes militantes et l’aspiration grandissante à la convergence, au tous ensemble voire à la construction de la grève générale.

La pression de la base et des cadres intermédiaires s’est d’ailleurs exprimée lors du récent congrès confédéral de la CGT, où le rapport d’activité s’est vu opposer un nombre inédit de votes contre et d’abstentions, tandis que la direction était poussée à envisager publiquement une grève reconductible jusqu’au retrait du projet El Khomri. La première victoire arrachée par les intermittents du spectacle sur leur convention d’assurance chômage peut également alimenter le moteur de la lutte.

Et puis ce gouvernement est à bout de souffle. Des dirigeants de droite affirment que le projet qui va être présenté à l’Assemblée a été vidé de son contenu et ne présente plus d’intérêt. Gattaz déclare que si « la première version du texte allait dans le bons sens », « la nouvelle est intolérable ». Les « frondeurs » du PS assumeront-ils la responsabilité de ne pas voter contre ? Hollande-Valls peuvent-ils se permettre de passer en force avec un 49-3 ?

Pour une bonne part, cela dépendra de l’évolution de la mobilisation dans les quelques semaines à venir.