Publié le Jeudi 27 juillet 2017 à 13h30.

Front Social : regrouper pour la lutte

Alors qu’une quarantaine de collectifs « Front social » sont désormais en cours de construction un peu partout en France, que les manifestations du 19 juin, au lendemain des législatives, ont regroupé des milliers de personnes sur l’ensemble du territoire, il devient nécessaire de faire un point d’étape sur ce qu’est aujourd’hui ce regroupement.1

Les manifestations des 22 avril, 8 mai et 19 juin sont des succès militants dont l’impact a largement débordé les milliers de personnes qui y ont participé. Aucun autre cadre d’organisation n’a été aussi dynamique ces dernières années. Le Front social est devenu un fait politique, qui dépasse très largement ceux qui l’ont lancé, un outil d’unité d’action à la base que les militant-e-s révolutionnaires doivent construire et amplifier.

Comme souvent, la nouveauté peut susciter interrogations, craintes... voire hostilité. Il est pourtant fondamental que les militant-e-s révolutionnaires mesurent de quoi ce regroupement, entièrement dédié à la lutte, est l’expression et puissent comprendre en quoi c’est une chance à saisir pour contribuer à faire évoluer le rapport de forces en faveur de notre classe sociale.

 

Aux origines...

A l’origine du Front social, il y a le regroupement d’équipes militantes qui ont fait de nombreuses expériences de lutte depuis plusieurs années, chacune de leur côté, séparées dans le temps et dans l’espace, avec des étiquettes syndicales et des pratiques différentes, et à qui la séquence de la lutte contre la loi Travail a fait franchir un cap dans les questionnements quotidiens pour pouvoir gagner face à l’Etat et au patronat.

Ces équipes militantes ont su trouver des voies de convergence quand il s’est agi de défendre plusieurs de leurs militants contre la dictature patronale (les Goodyear), de témoigner dans l’action de la solidarité ouvrière (les blocages de soutien à des grèves comme à La Poste du 92), d’organiser les cortèges interpros et interluttes en tête des manifestations contre la loi Travail à Paris (avec son corollaire que fut l’AG parisienne), ou encore de refuser les fouilles policières et les manifs qui tournent en cage.

Mais plus encore, c’est au cours des quatre mois de mouvement contre la loi Travail qu’ont pris corps deux idées énoncées isolément, depuis des années, par bien des militant-e-s. La première est celle qu’a exprimée Mickaël Wamen, de la CGT – un des animateurs de la grève des Goodyear pour sauver 987 emplois à Amiens – lors d’un rassemblement de solidarité à Paris, le 4 février 2017 : il n’y a pas d’atonie de notre camp social mais chacun de ses combats est atomisé, dispersé, isolé. Ce qu’il nous faut c’est être tous ensemble, au même endroit, à la même heure et pour la même cause. Combien de fois ne nous sommes-nous pas dit la même chose : quel gâchis que d’avoir deux voire trois journées d’action nationale sur un seul mois avec, autour, des centaines de débrayages et de grèves dans des boîtes et des administrations, alors que nous serions tellement plus forts et confiants en y allant tou-te-s ensemble !

La deuxième idée commune a été la conséquence de la mobilisation contre la loi Travail et particulièrement du moment situé autour du 14 juin, quand la bascule aurait pu se faire : seule la paralysie des moyens de production, de transport, d’énergie fait peur aux exploiteurs ; autrement dit, seule la grève générale, reconductible, nous permettra de gagner, d’inverser le rapport de forces. Et cela, alors que beaucoup parmi les animateurs des grèves de 2016 avaient encore en tête la mobilisation contre la réforme des retraites de 2010, où la bascule ne s’était pas faite alors que les raffineurs bloquaient les dépôts et que la grève générale était à notre portée.

C’est cette accumulation d’expériences et la volonté de ne plus se confronter aux mêmes échecs qui poussent au regroupement d’équipes syndicales combatives dans des cadres inédits. Le Front social permet aujourd’hui le regroupement de militant-e-s ayant réussi à dépasser les sectarismes de boutiques, convaincu-e-s par l’expérience de construire la grève générale, prêt-e-s à en découdre avec l’Etat et son appareil répressif, c’est-à-dire à se donner les moyens de refuser les entorses aux libertés fondamentales, notamment celle de manifester sans entraves.

 

Un cadre de front unique qui gène les directions syndicales

Le cadre du Front social est fait pour agir. C’est pourquoi il tente de bousculer le train-train mortifère des directions syndicales depuis la victoire de Macron, comme il a tenté de casser le ronron présumé de la période électorale, en cherchant à imposer au centre de toute cette mascarade la nécessité de l’intervention directe des salariés et des jeunes sur la scène sociale.

Et de fait, le pari de proposer trois initiatives de rue, à chaque fois dans la logique de mettre sur le devant de la scène l’idée (somme toute élémentaire pour les militants communistes révolutionnaires que nous sommes) qu’aucune conquête sociale n’a été le fruit de mécanos institutionnels, mais toujours le résultat d’un tour de force imposé par notre camp social (1936, 1968), a été relevé haut la main !

L’histoire du Front social, c’est la volonté de construire l’unité d’action à la base, dans les entreprises, dans les quartiers, les lieux d’études parce qu’on n’a pas d’autre choix. On peut dire sans hésiter que le Front social est un outil pour le front unique. Il a un cœur initiateur réduit, avec celles et ceux les plus déterminés au départ (SUD activités postales 92, CGT Info Com, CGT Goodyear, la compagnie Jolie Môme, Bella Ciao, la CGT Wattrelos), mais compte aujourd’hui une centaine de structures syndicales, essentiellement CGT et Solidaires, auxquelles se sont joint des collectifs comme « Urgence notre police assassine ! », « Droit au logement » ou encore « Droits devant ! »

Cela constitue donc un regroupement de forces issues de différentes tendances du mouvement ouvrier pour s’opposer aux attaques des capitalistes, dans lequel des militants révolutionnaires interviennent pour pousser l’affrontement toujours plus loin. L’objectif est bien de constituer l’embryon d’un pôle lutte de classe dans le mouvement ouvrier, pour contester les directions réformistes et chercher à donner, dans un premier temps, des suites à des journées comme celles du 14 juin (la manifestation nationale contre la loi Travail, la plus importante du mouvement) ou du 15 septembre 2016 (la dernière manifestation appelée par les confédérations syndicales), et tenter aujourd’hui de regrouper un maximum de forces autour d’initiatives pour pouvoir dans un futur proche jouer un rôle dans le cadre des futures explosions sociales.

La détermination de certaines équipes CGT a construire le Front social s’explique par les décantations qui s’opèrent au sein de la centrale syndicale depuis quelques années. En effet, derrière sa façade de radicalité, la direction de la CGT n’a pas tenu le choc face aux gouvernements successifs et à leur grande idée du dialogue social qui tiendrait pour normal que patronat et représentants ouvriers, dont les intérêts sont divergents, pourraient avoir un espace commun de discussion, en-dehors de tout rapport de forces en faveur des travailleurs.

De 2010 à 2016, on a vu à l’œuvre les mêmes discours radicaux, avec au final une même logique : tout tenter pour empêcher les travailleurs et la jeunesse de prendre en main leur mouvement et de plonger alors le pays dans la grève générale. Mais la mobilisation contre la loi Travail a changé la donne. Pas encore au point que les effets en soient visibles à une échelle de masse, mais assez pour que la radicalité exprimée par maintes équipes syndicales et militantes ait trouvé un écho dans le Front social, ses initiatives et donc par là-même dans la confiance qui gagne peu à peu d’autres militants, d’autres salarié-e-s.

Ainsi, il n’est pas absurde de dire que nous nous sommes fait voler notre mobilisation le 15 septembre 2016, quand l’intersyndicale a capitulé dans les grandes largeurs en ne proposant d’autres suites que la bataille boîte par boîte. Alors que les directions syndicales, par leur adaptation au timing du gouvernement, ont peu à peu contribué à décourager et démobiliser les militants les plus combatifs sur les boîtes, elles ont voulu nous faire croire que la bagarre se menait désormais à cette échelle. Pire encore, ne voit-on pas aujourd’hui tout ce petit monde se précipiter sous les ors de la République pour écouter Macron et Philippe leur dire… qu’ils n’ont rien à leur dire ? Il aurait bien évidemment fallu refuser en bloc ces rencontres alors que ces deux là veulent faire la peau à la classe ouvrière et à la jeunesse. Leur passé nous l’a appris, leurs annonces nous le confirment.

On ne peut pas ne pas voir les remous que crée, à l’intérieur de la CGT et de Solidaires, le Front social, de par le nombre d’équipes locales impliquées. A la CGT, Martinez a choisi la défensive quand lors d’une réunion confédérale, il a mentionné dans son intervention les camarades d’Info Com dans des termes visant à semer le doute sur leur honnêteté, en distillant l’idée d’une non transparence de leur caisse de grève qui a (en plus !) joué la solidarité avec les postiers grévistes du 92, ou encore en polémiquant sur les cotisations non payées de la CGT Goodyear.

Mais cela n’empêche pas que de nouvelles structures CGT, certes de taille très variable, rejoignent le Front social. Dans Solidaires, toutes proportions gardées sur son poids comparé à celui de la CGT, les réticences sont paradoxalement fortes également depuis le lancement de l’initiative du « premier tour social ». Paradoxe effectivement, quand on connaît l’histoire de Solidaires et ses pratiques, son affirmation permanente de la nécessaire convergence des luttes, sans même parler de sa capacité à suivre « tout ce qui bouge ». Le débat continue puisqu'à l’issue de son congrès national, une motion a acté la participation de l’Union syndicale aux rassemblements du 19 juin contre les ordonnances Macron, sans formaliser sa participation au Front social au niveau national alors que dans la quasi-totalité des collectifs locaux qui se développent, les syndicats de Solidaires sont partie prenante voire à l’initiative. La peur est de participer à des initiatives « minorisantes »... ce qui est particulièrement nouveau de la part de Solidaires !

 

Le Front social : une nécessité, une priorité

Du côté des organisations d’extrême gauche, c’est peu dire que l’on ne se bouscule pas pour construire le Front social. Il est pourtant déjà un fait notable en soi : pour la première fois depuis les années 2000 et les diverses tentatives de constitution de pôles lutte de classe, des militants d’entreprise communistes révolutionnaires sont au cœur de ces processus, ont pris part à leur impulsion, ont tissé des liens de confiance avec des militants issus de traditions politiques réformistes et ont ouvert le dialogue avec les courants libertaires et autonomes.

Le Front social a aujourd’hui un écho qui oblige à se pencher sur son cas, à le commenter a minima, à y prêter attention. Car le Front Social est une chance à saisir pour les militants révolutionnaires que nous sommes. Il regroupe une partie de ce qu’il y a de plus vivant dans notre camp social, mais aussi de plus déterminé à s’affronter à l’Etat et au patronat. Il est un cadre qui ne reste pas planté là en attendant que les directions syndicales lèvent le petit doigt. Notre présence dans ce « pôle ouvrier » en cours de constitution nous donne la possibilité de faire avancer nos idées, auprès de secteurs militants qui connaissent une évolution combative mais aussi auprès d’une plus large audience dont la jeunesse fait partie.

Le Front Social est un point d’appui pour tenter de dépasser les faiblesses structurelles des organisations d’extrême gauche. Il faut le prendre pour ce qu’il est à ce stade. Ce n’est pas un nouveau syndicat, d’ailleurs ceux et celles qui participent au Front social construisent leurs structures syndicales, sinon comment pourrait-on expliquer la longue liste des organisations syndicales membres du Front social ? Ce n’est pas non plus un nouveau parti. En revanche, cela n’empêche pas les discussions et les analyses au-delà des revendications dites « économiques ». Ce phénomène se situe dans la droite ligne de la mobilisation contre la loi Travail et son monde fait d’exploitation, de misère, d’oppression et de répression. Cela s’est également matérialisé dans l’entre deux tours de la présidentielle : c’est dans la rue que ça se gagne et Macron n’est en rien un rempart face au Front national.

Le Front social permet, à son échelle, d’unir et de faire agir ensemble celles et ceux qui luttent. Et c’est bien de cela dont il s’agit : mener des batailles avec toutes celles et ceux qui veulent aujourd’hui se bagarrer sans a priori idéologique, sans sectarisme ni baratin. C’est en effet au cœur de l’action que nombre de militant-e-s ont fait l’expérience de ce qui les rassemblait. C’est ce travail-là qu’il faut poursuivre, sans présager de la réussite ou de l’échec de ce regroupement à contribuer à forger un embryon de direction alternative aux bureaucraties syndicales.

Ce cadre doit nous aider à faire en sorte que la journée de grève interprofessionnelle du 12 septembre soit un succès. Cela veut dire populariser cette date dès maintenant dans nos entreprises et services, car il n’y aura pas d’autre solution que la construction de la grève. C’est le meilleur moyen d’éviter que cette manifestation soit un baroud d’honneur. Et dès avant le 12 septembre, il faudra penser aux suites. En ce sens, la proposition du Front social de fixer dès maintenant le 20 septembre comme nouvelle date nationale de grève et de mobilisation, pourquoi pas avec une montée nationale à Paris, est un point d’appui considérable.

 

Denise Sarraute et Marie Darwen

 

  • 1. Cet article, écrit par des camarades directement investies dans la construction du Front social, reflète l’opinion d’un secteur du NPA mais non de ce dernier dans son ensemble [note du comité de rédaction].