Publié le Lundi 14 juillet 2014 à 07h50.

Grève à la SNCF : l’information prise en otage

La grève à la SNCF a fait la « une » de l’actualité1. Mais faire la « une » ne signifie pas bénéficier d’un traitement médiatique favorable. Sa couverture est à ce titre exemplaire : la plupart des grands médias, loin de fournir un véritable travail d’information, nous ont proposé un traitement biaisé de la mobilisation à la SNCF, largement défavorable voire hostile à la grève. 

La première mission des médias aurait dû être d’informer sur la grève, donc sur ses motifs, avant de s’intéresser à ses conséquences. Mais c’est le contraire qui s’est produit, avec une focalisation sur les perturbations engendrées par la grève et sur ses effets sur la vie quotidienne des usagers des transports en commun. Duplex dans les gares, micro-trottoirs, etc., ont monopolisé l’attention des médias audiovisuels, qui n’ont que très (trop !) rarement donné la parole aux grévistes eux-mêmes.

Bilan : un message syndical et politique (sciemment) brouillé, une impression générale de désordre et aucune explication audible des enjeux de la grève. Le 17 juin, le quotidien Le Parisien a ainsi pu publier sans sourciller un sondage affirmant que 76 % des sondés étaient « opposés à la grève », mais également que 64 % des sondés ne « connaiss[ai]ent pas les raisons de la grève ». Quelle leçon tirée par Le Parisien ? Donner encore plus la parole aux opposants à la grève, et ne pas expliquer davantage les revendications des cheminots. Logique… 

Au-delà de la sous-information sur les motivations de la grève, on a pu relever un certain nombre de travers journalistiques malheureusement trop connus. Le premier est l’utilisation récurrente de termes marquant les esprits : « prise d’otages », « galère », « pagaille »… Une utilisation abusive de termes qui, sous prétexte de décrire une réalité certes pénible pour certains usagers des transports, enlèvent tout crédit aux cheminots et vont jusqu’à assimiler un mouvement de grève à une activité criminelle.

Autre pratique : l’hyper-dramatisation de certaines des conséquences de la grève. On pense ici notamment aux « menaces sur le bac », qui ont fait l’objet d’une focalisation durant les jours précédant les épreuves et lors de la première d’entre elles, l’examen de philosophie (16 juin). On a ainsi pu entendre sur France 2, le 15 juin, que « 700 000 lycéens et leurs parents » s’inquiétaient (alors que seuls 40 000 lycéens se rendaient en train à leur examen…), ou cette (subtile) suggestion de sujet de philosophie sur TF1, le 14 juin : « Peut-on accepter d’être esclave d’un mouvement social ? » Tout dans la nuance… 

Au final, ce sont à peine 280 candidats (sur 686 907) qui sont arrivés en retard, un chiffre similaire à ceux des années précédentes. A-t-on assisté à un mea culpa dans les médias ? Absolument pas. Bien au contraire, la grève a été l’occasion pour les plus réactionnaires d’entre eux de mener une offensive supplémentaire contre les droits et les acquis sociaux en surfant sur les conséquences réelles ou fantasmées de la mobilisation.

On pourra ainsi citer ce « sondage en ligne » du Parisien : « SNCF : Faut-il limiter le droit de grève ? » Piqué au vif, Le Figaro a fait encore pire : « Faut-il interdire le droit de grève dans les transports publics ? » Signalons enfin cette sortie particulièrement légère de Franz-Olivier Giesbert, éditorialiste du Point : « n’est-il pas temps d’essayer de guérir la France sans lui demander son avis, quitte à la brutaliser un peu ? » Une belle brochette de chiens de garde, qui ont joué comme d’habitude leur partition de garants de l’ordre établi.

Julien Salingue

 

Notes

1 Cet article a été écrit à l’aide du travail d’Acrimed.