Publié le Mardi 31 octobre 2017 à 10h25.

Une politique sécuritaire XXL

Le gouvernement de Macron restera, entre autres sales coups portés à la population dans son ensemble, celui qui aura fait entrer dans le droit commun nombre de dispositions de l’état d’urgence, sous prétexte de lutte contre le terrorisme.

Aboutissement de neuf lois votées en cinq ans, la dernière loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » adoptée fin septembre est totalement liberticide, puisqu’elle confère à l’autorité administrative, préfets et policiers, des pouvoirs extrêmement étendus, en passant par-dessus tout contrôle judiciaire. Tout à fait dans la manière de Macron : après avoir prorogé l’état d’urgence jusqu’en novembre 2017, il déclarait qu’on ne pouvait vivre en permanence sous ce régime. Nobles paroles. Mais qui ont immédiatement trouvé leur traduction dans la transposition de l’état d’exception dans la loi ! 

Outre cette loi, le gouvernement reprend à son compte les coups de menton de la droite en souhaitant durcir les peines de prison et en affirmant que « la sécurité est la première de nos libertés ». Il reprend la formule de « tolérance zéro lorsqu’il s’agit de sécurité », demande aux juges une plus grande fermeté, se prononce contre les aménagements de peine. Les prisons sont déjà au bord de l’asphyxie ? Qu’à cela ne tienne : 15 000 nouvelles places sont prévues, cela donnera du travail aux bétonneurs. Un véritable copier-coller de la politique sécuritaire américaine. Au point que le New York Times s’en est ému : « l’absence d’un rôle pour le judiciaire qui pourrait contrôler le pouvoir général de l’exécutif est troublante », y lit-on dans un article intitulé « Les pouvoirs sans entraves d’Emmanuel Macron »

Le nouveau texte de loi anti-terroriste a fait l’objet de très nombreuses critiques, notamment celle émanant de 300 universitaires et chercheurs ayant signé, en juillet, un texte publié sur les sites de Mediapart et de Libération. Plus de 500 personnalités du droit y adhérent à ce jour, dénonçant un « projet de loi qui hypothèque les libertés de tous de manière absolument inédite » en inscrivant dans le droit ordinaire les principales mesures autorisées à titre exceptionnel dans le cadre de l’état d’urgence. Une professeure honoraire au Collège de France dénonce l’évolution du droit pénal qui impose des mesures « à une personne non pas pour la punir d’un crime qu’elle a commis, mais pour prévenir ceux qu’elle pourrait commettre »

 

Les quelques garde-fous du Sénat tous retoqués

Toute la philosophie de la loi est ainsi résumée, et va à l’encontre des protections les plus élémentaires garanties dans un régime démocratique. Il s’agira dorénavant, au prétexte de prévenir des attentats, de poursuivre et incarcérer quelqu’un du fait d’une opinion, avant tout  passage à l’acte. De quoi satisfaire les plus ardents défenseurs d’une société policière. Sous l’autorité des préfets et en dehors de toute procédure judiciaire, il reviendra à la DGSI (ex-DST), à l’aide de ses fameuses « fiches S » qui ont largement démontré leur manque de sérieux et de fiabilité, aux policiers qui auraient un vague soupçon sur quelqu’un, de placer sous écoute, surveiller, perquisitionner ou assigner à résidence.

Même le Sénat, qui n’est pourtant pas connu pour être un repaire de défenseurs des droits de l’homme, a trouvé que ce texte allait trop loin, et a essayé d’y mettre quelques garde-fous. Par exemple, en limitant  les motifs permettant à un préfet de fermer un lieu de culte dans les cas où des propos, des écrits ou activités s’y déroulant inciteraient à la violence, à des actes de terrorisme ou à leur apologie. Le gouvernement a réintroduit les notions plus larges d’idées ou théories diffusées, une façon de remettre en cause la liberté d’opinion.

De même, s’agissant des mesures dites de « surveillance » : contrairement au régime de l’état d’urgence, la loi prévoit que le périmètre d’assignation d’une personne ne pourra être inférieur à celui de la commune. Le Sénat avait ajouté une restriction en limitant à trois par semaine le nombre de pointages obligatoires au commissariat de police ou à la gendarmerie. Le gouvernement est revenu à un pointage quotidien. Et il a aussi voulu disposer de six mois au lieu de trois pour réunir des documents visant à prolonger une assignation – plus que ce que prévoyait l’état d’urgence.

Le Sénat avait enlevé l’obligation pour une personne de fournir les identifiants de tous ses moyens de communication électronique – téléphone, réseaux sociaux, adresse mail ; le gouvernement l’a réintroduite. Les palpations de sécurité seront autorisées dans des périmètres définis par le préfet à l’occasion de grands événements. Ces pouvoirs de fouille étaient jusque là soumis à une réquisition judiciaire. Le Sénat avait limité aux abords « immédiats » du périmètre le déploiement de ces pouvoirs. Bien trop restrictif pour le gouvernement, qui a supprimé cette limite. Les contrôles dans l’espace Schengen, qui devaient prendre fin au 1er novembre, deviennent permanents. 

 

Un état d’exception pérennisé

Tous les citoyens seront dorénavant contrôlés lors de leurs déplacements à l’étranger, à travers notamment le fichier PNR (Passenger Name Record), dont la durée de conservation est de cinq ans, ce qui est jugé énorme par tous les juristes. Lesquels pointent du doigt le fait que ces mesures sont contournables par les réseaux terroristes et criminels, et que seules les informations sur les déplacements de l’ensemble des citoyens sont ainsi conservées par les Etats. Ces mesures désignent chaque citoyen comme suspect potentiel, « non seulement au regard des actes réprimés par la loi (…) mais aussi de ceux qui seraient susceptibles d’être réprimés à l’avenir, par des gouvernements plus autoritaires. La liste des informations recueillies, dès le stade de la réservation puis au moment de l’enregistrement, fait de cet outil un fichier de population auquel il convient de s’opposer, comme l’a fait pendant plusieurs années la commission libertés civiles du parlement européen», souligne le Syndicat de la magistrature. 

La loi permet aux préfets d’assigner des personnes à résidence et de les contraindre à déclarer leurs identifiants pour tout moyen de communication électronique, sans passer par un juge, la seule obligation étant d’informer le procureur de Paris. « Ces mesures sont plus larges que celles qui existaient dans l’état d’urgence », souligne Virginie Duval, présidence de l’Union syndicale des magistrats (USM), majoritaire dans la profession. Elle constate aussi que cette disposition n’existait même pas dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

La loi étend aussi le périmètre dans lequel la police peut effectuer des vérifications d’identité sans feu vert de la justice. Et pas qu’un peu, puisqu’il s’agit d’un territoire englobant les deux tiers de la population, selon le journal Le Monde. Ces personnes n’auront donc plus la liberté d’aller et venir. La police gagnera en liberté d’action en s’affranchissant de la justice. En droit commun en effet, les contrôles doivent être ordonnés par le procureur dans un lieu et pour une durée déterminés. Le pouvoir judiciaire est de fait mis à l’écart, au profit du ministère de l’Intérieur. « Le préfet à la manœuvre dans la restriction des libertés individuelles, c’est inédit dans le paysage européen », déclare Me William Bourdon, ex-secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l’homme, actuellement président de Sherpa, dont l’objet est de défendre les victimes de crimes commis par des opérateurs économiques. Il dénonce une loi liberticide, aux côtés de la Ligue des droits de l’homme, d’Amnesty International, de Human Rights Watch ou encore du Défenseur des droits, Jacques Toubon.

En fait, c’est  l’immigration clandestine qui semble visée par ces dernières mesures de contrôle au faciès renforcé et légal. « Nous reconduisons beaucoup trop peu », a d’ailleurs déclaré Macron devant les préfets. Cette loi  permettra le maintien des contrôles aux frontières intérieures, en particulier franco-italienne. On le voit déjà avec l’attitude de la police vis-à-vis des migrants, ces contrôles sont particulièrement discriminatoires. Non fondés sur le comportement d’une personne, mais sur la couleur de sa peau, ces contrôles vont pouvoir se multiplier un peu partout à l’égard notamment de personnes qui font déjà l’objet de contrôles intempestifs.

Comme si cela ne suffisait pas, les personnes simplement soupçonnées d’apologie du terrorisme ou qui auraient donné de l’argent à une personne ayant tenté de se rendre, par exemple, en Syrie, seront reconnues coupables de complicité avec des terroristes. Un procès s’est d’ores et déjà tenu en septembre vis-à-vis d’une mère ayant envoyé de l’argent à son fils, alors qu’il n’était pas en Syrie, procès où une peine de prison ferme a été requise.

Toute l’architecture de cette loi aggrave les dispositions de l’état d’urgence, en donnant de plus amples pouvoirs au ministère de l’Intérieur et en rendant très flous les motifs de surveillance, de perquisition ou d’assignation à résidence. En fait, nous sommes tous devenus des ennemis potentiels qu’il conviendrait d’empêcher de passer à l’acte. Au début de l’état d’urgence, nous avons déjà pu constater les dérives des services de police, qui se sont servis de leurs pouvoirs étendus pour empêcher toute contestation lors de la COP21, lorsque des assignations à résidence contre des militants écologistes se sont multipliées, censurées a posteriori, pour beaucoup, par la justice. D’ailleurs, la façon dont les choses sont formulées ne laisse nulle place au doute : sont désignées des personnes dont il existerait des raisons sérieuses (et non des indices) de penser que leur comportement (et non leurs actes) constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics, cette notion étant extrêmement large. Des obligations de déclarer son domicile et tout changement de domicile, ainsi que de signaler les déplacements à l’extérieur d’un périmètre (au minimum celui d’une commune) peuvent être imposées à n’importe qui. Elles peuvent être prononcées pour une durée de six mois, renouvelable sans limite (comme c’est le cas sous l’état d’urgence) sur la base d’éléments nouveaux ou seulement complémentaires.

La politique sécuritaire de Macron est à l’image de son gouvernement de riches, en guerre contre les pauvres. Il se dote d’un arsenal législatif lui permettant de s’en prendre indistinctement à qui lui ferait de l’ombre. Nous sommes tous concernés par ces mesures liberticides qui, pour l’instant, visent essentiellement les immigrés qui vont subir une chasse au faciès encore plus féroce, mais qui sont faites pour ratisser très large. On ne donne pas impunément tant de pouvoirs à la police, pour ne pas être tentés de s’en servir contre tous ceux qui contestent l’ordre social.

Régine Vinon