Publié le Mercredi 1 mai 2013 à 19h01.

Armée : une campagne de propagande offensive

Par Julien Varlin

« Engagez-vous, qu’ils disaient… » L’omniprésence des campagnes de recrutement de l’armée, sur fond de chômage de masse mais aussi d’un discours officiel qui ces dernières années s’est largement renouvelé, mérite que l’on se penche sur ce phénomène.

Depuis 2010, l’armée de terre finance une grande campagne de recrutement, qu'elle paye neuf millions d'euros à la société TBWA. Et elle est de plus en plus rompue à la communication moderne : elle ne répand plus seulement ses affiches dans le métro ou sur les routes et ses spots à la télévision, mais va s’insinuer jusque dans les jeux vidéo et sur les smartphones.

Il faut dire que l’armée française a des moyens : c’est le cinquième plus gros budget militaire au monde, et elle reste l’un des plus gros pourvoyeurs d’emplois, avec environ 300 000 personnes et plus de 20 000 recrutements par an. Pas étonnant dans ces conditions de chômage de masse que de nombreux jeunes rejoignent les rangs des FAF (forces armées françaises…). L’armée a toujours puisé beaucoup parmi les jeunes les plus pauvres, leur promettant une intégration dans une institution « solide », une « grande famille », une solde… Comme l'écrit un rapport officiel de 2010, « les militaires sont essentiellement issus de la classe des cadres moyens et de la classe ouvrière », plus précisément, la moitié des militaires du rang viennent de « milieux ouvriers ».1

 

Un discours plus subtil

L'imagerie militaire s'appuie toujours sur la fibre virile et violente, mais le discours a évolué à l'image de la société. L’armée tente de se montrer présentable et de contrer les réflexes antimilitaristes qui peuvent rester. Les engagements mis en avant se veulent plus humains, avec des slogans comme « inspirer la confiance », «  je protégerai les populations »… Il s'agit de donner une vague caution humanitaire aux machines de guerre, comme cela transparaît dans un slogan comme « je serai au service des autres et j'agirai avec la volonté de vaincre ».

Des femmes ont aussi fait leur apparition sur les affiches, après avoir longtemps été cantonnées... aux posters de pin-up dans les casernes. Cela reflète une féminisation des effectifs qui est bien réelle. Même si les premières femmes-soldat ont été recrutées en 1938, elles ont été marginalisées, et même payées différemment jusqu'en 1972. Lorsque le service militaire « universel et obligatoire » était en vigueur, il s'agissait avant tout de « faire des hommes ». Cela dit, la répartition même des quelque 10 % de femmes présentes dans l'armée reflète un sexisme structurel : 50 % dans les auxiliaires de santé, 1,7 % des troupes de combat… 

Le nationalisme n'est plus aussi mis en avant qu'il y a quelques décennies, mais il est toujours présent. La campagne est centrée sur « devenez vous-même », mais l'idée est toujours de créer un sentiment national qui soude la société, de nous aux capitalistes sans oublier la cellule familiale : « Avec cette accroche, l’armée de Terre met en avant l’épanouissement personnel. Est surtout valorisé le « pourquoi je m’engage » : pour moi, pour mes camarades, pour ma famille, pour mes amis, pour mes concitoyens, pour la collectivité, pour la France ! » 2

 

Paternalisme impérialiste

Etant donné que le chauvinisme primaire consistant à attiser la xénophobie n'est pas ce qui fait le plus recette, il passe surtout par le mythe de la « patrie des droits de l'Homme ». Chaque soldat est tenu d'avoir sur lui une petite carte appelée « code du soldat », avec photo de soldats sous le drapeau et parmi les valeurs-clé : « servir la France et les valeurs universelles dans lesquelles elle se reconnaît ». De nombreuses affiches présentent aussi des soldats suréquipés à l'attitude bienveillante face à des Africains quasi-dénudés. Un tel paternalisme est totalement compatible avec la domination impérialiste, et accompagne même les justifications d'intervention comme celle du Mali.

Mais le paternalisme c'est aussi la présence renforcée de l'armée dans les lieux publics, sous couvert de sécurité, de plan Vigipirate... L’État se veut rassurant, mais de façon subliminale il nous rappelle qu'il a le monopole de la violence légale. C'est soi-disant pour l'intérêt général, mais la vérité déchire parfois le voile... Comme en Égypte où le peuple pauvre se heurte violemment à la vraie nature du Conseil suprême des forces armées, le gardien de l'ordre capitaliste.

 

[Notes]

1 « Les militaires et leur famille », juin 2010.

2 Sengager.fr