Publié le Samedi 15 février 2025 à 09h00.

Février 1975 : le procès des appelés du contingent de Draguignan

Les 7 et 8 février 1975 se tenait à Marseille, devant le Tribunal permanent des forces armées (TPFA), le procès de trois appelés du contingent mis en examen pour « incitation à commettre des actes contraires au devoir et à la discipline générale ».

 

Un contexte pré-révolutionnaire

Durant l’année 1974 les mobilisations antimilitaristes se sont amplifiées dans un contexte où les armées sont au coeur de l’actualité sociale et politique tant en France que de par le monde. En France, l’armée a remplacé les aiguilleurs du ciel, les postiers, les éboueurs, assuré les transports lors des grèves de ces secteurs. Le coup d’État de Pinochet au Chili, la révolution des œillets mise en marche par les militaires du MFA au Portugal alimentent les débats autour de la question stratégique pour celles et ceux qui se revendiquent du socialisme.

 

L’appel des cent

À la veille du deuxième tour de l’élection présidentielle de 1974, dans les quotidiens Rouge (expérimental) et Libération, 100 soldats appelés demandaient aux candidats de se prononcer publiquement sur un ensemble de revendications démocratiques. Les Cent deviennent rapidement des milliers, et gouvernement et hiérarchie militaire tentent de limiter l’impact de l’appel en multipliant la répression avec quelques plus que modestes améliorations de la vie des appelés. Mais la mobilisation ne faiblit pas et se concrétise le 10 septembre sur la manifestation en uniforme de près de 150 soldats dans les rues de Draguignan.

La manifestation reçoit un soutien presque unanime des organisations du mouvement ouvrier, les réformistes marquant leurs distances avec les antimilitaristes. Politiques et militaires s’accordent pour reconnaître un malaise, voire une crise de l’institution.

 

La réaction du pouvoir

Les soldats Pelletier, Ravet et Taurus, supposés meneurs de la manifestation, sont arrêtés et présentés devant le juge d’instruction du TPFA au titre « [qu’]est puni, en temps de paix, d’un emprisonnement de six mois à deux ans, tout militaire ou tout individu embarqué qui, par quelque moyen que ce soit, incite un ou plusieurs militaires à commettre des actes contraires au devoir ou à la discipline ».

La solidarité s’organise à l’initiative de l’union locale CFDT de Gennevilliers à laquelle Pelletier est rattaché. Meetings, manifestations se succèdent jusqu’au procès accompagnés de milliers de signatures de pétitions, des centaines de soutiens de structures syndicales. Une vague de solidarité à résonance nationale. Un écho qui se retrouve dans l’exceptionnelle pléiade d’avocats qui défendent les trois prévenus.

 

Le procès

D’entrée, les prévenus reviennent sur les motifs de la manifestation : brimades, sanctions arbitraires, racisme, chantage aux permissions, anticommunisme. Pelletier insiste sur l’utilisation qui est faite de l’armée lors des grèves des éboueurs, des contrôleurs aériens ou des postiers. Les trois contestent leur désignation comme meneurs alors que la colère des appelés était largement partagée.

Plusieurs appelés, témoins de l’accusation, se rétractent pendant l’audience. Un avocat de la défense « demande au Commissaire du gouvernement s’il maintient l’accusation », laissant le président du tribunal perplexe. De nombreux témoins de moralité apportent leur soutien aux accusés et aux revendications des soldats, représentant la CGT, la CFDT, le PCF, la Ligue des droits de l’Homme, la JC et le PS.

 

En finir avec l’armée

Lors d’une dernière prise de parole, Pelletier radicalise son positionnement en affirmant que l’institution militaire « veut faire des hommes dociles qui ne protestent pas quand on leur fait briser la grève des éboueurs, des PTT ou des aiguilleurs du ciel. […] Je suis convaincu que dans cette société, l’armée et les travailleurs ne peuvent avoir d’intérêts communs. J’appartiens à la CFDT. Je milite donc pour le socialisme […] pour moi, la seule garantie que la France ne soit pas la Grèce ou le Chili c’est que le contingent ait le droit et le moyen d’empêcher toute tentative de Coup d’État d’une fraction de l’armée ».

La sentence prend en compte le rapport de force dans et hors la salle d’audience : Pelletier (« cheville ouvrière ») et Ravet (« plus gradé et plus intelligent ») sont condamnés à des peines couvrant la durée de leurs détentions préventives et Taurus (« pas très évolué ») est acquitté. Au verdict, une partie de la salle chante le poing levé couvrant la Marseillaise des militaires et policiers, pourtant nombreux dans la salle. o

 

Lire à ce sujet : Bernard Docre et Patrick Mars, Dossier M… comme militaire, Editions Alain Moreau, 1979.

Robert Pelletier et Serge Ravet Le mouvement des soldats : les comités de soldats et l’antimilitarisme révolutionnaire. Éd. Maspero, Paris, 1976.

Collectif, Le procès de Draguignan, Editions du Rocher, 1975