Publié le Vendredi 6 janvier 2017 à 11h06.

Dans les quartiers sud de Grenoble : Du collectif face aux politiques sécuritaires, antisociales et racistes

Le 30 juillet 2010, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, prononçait le « discours de La Villeneuve ». Ce discours, il ne le fit pas dans le quartier lui-même, d’ailleurs. La tension y restait forte après plusieurs nuits d’émeutes1, et la zone était soumise à un véritable état de siège. Il le fit à la préfecture, dans les ors de la République. Il y annonça le durcissement autoritaire de l’Etat qui s’accélère aujourd’hui sous nos yeux.

Renforcement des pouvoirs de police, affirmation décomplexée d’un racisme d’Etat2, stigmatisation de la jeunesse des quartiers populaires... Sarkozy usa d’un discours caricaturalement colonialiste pour annoncer, au-delà de la volonté de « reconquête de territoires », la mise en place d’un projet sécuritaire voué à dépasser largement le simple traitement des émeutes dans les quartiers.

A La Villeneuve, les menaces présidentielles furent d’autant plus mal vécues qu’elles s’adressaient à un quartier de Grenoble marqué « à gauche » par son histoire et animé par une profonde vie associative et militante. Cette relative vitalité politique se retrouve de plus en plus  confrontée à des niveaux de tension sociale particulièrement élevés : depuis le discours de Sarkozy, pression policière, chômage, austérité, offensives racistes se sont accentués. Des collectifs locaux cherchent à y répondre. C’est sur cette tension que voudrait insister cet article.

 

Un quartier marqué « à gauche »

La Villeneuve et son voisin le Village olympique, sont nés d’un ambitieux projet urbanistique, porté par une nouvelle équipe municipale à partir de 1965. Menée par Hubert Dubedout (un socialiste sans étiquette), une liste d’union PSU-SFIO (socialistes)-groupes locaux avait pris la mairie à la droite. Elle représentait alors, jusqu’au niveau national, un modèle de gauche « moderne » et « citoyenne » chargé de réformer une ville dynamique en pleine expansion. Elle lança un ambitieux chantier de grands ensembles de logements sociaux dans le sud de l’agglomération. A la Villeneuve, les premières « galeries » furent habitées en 1972 : bâtiments de qualité, innovations urbanistiques, « mixité sociale » réfléchie, immenses espaces verts centraux (« la plus belle cité de France vue du ciel »), projets éducatifs novateurs et présence des services publics, la cité se voulait une vitrine pour Grenoble. 

Le « Village », les « Villeneuve » n’échappèrent cependant pas au sort de ce type de quartiers confrontés à partir des années 1980 à l’augmentation du chômage puis de la précarité, à la disparition de nombreux emplois industriels, au recul des services publics et à la disparition de commerces de proximité. Le taux de chômage y est supérieur à 23 %, plus de 40 % pour les jeunes (15-24 ans, chiffres 2015). L’économie informelle fait son lot de victimes et plusieurs règlements de compte meurtriers ont eu lieu ces dernières années.

Pourtant, lorsque qu’en septembre 2013, un documentaire « sensationnaliste policier catastrophiste » fut diffusé dans l’émission Envoyé spécial, une réaction puissante des habitant-e-s de la Villeneuve affirma son affection pour le quartier et la qualité de sa vie collective. Des assemblées générales furent organisées et lancèrent rassemblements, action en justice contre France Télévision, diffusions collectives d’un film réussi utilisé comme réponse, et affirmation de la richesse de l’activité d’un quartier populaire3

 

Les politiques de contrôle social : du clientélisme à la destruction ?

A La Villeneuve, les réseaux militants sont aussi anciens que le quartier lui-même. Dans cette immense concentration de prolétaires (12 000 habitants pour la seule Villeneuve de Grenoble) se rencontrèrent très vite des populations et des militants issus de l’immigration, parfois de l’exil politique, d’autres issus des classes moyennes « blanches » de la ville pour qui La Villeneuve fut souvent un projet politique, social ou pédagogique à part entière.

Pour la mairie et l’Etat, elle fut bien sûr une zone sensible, à contrôler au plus près. La présence policière fut doublée d’une politique clientéliste systématique sous les mandats de Destot (PS). La vie associative en fut un peu irriguée de subventions, au risque de l’affaiblissement de la radicalité politique, et d’un éloignement de l’essentiel des habitants. Mais ce modèle s’est grandement effrité dans les années 2000 avec la baisse des financements municipaux. Il a aussi défait les illusions d’une génération de militants associatifs et politiques quant à la collaboration institutionnelle et au PS local.  

Aujourd’hui, l’actualité est d’avantage celle du contrôle policier direct et de « l’aménagement urbain ». L’opposition fondamentale entre polices et population (jeunesse notamment) dans le quartier est assez structurelle. Elle se nourrit de la simple multiplicité des atteintes aux droits imposées par les flics. Ici, nul n’ignore la réalité des humiliations et violences policières répétées, ni ne peut en sous-estimer le racisme. A travers les périodes de contrôles d’identité, elles appartiennent au quotidien, celui des jeunes en particulier.

Les émeutes de 2010 ne furent pas massives, loin de là. Mais leur légitimité était ressentie très largement. Les réponses à cette révolte furent essentiellement répressives. Après l’intervention directe de la police et la mise sous état de siège, on y installa les nouvelles unités du ministre de l’intérieur Hortefeux, les Brigades spécialisées de terrain lancées en août 2010. En décembre de la même année, le même Hortefeux présenta à Grenoble une nouvelle unité mixte police-gendarmerie (« unité mixte d’intervention rapide ») formée précisément pour intervenir face aux émeutes populaires urbaines. Inutile de préciser que ces logiques n’apportèrent aucune paix. 

 

Erosion du travail social

Elles accompagnent par contre l’érosion du travail social, principalement via la baisse des financements des collectivités territoriales. Commencées sous le PS au département (Vallini) et dans Grenoble (Destot), ces coupes s’accélèrent aujourd’hui avec la droite au département et la majorité Verts-PG-Ensemble à la mairie de Grenoble autour d’Eric Piolle. Le Codase4, par exemple, structure départementale assurant l’essentiel de l’intervention d’éducateurs et éducatrices de rue5, déjà fragilisé sous Vallini, a perdu cette année 11 % de ses subventions départementales. La baisse progressive des subventions municipales aux associations d’éducation populaires (au réseau important de MJC6 sur la ville, notamment), ou le sabrage de la santé préventive dans les écoles par le dernier plan de rigueur de Piolle participent de la même façon à cette destruction du service social public de proximité. Elle s’accompagne d’une injonction sécuritaire renforcée. Le Codase s’est vu ainsi imposer de limiter ses actions à la déscolarisation et... à la prévention de la « radicalisation ». 

L’aménagement urbain, troisième pilier de la gestion des quartiers dits sensibles, repose aujourd’hui sur les destructions. A La Villeneuve, elles cherchent à répondre en partie à des impératifs sécuritaires, en ouvrant des accès aisés à de larges espaces jusqu’alors fermés par les barres d’immeubles. Elles s’attaquent en effet à un bâti de bonne qualité, alors que la ville continue de se construire et d’être en manque de logements sociaux. Une première tranche a été détruite, le « 50 galerie de l’Arlequin ». Le coût en logements disparus et financement public des travaux en a été phénoménal, sans aucun gain en termes de qualité de vie. Les travaux ont par contre permis d’élever un nouveau parking. Aubaine pour l’entreprise Effia, à qui la municipalité Piolle offrit en 2014 la concession (qui était auparavant municipale...).

Détruire, chasser, vendre, privatiser... Initiée par le PS en mépris total de la parole d’habitants, ces destructions sont appelées à s’étendre avec la municipalité actuelle. Deux nouvelles tranches sont annoncées, de nouveau sans aucune consultation de la population. Pourtant, là aussi, des collectifs militants cherchent à se faire entendre.

 

Des collectifs militants face aux défis de l’austérité.

La Villeneuve est un quartier où l’on sait se mobiliser. Des premières générations militantes, il reste bien des habitants, restés dans un quartier agréable à vivre. La convivialité est assurée par un réseau associatif dense et souvent inventif. Les générations de la marche pour l’égalité de 1983 et des déceptions face au PS y sont pleinement actives. Elles sont aujourd’hui rejointes par une jeunesse, souvent précaire, née ou installée dans le quartier, qui participe ou anime les luttes pour le logement, des structures auto-organisées, de l’éducation populaire, de l’anticolonialisme, de l’organisation politique (c’est essentiellement à partir de la Villeneuve qu’a été créé en 2015 un actif groupe FUIQP7

  • 1. Le quartier de la Villeneuve sortait de plusieurs nuits de confrontations entre quelques jeunes et les forces de police, suite à la mort d’un braqueur abattu par la BAC dans la cité. Le niveau de répression judiciaire des personnes arrêtées au cours de ces émeutes sera considérable.
  • 2. Avec la « promesse », déjà, de déchéance de nationalité pour des criminels binationaux.
  • 3. « La Villeneuve, l’utopie malgré tout », voir http ://www.publicsenat.fr/thema…
  • 4. « La Villeneuve, l’utopie malgré tout », voir http ://www.publicsenat.fr/thema…
  • 5. Comité dauphinois d’action socio-éducative.
  • 6. Maisons des jeunes et de la culture, associations issues de l’éducation populaire mais largement financées sur fonds municipaux.
  • 7. Front uni de l’immigration et des quartiers populaires, https ://www.le-tamis.info/struct…] , suite à une montée réussie à Paris pour la marche de la dignité et contre le racisme). 

    La Villeneuve est donc un quartier qui « compte » politiquement à Grenoble. Mais si cette importance est reconnue par l’essentiel du mouvement social grenoblois, la conjonction reste difficile entre ces réseaux militants essentiellement « blancs » et classe moyenne, et ceux des quartiers populaires. La Villeneuve n’y fait pas exception, malgré la densité et la mixité de ses réseaux militants. Lors de la mobilisation contre la loi Travail du printemps 2016, elle fut particulièrement peu mobilisée. La proximité géographique du terrain choisi par Nuit debout et occupé plusieurs semaines n’y changea pas grand-chose.

    Depuis juillet 2016, c’est la lutte contre le « plan de sauvegarde du service public » de la mairie de Grenoble qui nécessite une large unité. La Villeneuve souffrait déjà de l’austérité municipale. Les coupes du premier budget « Piolle » dans la culture avaient ainsi balayé l’important festival « Quartiers libres ».  Le nouveau plan de rigueur ne supprime pas de lieu à La Villeneuve même, mais deux bibliothèques municipales des quartiers voisins. Le mouvement qui s’est levé contre ce plan existe à la fois (un peu) sur les quartiers concernés, et par une intersyndicale CGT-SUD-FO de la mairie. Mais les différents rassemblements réussis (notamment devant – ou dans... – les conseils municipaux) ne mobilisent pas encore les populations les plus directement touchées... Nécessité pourtant décisive pour pouvoir gagner sur ce terrain, comme sur tant d’autres.

     

    José Rostier