Publié le Dimanche 7 janvier 2024 à 12h00.

Une petite dose d’anticapitalisme dans les institutions ?

Depuis juillet 2020, le NPA a bien un élu au conseil municipal de Bordeaux qui siège aussi au conseil de Bordeaux-Métropole (28 communes). Cela a fait suite à une campagne dynamique de « Bordeaux En Luttes », une liste unitaire avec des camarades de LFI, des manifestantEs Gilets jaunes, des syndicalistes, des jeunes et moins jeunes impliquéEs dans différentes associations et mobilisations. Résultat, nous avons obtenu trois éluEs. Entre-temps, nous avons malheureusement subi une scission causée par des désaccords politiques mais aussi par une incapacité à gérer collectivement plusieurs situations conflictuelles. 

Aujourd’hui, nous sommes un peu fragiliséEs mais nous ne lâchons rien et nous tenons le mieux que nous pouvons. L’essentiel est sauvé, à savoir une unité entre des militantEs Npa et LFI avec des sympathisantEs autour. Le groupe d’opposition de gauche « Bordeaux En Luttes » comprend donc deux éluEs, aidé par deux « collaborateurEs » à mi-temps, rémunéréEs par la ville. Nous avons aussi des moyens logistiques : un local-bureau, des ordinateurs, une photocopieuse, ça fait partie des moyens de fonctionnement donné aux groupes, dès qu’ils ont deux éluEs. Ouf, c’était limite pour nous ! On pourrait militer sans bien sûr, mais cela nous est très utile pour l’organisation du travail car nous avons une équipe militante qui assure cette activité politique très particulière, ingrate mais qui nous semble être importante.

Expliquer ce que serait une vraie politique de gauche

Être éluE, c’est une activité militante particulière. Depuis trois ans, nous apprenons, nous tentons de faire entendre une politique anticapitaliste au sein d’assemblées, à dominance de « gauche » certes, mais clairement dans la défense d’un système et d’institutions qui sont si peu démocratiques, si déconnectées des populations, surtout des milieux les plus modestes. Mathématiquement, il n’y a pas photo, nous ne pouvons rien changer, toutes les délibérations sont votées sans suspense, d’autant que gauche et droite s’unissent presque pour tous les votes.

Évidemment, parfois on se demande à quoi on peut servir, si tout notre travail (lecture des centaines de pages de délibérations) n’est pas finalement peine perdue. Nous doutons de notre efficacité, de nos possibilités. Surtout qu’en l’absence de mobilisations sociales dans les quartiers, nous sentons bien qu’il nous manque une force collective, celles des habitantEs en colère qui se défendraient, qui s’organiseraient par en bas et dont nous pourrions porter la parole.

Alors, nous utilisons l’espace qui nous est donné, nous intervenons très régulièrement pour critiquer la politique de la gauche qui n’est plus de gauche depuis longtemps, pour expliquer ce que pourrait être une vraie politique de gauche, une politique qui réponde aux besoins sociaux, qui s’adresse aux plus pauvres, qui, même au niveau local, ­pourrait redistribuer les richesses.

Défendre les services publics, visibiliser les colères et exprimer ses solidarités

Nous défendons sans relâche les services publics (logement, transport, dispensaires de santé, alimentaire…), nous défendons la nécessaire confrontation aux institutions qui n’osent pas franchir « des lignes jaunes », par exemple en réquisitionnant les logements vides, en s’attaquant aux grosses entreprises du privé, comme les affairistes et spéculateurs immobiliers, les gros propriétaires viticoles (pollution aux pesticides), les sociétés du tourisme industriel (paquebots de croisière)…

Nous faisons entendre des idées, des principes, des mots qui n’ont pas dû résonner souvent dans les salles des conseils municipaux et métropolitains. Nous tenons à rendre visible les employéEs des collectivités territoriales, leurs grèves, leurs revendications, leurs conditions de travail dégradées. Dans des enceintes où ça discute toujours gestion financière et administrative, et quasiment jamais de choix politiques et sociaux, nous tentons de politiser les débats, en parlant de luttes de classes en expliquant qu’il y a une confrontation entre le camp des privilégiés et des riches d’un côté, et le camp des précaires, des pauvres, des oppriméEs de l’autre. 

Aussi, nous mettons en avant dès que nous en avons l’occasion les solidarités internationales avec les peuples, comme récemment pour le peuple palestinien. Et comme nous avons la chance d’avoir un ministre macronien au conseil municipal [Thomas Cazenave, ministre du Budget depuis juillet 2023, NdlR], nous trouvons régulièrement les occasions pour nous attaquer à ce gouvernement autoritaire.

IsoléEs

Toutefois, il n’est jamais simple d’intervenir dans ces assemblées et ce n’est pas seulement parce que nous sommes ultra-minoritaires et très éloignéEs des politiques menées tout en continuité des politiques de droite précédentes. C’est surtout parce que, même si c’est à un degré moindre qu’à l’Assemblée nationale, nous sommes pris dans des ambiances de pouvoir, de rapports de forces, avec de l’arrogance et du mépris. On ne pèse pas grand-chose mais on dérange, on énerve parfois, on suscite une hostilité claire, une agressivité verbale de la part de la droite mais aussi de la gauche qui peut être très véhémente. Il y a eu un bel exemple lors des émeutes dans les quartiers populaires en juin-juillet derniers lorsque la droite et la gauche ainsi que le Parti communiste, ont tous eu des mots pour ­dénoncer les « violences urbaines », sans aucune compassion. Le fait d’exprimer seulEs contre 103 éluEs notre totale solidarité avec les jeunes révoltéEs, en dénonçant la misère et les discriminations, le racisme et les violences policières, a provoqué des cris d’indignations et des déclarations (de gauche) du genre : « vous n’avez rien à faire dans cette enceinte ­républicaine ».

Une expérience politique intéressante

Notre présence est révélatrice d’une institution faite pour les habituéEs du pouvoir. Pas besoin de parler pour se distinguer, notre seule présence est déjà perçue comme une anomalie, comme l’erreur d’un système électoral qui ne filtre pas assez bien les entrants. Cela rend notre tâche compliquée mais en même temps intéressante. Car le fait de déranger c’est déjà pas mal, et ce n’est pas pour nous déplaire. Le fait d’exprimer nos solidarités, nos colères, nos dénonciations et nos réponses ou nos choix politiques, c’est énorme. Parce qu’on apprend à les exprimer dans un endroit où nous avons finalement toutes les raisons d’être.

Il faut souligner, comme une complicité avec le système, le fait que les médias  locaux invisibilisent totalement notre activité d’éluEs. Cela n’aide pas à faire entendre nos combats en dehors des parlements bordelais et métropolitains. Car pour être utile, l’important serait ce lien entre les préoccupations des habitantEs, leurs ras-le-bol, leurs espoirs, leurs besoins et des éluEs comme nous. Nous en sommes convaincus, notre force et notre efficacité dépend des mobilisations populaires au quotidien.

Au fond, comme toute notre activité militante, ce travail d’élu militant est une expérience politique qui, nous l’espérons, est transmissible et utile pour la suite.