Le match Valls-Taubira a focalisé l’attention lors de l’examen de la future loi pénale. Cela ne doit cependant pas nous empêcher de réfléchir au fond de la politique menée sur ce plan par le gouvernement social-libéral, depuis son arrivée « aux affaires » en mai 2012.
Le ton était donné dans le programme du candidat Hollande. Sous le titre « Je veux donner à la police et à la justice les moyens de nous protéger », il tenait en peu de mots : doublement des centres éducatifs fermés pour les mineurs (proposition 52), « les peines prononcées seront toutes effectivement exécutées et les prisons seront conformes à nos principes de dignité » (proposition 53).
Avec une telle feuille de route, il n’est pas étonnant que la Garde des Sceaux (plus précisément son éphémère sous-ministre Delphine Batho, adepte de l’« ordre juste » de son ex-mentor Ségolène Royal) ait repoussé sèchement la proposition du contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, d’amnistier les peines de moins de six mois, ce qui aurait permis dès le début du quinquennat de réduire significativement et rapidement la population carcérale.
Plus inquiétant, Christiane Taubira a considéré la loi pénitentiaire Dati de novembre 2009 comme un acquis et n’a à aucun moment envisagé d’en modifier, même à minima, les dispositions les plus contestables. Est venue ensuite une circulaire générale de politique pénale qui recommande notamment aux juges de ne pas appliquer les peines planchers et leur demande (gentiment, car une circulaire n’a pas force de loi) d’avoir la pédale douce sur le recours à la prison et de privilégier les aménagements de peine.
Toujours plus de places de prison
Pas de timidité, en revanche, pour l’extension du parc carcéral. Tout en proclamant sa volonté de rompre avec le tout carcéral et en pleurnichant sur la prétendue obligation de maintenir les contrats de partenariat public/privé signé sous Sarkozy, la ministre garde de son programme immobilier la construction de cinq nouvelles prisons.
Certes, ces nouveaux établissements ont vocation à compenser la fermeture des prisons les plus vétustes, mais comme ce sont des « usines pénitentiaires »1 conçues pour héberger chacune jusqu’à 600 détenus, le solde sera positif. L’objectif affiché du ministère de la Justice est de porter en cinq ans le parc carcéral à 63 000 places contre un peu plus de 57 000 actuellement. L’humaniste Taubira n’a en rien infléchi l’axe sécuritaire du « Nouveau programme immobilier pénitentiaire » sarkozyste.
« Dans les prisons modernes, la préoccupation des gouvernements est la sécurité dite passive : pas de place pour l’humanité », soulignait en 2002 Céline Verzeletti, secrétaire générale de CGT pénitentiaire. La lecture du cahier des charges de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice est un catalogue effrayant de dispositifs architecturaux permettant de limiter les « risques », d’assurer « la protection » et « la riposte aux divers incidents ». Ce modèle de « sécurité défensive » repose sur la dissuasion, la surveillance, les contrôles et l’isolement des personnes détenues ; autant de recettes dont il a été établi qu’elles généraient d’avantage de tension et de violence en détention. Ce n’est pas pour rien que l’administration pénitentiaire a interdit la diffusion à la télé du documentaire « Le déménagement », qui dévoile les dégâts provoqués par les nouveautés technologiques en milieu carcéral.
En catimini, la Garde des Sceaux a rajouté une couche de son cru à la panoplie sécuritaire héritée de ses prédécesseurs. Sous la pression des syndicats pénitentiaires majoritaires après l’évasion à la maison d’arrêt de Lille-Sequedin, la ministre a annoncé en juin 2013 un plan de plus de 33 millions d’euros pour renforcer la sécurité des prisons à base de scanners, portiques à masse métallique, vidéo surveillance et autres expérimentations de brouillages de téléphones portables.
On le voit, les naïfs qui auraient pris pour argent comptant les proclamations de Christiane Taubira sur la fin du tout carcéral en seront pour leur frais.
L’obsession de la récidive
Car la grande affaire de Mme Taubira n’est pas de vider les prisons, mais la lutte contre la récidive. Le projet de loi qui porte ce nom, et vient de sortir au terme d’un bras de fer avec Manuel Valls, s’inspire des conclusions d’une « conférence de consensus », réunion d’experts et de syndicalistes, dont le jury a rédigé un texte préconisant deux mesures phares : la peine de probation et la libération conditionnelle automatique.
La contrainte pénale est une nouvelle peine possible lorsqu’un délit est puni d’une peine de moins de cinq ans. Pour une durée de six mois à cinq ans, le condamné est soumis à une série d’obligations et de contrôles, fixées par un juge d’application des peines après une évaluation de sa situation par un conseiller d’insertion et de probation. Ce sont les petits délinquants qui sont visés, population qui fournit le plus gros contingent de récidivistes. 59 % des détenus sont à nouveau condamnés dans les cinq ans qui suivent leur libération.
Françoise Tulkens, ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme (ce tribunal a condamné la France à plusieurs reprises pour sa politique carcérale), a présidé cette « conférence de consensus ». En termes mesurés, elle explique comment les conclusions de la dite conférence ont été dénaturés : « l’option étaient de faire de la peine de probation l’élément central qui absorberait l’ensemble des peines alternatives. Dans le projet de loi, la contrainte pénale n’est plus qu’une peine parmi les autres, elle est même au neuvième et dernier rang de l’échelle des peines correctionnelles, derrière en numéro un l’emprisonnement, puis l’amende puis le travail d’intérêt général, c’est préoccupant et indique que la prison reste toujours la peine première. »
Le projet abolit cependant les peines planchers – enfin ! – et met fin à la révocation automatique des sursis, qui devra désormais être réclamée par le tribunal.
Initialement, il prévoyait que pour les peines inférieures à cinq ans, le juge d’application des peines prononce d’office, sauf avis contraire, une libération conditionnelle aux deux tiers de la peine. Mais Valls a obtenu que la libération conditionnelle ne soit pas de droit, mais soumise à l’examen du juge aux deux tiers de la peine.
Par ailleurs, la nouvelle loi Taubira entraînera des reculs y compris par rapport aux mesures mises en place par le gouvernement précédent. L’un des rares points positifs de la loi pénitentiaire Dati était que le juge pouvait aménager comme il le souhaitait les peines inférieures à deux ans (de moins d’un an pour les récidivistes) au moyen de travaux d’intérêt général, d’indemnisations, d’obligations de soins, de bracelets électroniques… Or Valls a obtenu que ces seuils soient abaissés à un an pour les primo condamnés et à six mois pour les récidivistes.
Relancer la lutte contre le tout sécuritaire
L’un des seuls points un peu positifs de ce projet de réforme pénale est de prévoir le recrutement en trois ans d’un nombre significatif de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), ce qui permettrait presque d’atteindre le ratio utile – et revendiqué par les syndicats – d’un conseiller pour quarante justiciables.
Il reste que les détenus et leurs familles sont les grands absents de la bataille autour de la réforme pénale Taubira. A leurs côtés, les organisations militantes paraissent tétanisées. C’est notamment le cas du CLEJ2, qui ne parvient pas à relancer la résistance à l’offensive sécuritaire en cours. Le récent livre d’Anne Guérin « Prisonniers en révolte » nous rappelle pourtant qu’il y a quarante ans, ce sont bien les grandes révoltes collectives dans les prisons (1971/1974) qui ont entraîné les réformes libérales consenties par Giscard.
La loi sera présentée au parlement en avril 2014, entre les municipales (en mars) et les européennes (en mai). Cela laisse du temps pour se ressaisir, ne serait-ce que pour imposer à l’agenda, outre la mise en application intégrale des conclusions du jury de consensus, la suppression de la rétention de sûreté et des tribunaux correctionnels pour mineurs.
André Choagaz
Notes :
1 Selon les termes du contrôleur général, Jean-Marie Delarue, dont les avis sont régulièrement ignorés par l’administration pénitentiaire.
2 Comité de liaison égalité justice, dont le NPA fait partie avec notamment le Syndicat de la Magistrature, le GENEPI, la LDH, le PCF, le SNPJJ.