Publié le Samedi 12 novembre 2016 à 08h40.

« Obtenir la justice pour Adama, contre l’impunité des meurtres commis par la police »

Entretien. Âgé de 24 ans, Adama Traoré est mort le 19 juillet dernier lors de son interpellation par trois gendarmes à Beaumont-sur-Oise (Val d’Oise). Après la grande marche pour Adama organisée à Paris samedi 5 novembre, nous avons rencontré Assa Traoré, sa sœur, qui continue à lutter pour obtenir la vérité et la justice sur la mort de son frère.

Quel bilan tires-tu de cette nouvelle manifestation ?

C’est pour nous un énorme succès de voir toutes ces personnes qui sont venues pour Adama, soutenir les familles de ceux qui sont victimes de la violence de l’État français, pour obtenir la justice pour Adama, contre l’impunité des meurtres commis par la police, des choses qu’ils font subir à ces citoyens-là... Cette marche, c’était quelque chose de très fort et de très grand. Tout le monde était là, toutes couleurs, toutes confessions, toutes origines confondues, c’est ça qui est fort, c’est ça qui représente la France... Que l’on ait réussi à faire cela, c’est génial !

Après la manifestation, il y eu le rassemblement place de la République, avec les prises de parole des familles. Dans toutes les interventions, il y avait une cohérence...

Je pense que c’est une très bonne chose, mais je me dis que malheureusement on en vient à répéter les mêmes choses. Ce sont toutes les familles de victimes qui ont pris la parole, et nous, ont était et on sera toujours avec ces familles. Mais si on veut qu’Adama soit une des dernières victimes des crimes et des violences des policiers ou des gendarmes, il faudra faire plus que ça. Alors bien sûr que c’est cohérent, parce que, depuis plusieurs années, c’est toujours le même récit, c’est toujours la même forme... Alors la cohérence, elle est bien visible, elle est palpable... et c’est ça qu’il faut changer !

Ne penses-tu pas que l’on assiste un peu à une « américanisation » de la situation ici ? Un peu à l’image du mouvement « Black lives matter » en riposte aux crimes racistes de la police...

Oui oui, quand je vois les groupes Black lives matter, je crois qu’ils sont en train de reproduire la même chose que ce qui se passe aux États-Unis... Ce qui se passe en France est une copie conforme de ce qui se passe là-bas, et plus on avance dans le temps, plus ça y ressemble. L’objectif de la marche de samedi, c’est de contrer tout ça. Les flics veulent détruire nos vies en toute impunité...

À ce propos, que penses-tu des manifestations de policiers qui, depuis plusieurs semaines, demandent qu’on applique systématiquement la présomption de légitime défense dans le cadre de leurs interventions ?

Ce sont des manifestations qui me font peur, qui sont très violentes, qui ne sont pas déclarées, et où ils demandent un permis de tuer en toute légalité. Ils sont cagoulés, ils sont armés... Donc ces manifestations devraient nous faire peur, doivent nous faire peur ! Comme je l’ai déjà dit, la France doit faire une révolution si on ne veut pas tomber dans quelque chose où l’on peut tuer légalement, en toute impunité.

Dans le même temps, on assiste aussi à la destruction du bidonville de Calais et des campements parisiens. Quel est ton sentiment par rapport au traitement réservé aux migrantEs et réfugiéEs ? Y a-t-il selon toi quelque chose de commun qui puisse surgir de cela ?

Le traitement qui leur est fait, les conditions de vie qu’on leur impose, ce ne sont pas les valeurs de la France. Historiquement, c’est la France qui est venu chercher les immigréEs quand elle avait besoin d’eux. Ils se sont battus à ses côtés, ils ne sont pas arrivés ici comme ça. Aujourd’hui, pour qu’il y ait une convergence, il faut qu’on puisse se mobiliser pour ces personnes-là, puisqu’on ne peut pas rester à regarder sans rien faire... C’est quelque chose d’affreux et de honteux pour la France. On ne devrait pas être spectateurs de ça, mais au contraire, se mobiliser, faire que les valeurs de la France aillent dans le bon sens, en les traitant dignement.

Dans certains endroits, notamment en Bretagne, on a vu des actes de fraternisation, d’accueil solidaire, de bienvenue aux migrantEs (pique-nique de solidarité, contre-­manifestations lorsque le FN appelait à des rassemblements racistes et haineux)...

C’est un message d’espoir qu’il faut vraiment faire circuler. Je pense aussi qu’aujourd’hui tous ces Français voient bien que la France se déshumanise, est irrespectueuse envers les êtres humains... Ces citoyens-là, ils ne veulent plus de ça. Il faut donc faire quelque chose qui redonne l’espoir à tout le monde.

Tous les ans, le 17 mars, ou le week-end qui suit, il y a une journée internationale de lutte contre le racisme et le fascisme, et de soutien aux migrantEs. Cela donne lieu notamment en Grèce et au Royaume-Uni à de grandes manifestations, un peu moins nombreuses hélas en France. Cette année, ne serait-il pas important de s’emparer de cette date ?

Bien sûr, bien sûr ! Si on arrive à faire quelque chose, à organiser une grosse journée contre le racisme et les crimes policiers racistes, ce serait un point fort ! Mais avant d’y arriver, il faut sensibiliser tout ces putains de gens qui ne nous connaissent pas, qui nous voient seulement de temps en temps à la télé ! Et ce qu’on entend à la télé, ce qu’on voit à la télé, ce n’est pas forcément vrai ! Le jour où on arrivera à faire un vrai travail de fond pour toucher ces personnes-là.... Si on arrive à faire cette grosse journée, ce serait génial ! Les Français vivent souvent dans l’ignorance et avec ce que les médias véhiculent.

Où en est le traitement judiciaire du dossier d’Adama ? Et quelles sont les prochaines mobilisations sur le sujet ?

Samedi, dans les rues de Paris, nous avons demandé la mise en examen du ou des gendarmes impliqués dans cette affaire. On attend de savoir quel juge sera en charge du dossier. Les gendarmes devront répondre aux multiples questions posées, avant, nous l’espérons, d’être mis en examen.

On est aussi en train de monter l’association « Justice pour Adama ». On a également pour projet l’organisation d’un grand gala. Pour finir, je pense que sur chaque histoire, il faut un ou une porte-parole, pour faire passer l’émotion. Ça m’a particulièrement touchée lors des prises de parolesaprès la manifestation. Et maintenant il va falloir frapper plus fort, arriver à un truc énorme dans toute la France !

Propos recueillis par Alain Pojolat