Publié le Samedi 4 juillet 2015 à 08h09.

Par où commencer ?

Le débat qui s’ouvre sur les questions stratégiques est une bonne nouvelle, et cela très clairement parce que nous n’avons pas, ni les unEs ni les autres, de réponses toutes faites ni définitives sur les questions qui nous sont posées. Mais nous avons tout intérêt à approfondir collectivement notre réflexion, face aux difficultés auxquelles nous sommes confrontées.

Cela concerne tout aussi bien la paralysie interne d’une organisation comme le NPA, rattrapée aujourd’hui par la faiblesse de son projet initial, que l’impression de décomposition d’un mouvement ouvrier en plein recul, du moins tel qu’on peut le voir depuis la France et l’Europe, et corrélativement l’impression de chaos qui semble émerger d’un monde toujours plus complexe, comme si le capitalisme semblait étouffer dans ses propres contradictions, faute de perspective et de point d’appui solides.

C’est évidemment le troisième terme par lequel il faut commencer, ce qui nécessite d’emblée de préciser deux problèmes qui sont plutôt d’ordre méthodologique.

Le premier concerne l’usage des références théoriques qui agissent comme autant de présupposés. Autant le dire aussi clairement, il n’y a pas accord entre nous sur les grilles de lecture (du moins leur usage) ni sur la compréhension que nous pouvons avoir du passé. Or cela influe considérablement sur la réflexion que nous pouvons avoir aujourd’hui sur le monde actuel, mais souvent d’une manière qui reste implicite.

Ce n’est pas un drame non plus. On pourrait même dire en positif que cela aurait dû être l’une des fonctions du NPA de nous enrichir mutuellement à partir de nos traditions différentes, plutôt que de faire croire à un accord de façade, ou de prétendre que ces questions n’avaient aucun intérêt pour avancer ensemble.

J’ai écrit une contribution longue sur la question de l’impérialisme qui me servira ici de texte de référence1.

Le deuxième problème concerne l’articulation que nous pouvons essayer de faire entre l’analyse des contradictions objectives du capitalisme et la part du volontarisme qui influe également sur ces contradictions, celle de l’action politique qui concerne plus directement les acteurs (comme les classes sociales ou les organisations) avec leurs prises de position stratégiques et tactiques, en particulier face au réformisme.

Je partage avec Yvan une préoccupation : ancrer notre réflexion dans le réel et conserver comme boussole le matérialisme historique, nous préserver de toute forme de moralisme et de subjectivisme qui se substituent bien souvent à la réflexion politique, tout en ayant conscience de nos propres faiblesses, à commencer par notre perméabilités aux courants d’air qui passent. Ce qui veut dire aussi rompre avec les habitudes du gauchisme qui ne se pense en premier lieu que par rapport aux autres, plutôt que définir sa propre politique en fonction des besoins de la situation.

Mais une fois que l’on a dit ça ? Des contradictions du capitalisme, on ne peut pas tirer malheureusement beaucoup de certitudes, pas même l’idée que tôt ou tard la vieille taupe aura forcément bien travaillé pour nous. On peut certes répéter en boucle la longue liste des contradictions du capitalisme et conclure (comme toujours, comme avant, comme d’hab’…) que nous vivons le temps des guerres et des révolutions. Mais c’est toute la faiblesse de l’anticapitalisme si on en reste là, avant de passer aux travaux pratiques et s’apercevoir que tout reste à faire et à réfléchir. Le questionnement à cette étape n’est donc pas un supplément d’âme, encore moins un état d’âme. Prenons-le vraiment au sérieux !

Jean-François Cabral (Montreuil)

  • 1. « Sur l’impérialisme du XXI ° siècle et ses enjeux stratégiques, notes critiques » : http://www.npa2009.org/i…]. Certains camarades ont semble-t-il trouvé bizarre de commencer par un détour sur la question cubaine et de vieilles discussions sur la révolution permanente. Cela me parait au contraire indispensable et pleinement d’actualité, car il y a selon moi une continuité de raisonnement chez les camarades d’une certaine tradition issue de la LCR entre l’anti-impérialisme d’hier justifiant bien des solidarités mais aussi parfois un certain alignement politique, et une certaine forme de renoncement face aux interventions de l’impérialisme aujourd’hui, en particulier contre l’Etat islamique au nom de la solidarité avec les Kurdes.

    Mais ce détour n’est en même temps intéressant que si nous sommes bien conscient les unEs et les autres que nos références souvent communes (même si on en fait une lecture qui n’est pas la même !) sont de toute façon obsolètes (ce qui ne veut pas dire inutiles !). L’impérialisme d’aujourd’hui est bien différent de celui de Lénine. Et ce n’est pas être pédant que de dire aux camarades (à commencer par moi-même) qu’il y a sans doute bien besoin de nous mettre à la page, et qu’à la base d’un certain nombre de questions stratégiques il y a des problèmes qui relèvent de la théorie, tant la réflexion sur cette question a considérablement évolué depuis une dizaine d’années chez les auteurs se réclamant du marxismeOutre les contributions de Michel Husson, Claudio Katz, Alex Callinicos et David Harvey, celles de Wood E. Meiksins, Leo Panitch et Sam Gindin me semblent également incontournables.