Le 17 octobre 2017, plusieurs manifestations et rassemblements ont eu lieu pour commémorer le crime d’État du 17 octobre 1961. Retour sur une page sombre de l’histoire coloniale française.
Le soir du 17 octobre 1961 ont lieu, à Paris et dans la région parisienne, des manifestations pacifiques selon des consignes claires : « pas d’armes, pas de provocation », à l’appel de la Fédération de France du FLN (Front de libération nationale algérien). Depuis plusieurs mois déjà les AlgérienNEs, alors appelés « Français musulmans d’Algérie », subissent des fouilles, des arrestations et des détentions arbitraires. Le 17 octobre, il s’agit de protester à la fois contre le couvre-feu discriminatoire décrété le 5 octobre 1961, contre la répression policière et pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Une nuit d’épouvante
Les manifestants sont frappés avec des énormes bâtons, les « bidules », ou sont abattus par balles et jetés dans la Seine. C’est une nuit d’épouvante. Un grand nombre d’Algériens seront tués par la police en plein Paris : l’estimation de l’historien Jean-Luc Einaudi est de 265 morts.
11 538 manifestants sont officiellement détenus ce soir-là et sont transférés dans divers stades où ils et elles subissent les pires brutalités.
Le 20 octobre 1961, des femmes algériennes manifestent devant l’Hôtel de ville de Paris et ailleurs en France, et exigent la libération de leur époux, de leurs enfants. À Paris, 513 d’entre elles et 118 enfants sont conduits dans les commissariats centraux…
Les personnages clés de ce massacre : Charles de Gaulle, chef de l’État ; Michel Debré, Premier ministre ; Roger Frey, ministre de l’Intérieur ; Maurice Papon, préfet de police à Paris.
Esprit colonial
La haine anti-algérienne de nombreux policiers et gardes mobiles, éduqués dans l’esprit colonial, est au cœur de ce 17 octobre 1961, et l’« État de droit » n’est alors rien d’autre qu’un État policier et militaire qui commet impunément des crimes, se sert d’une presse muselée par la censure, d’une radio/télévision aux ordres et bloque toute commission d’enquête.
De la manifestation du 17 octobre 1961, M. Papon dressa son bilan en disant qu’il y avait eu 2 morts par légitime défense, alors qu’aucun manifestant n’était armé. Maurice Papon est l’ex-préfet du département de Constantine entre septembre 1949 et décembre 1951, puis IGAME de l’Est algérien de février 1956 à mars 1958. Il avait aussi été, durant l’occupation nazie, secrétaire général de la préfecture de la Gironde. Il fut condamné le 2 avril 1998 par la cour d’assisses de la Gironde à une peine de 10 ans de réclusion criminelle, d’interdiction des droits civiques, civils et de famille pour « complicité de crimes contre l’humanité ».
Un massacre qui reste dans l’ombre
Après le massacre, la CGT demanda la libération des emprisonnéEs et internéEs, l’arrêt des expulsions et la suppression des mesures particulières frappant les AlgérienNEs. Les étudiantEs, emmenés par l’UNEF, manifestèrent dans le Quartier latin. « Ce qu’on ne sait pas, explique la revue Esprit, ce qu’on entrevoit, ce qu’on saura un jour, c’est le nombre de ceux qui ont été liquidés en secret… Ce qui se passait quotidiennement en Algérie s’est donc produit à Paris, et la Seine charrie les frères des cadavres qui dorment au fond de la baie d’Alger ».
Le 8 février 1962, face à la montée du terrorisme en Algérie et en France, organisé par des ultras de l’Algérie Française (qui avaient créé en février 1961 l’OAS – Organisation de l’armée secrète), une manifestation a lieu à Paris. La manifestation est interdite et, sur ordre des autorités, la police charge : neuf manifestants de la CGT sont piétinés et battus à mort au métro Charonne.
Quelques semaines plus tard, ce sont l’indépendance de l’Algérie, le retour des soldats du contingent, et une nouvelle situation nationale et internationale qui retiennent l’attention. Le massacre du 17 octobre 1961 sera longtemps laissé dans l’ombre, et des zones d’obscurité persistent toujours : d’où la revendication maintenue, 56 ans plus tard, de vérité et de justice.
Collectif « D’ailleurs nous sommes d’ici » 67