Le Rassemblement national est souvent qualifié de parti caméléon, au programme volatile. Cette caractéristique n’est pas le signe d’une absence de projet politique cohérent. Le positionnement récent du RN l’illustre, avec sa prétention à l’alternance, depuis son arrivée massive à l’Assemblée nationale.
Selon un sondage Louis Harris, les parlementaires du RN arrivent en tête des éluEs s’opposant le mieux au gouvernement. Ils font surtout partie du groupe parlementaire qui s’abstient le plus. Sûr de lui dans son ascension électorale, le RN avance par conquête de strates idéologiques successives, supposant chaque étape acquise. Sa dernière campagne présidentielle s’est centrée sur le « pouvoir d’achat », trouvant un écho avec la mobilisation pour les retraites et la crise énergétique. Mais le RN ne trahit jamais ses fondamentaux. Il profite ainsi du débat autour du RSA pour décentrer la question sociale sur la préférence nationale (« réserver le RSA aux Français permettrait déjà de limiter les abus », Sébastien Chenu) et sur la famille, en s’intéressant particulièrement aux femmes « ayant fait le choix de rester au foyer » (Caroline Parmentier).
Gestionnaires de l’appareil d’État
Sans abandonner sa prétention sociale, le RN fait sa rentrée en exacerbant son nationalisme, louant la « France (…) une grande nation, une identité millénaire, une culture, un génie, des frontières et une prospérité à conquérir ». Bardella avait déjà tracé le clivage à venir de sa campagne européenne : les « partisans de la puissance » de la France, « à la fois industrielle, régalienne, technologique, culturelle, diplomatique », comme « moyen d’exister dans la mondialisation », face à ceux qui « s’accommodent de son déclin ».
Au-delà de la dispute de l’électorat LR avec Marion Maréchal, Jordan Bardella drague le patronat pour son œuvre de redressement, vieille antienne des extrêmes droites. Les sujets autour du numérique, de l’armement et de la filière nucléaire, sont autant d’appels à rassurer la bourgeoisie déjà appâtée par les exonérations de charges patronales. Face aux critiques qui redoutent une aggravation du déficit et une mise en marge de l’Union européenne, Marine Le Pen et ses troupes ont besoin de passer pour des gestionnaires crédibles de l’appareil d’État. En saluant « la productivité des travailleurs français » leur « génie » et leur « créativité » qui ont permis à la France d’« innover, produire et s’enrichir, clé de la solidarité nationale », Bardella cherche à gagner une confiance électorale suffisamment large.
Cette supercherie tient sur un mélange de collaboration de classe et de xénophobie. Les revirements du RN sont le moyen de concilier des tendances diverses. Ils dessinent surtout son projet politique, synthèse du national et du social. Démontrer son imposture en avançant des mesures utiles pour les classes populaires reste la tâche majeure à mener, en direction d’une partie de son électorat et des abstentionnistes non encore acquis.