Les grandes villes bien sûr : Bayonne, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Paris, Rennes, Strasbourg, Toulouse… mais aussi Briançon, Foix, Dunkerque, Verdun, Royan, Privas, Tarbes, Lannion, Romans, Montauban, Figeac… Le vendredi 18 décembre, ce sont des manifestations dans plus de 50 villes sur tout le territoire, autour des mots d’ordre de l’Acte 4 du mouvement des sans-papiers : « Liberté, Égalité, Papiers ! »
Quelque chose a commencé à changer grâce à la mobilisation extraordinaire de ce mouvement depuis le 30 mai dernier et la marche nationale des sans-papiers de septembre et octobre.
Un mouvement qui s’étend
Ce sont désormais 24 collectifs de sans-papiers qui sont à l’initiative, pas seulement dans la région parisienne et à Lille mais aussi à Marseille, Grenoble, Lyon, Strasbourg, Montpellier. Sur la base de cet Acte 4 un collectif va naître à Rennes. Un collectif de couturiers sans-papiers est né dans le quartier de la Goutte d’or à Paris : ces couturiers qui très significativement ont fabriqué les masques pour Anne Hidalgo, maire de Paris, alors qu’il en manquait partout ! À Rouen ce sont des femmes sans-papiers qui s’engagent dans la lutte.
Et ce sont bien sûr les réseaux qui se sont mobilisés sur toutes les étapes de la marche de cet automne, dynamisés par elle, qui sont les locomotives de cet Acte 4, entraînant dans leur sillage d’autres villes. Comme à Paris, les collectifs de Grenoble envisagent d’occuper une place, à titre d’avertissement. À Montpellier, symboliquement, la manifestation sera précédée par un campement devant la mairie.
Le mouvement a aussi un impact sur les réseaux syndicaux, pas seulement au travers des structures syndicales nationales qui appellent. Plus directement des structures locales s’engagent, Unions départementales ou locales de Solidaires, de la CGT ou de la FSU, syndicats de secteurs (SUD Culture, SUD Education, CGT énergie Paris, comité national de la CGT précaires et chômeurs…). Bien que n’ayant pas signé l’appel national, la CGT confédérale a appelé « l’ensemble des salariéEs » à se joindre aux manifestations.
Et ce train bouscule d’autres sphères plus proches des cercles institutionnels. 14 structures dont la Ligue de l’enseignement, la LDH, Médecins du Monde, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature appellent à rejoindre les initiatives en prenant position pour la liberté de circulation et d’installation et en exigeant une régularisation massive des sans-papiers.
Face à l’invisibilisation
Voilà ce qui a commencé à changer et qui a une signification politique. Grâce à la détermination et à la réalité d’un mouvement de solidarité sur tout le territoire, ce qui était caché, invisibilisé est en passe de devenir un enjeu politique public. Et cet enjeu politique explique alors d’autant mieux les raisons pour lesquelles tout été fait pour l’invisibiliser.
Car poser la question des migrantEs c’est poser des questions essentielles pour toute la logique de la société dans laquelle nous vivons : celle des rapports nord/sud, celle de la la production presqu’indécente de richesses et de technologies s’accompagnant d’inégalités sociales de plus en plus criantes et généralisées et d’atteintes de plus en plus profondes aux libertés, à commencer par celle de circuler.
Car le statut même de sans-papiers impose, inlassablement et irréductiblement, dès qu’il est reconnu, s’il n’est pas remis en cause, de devoir justifier l’inégalité à tous les niveaux. D’où découlent, pour celles et ceux qui la tolèrent alors, le racisme (les Français d’abord) et l’idée qu’il n’y a pas assez de moyens. Arguments dont on voit explicitement en ce moment comment, en se généralisant, ils se mettent à attaquer des couches de plus en plus larges de toute la société.
Pas de hasard donc si, pour se donner stature – ridiculement – historique, Macron ait choisi de célébrer la IIIe République de 1870, celle qui justifiait la colonisation par le devoir des races supérieures à civiliser les races inférieures et celle qui écrasa dans le sang la Commune de Paris.
Faire classe commune avec les sans-papiers
La question se met à être posée publiquement. Voilà ce qui a commencé à changer, qu’il faut amplifier par la mobilisation.
Mais il faut tout de suite ajouter que, dans les faits, rien n’a changé. Beaucoup se sont indignés mais les migrantEs évacués de la place de la République… sont toujours à la rue. Sous l’impulsion du gouvernement français les mesures européennes ne font que se durcir multipliant les drames sur les routes de la migration. Les conditions de survie des sans-papiers et leur surexploitation ne font qu’empirer. Et les couturierEs qui ont fabriqué des masques pour Anne Hidalgo sont toujours à la merci d’un contrôle policier.
Qui ne peut voir à quel point toutes ces logiques nous entraînent dans une spirale de plus en plus sale et dramatique ? Puisque cela devient visible, puisque les images ont circulé, celles de la place de la République, celles des enfants qui se noient en mer, alors vient la conséquence directe : une société qui accepterait cela, se tait et baisse les yeux, se condamnerait à encore plus de violences et plus d’inégalités.
La force qu’a pris ce mouvement embarrasse le pouvoir, confirmant ce que nous disions après la manifestation du 17 octobre. Le silence de Macron sur la question n’est pas que du mépris. Vous en voulez un dernier signe ? Après des semaines de silence, trois jours avant le 18 décembre, la préfecture de Paris a fini par autoriser la manifestation parisienne sur un parcours défiant toutes les règles des parcours négociés (centre de Paris, boulevard Sébastopol et rue de Rivoli à contre-sens…) dans un contexte pourtant ultra-répressif. Ce train commence à bousculer les choses et empoisonne le pouvoir. C’est le moment de monter dedans. Faire classe commune avec les sans-papiers, c’est construire des bases solides pour ne plus reculer sur rien.