Depuis deux semaines, le feuilleton Valls Dieudonné occupe le devant de la scène jusqu’à l’overdose, alimentant une confusion idéologique et politique. Une diversion savamment orchestrée.
Rappel des faits : la circulaire Valls du 6 janvier demandant aux préfets d’interdire les spectacles de Dieudonné est suivie le 7 par un arrêté du préfet de Loire-Atlantique interdisant le spectacle prévu à Nantes. Puis le 8 à 14 h 30, annulation de l’arrêté préfectoral par le tribunal administratif de Nantes. À 17 h, Valls saisit en référé le Conseil d’État, et à 18 h le magistrat maintient l’interdiction du spectacle, cassant la décision du tribunal administratif de Nantes et donnant raison au gouvernement…
Dieudonné, le bouffon antisémite, ne fait pas rireDieudonné est antisémite, ses liens avec l’extrême droite, du Front national à Soral, sont bien connus, et ses spectacles puent le racisme et l’homophobie. Et ce n’est pas nouveau. S’il fut par le passé un humoriste et un militant antiraciste, il n’a pas hésité en 2008 à décerner le « prix de l’insolence » au négationniste Robert Faurisson, dans une mise en scène antisémite à vomir. Plus aucun doute n’était permis. Nous ne serons jamais de ceux qui relativisent, excusent ou banalisent les propos racistes. Les paroles préparent et permettent les actes, les agressions, les crimes. Pour nous, sans aucune ambiguïté, le racisme, l’antisémitisme, l’islamophobie, comme le sexisme ou l’homophobie, ne sont pas des opinions, mais des délits qui doivent être condamnés. Et il y a largement matière à condamnation dans les spectacles et déclarations de Dieudonné.
L’interdiction par Valls est dangereuse et inefficaceLe ministre de l’Intérieur est totalement disqualifié pour prétendre mener le combat antiraciste. Outre ses déclarations contre les Roms, il poursuit une politique d’expulsion des sans-papiers, de discriminations à l’égard des étrangerEs, des musulmanEs, de destruction des campements de Roms…Valls mène aussi une politique sécuritaire. L’interdiction d’un spectacle est une interdiction à priori. Comme il le revendique lui-même dans sa circulaire, c’est une justice d’exception, et l’exception ne fait jamais bon ménage avec la justice. Ces derniers temps, les décisions de justice à caractère politique se multiplient. Ainsi, le parquet général de Lyon fait appel contre la relaxe des cinq militants CGT de Roanne poursuivis pour avoir refusé un prélèvement d’ADN. Dans l’affaire Dieudonné, le Conseil d’État a donné raison à Valls en une petite heure. Avec la même rapidité, il avait confirmé lors du mouvement sur les retraites en 2010 la réquisition des grévistes du dépôt de carburant pour l’aéroport Charles-de-Gaulle ! Celles et ceux qui attendent des années pour qu’un tribunal oblige enfin leur patrons à payer leur salaires ont de quoi enrager. Justice aux ordres, justice nulle part !Si Valls voulait faire de la publicité à Dieudonné, il ne s’y prendrait pas autrement. Pire, en donnant l’image du pouvoir politique voulant le faire taire, il conforte l’image usurpée de « rebelle » victime du système que cherche à se construire Dieudonné, lui attirant la sympathie de celles et ceux qui n’en peuvent plus de l’injustice, de l’exclusion, du mépris. Il jette dans les bras d’un multi-millionnaire antisémite, fraudeur d’extrême droite, des exploitéEs et des oppriméEs que tout le brouillage idéologique actuel amène à se tromper de colère.
La mobilisation comme seul rempartValls et le gouvernement cherchent à faire diversion, à faire oublier les attaques antisociales, en saturant l’actualité avec ce vrai faux duel. À l’inverse, ils instrumentalisent l’antiracisme, contribuant ainsi à pourrir un climat politique et à renforcer l’extrême droite, en même temps qu’ils refusent toute mesure réelle contre les discriminations.Le droit de vote des immigréEs, le rapport « sur l’intégration » remis le 13 novembre à Ayrault qui préconise des mesures concrètes pour l’égalité d’accès aux prestations (APSA ou RSA), l’abrogation des lois discriminatoires, la reconnaissance des identités multiples et des cultures plurielles à l’école comme dans les lieux culturels… sont purement et simplement enterrés.Le combat contre le racisme et contre l’extrême droite doit être mené malgré et contre le gouvernement par le mouvement social, le mouvement syndical, la gauche non gouvernementale, dans les lieux de vie, de travail, d’étude. Ce combat ne sera efficace que s’il s’inscrit dans un projet émancipateur combinant partage des richesses, partage du travail, égalité des droits et démocratie réelle, dans le cadre d’une mobilisation capable de reconquérir le terrain de la contestation, de la subversion et d’en chasser les faux rebelles démagogues.
Christine Poupin