Il est bien sûr trop tôt pour dire que ce samedi 30 mai aura été un tournant. Mais les ingrédients sont là. Le matin, des milliers ont défilé dans les rues de Maubeuge dans le Nord contre les annonces de suppressions d’emplois à Renault et la menace de fermeture de leur usine. Et l’après-midi à Paris, des milliers de sans-papiers ont imposé leur droit de manifester pour leur régularisation.
À Paris, la manifestation avait été interdite sous le prétexte de la crise sanitaire. Mais, sous l’impulsion des collectifs de sans-papiers, la Marche des Solidarités avait maintenu l’appel et décidé de braver l’interdiction.
Dispositif policier débordé
Le pouvoir avait prévenu que les moyens seraient pris pour empêcher la manifestation.
Et les moyens ont été utilisés sans ménagement : arrestation des premierEs arrivéEs sur les deux places de l’ouest parisien (Madeleine et Opéra) bouclées par le dispositif policier, charges et matraquages sur les groupes tentant malgré tout de rallier la place, utilisation massive de gaz lacrymogène. Mais le dispositif n’a pu tenir car il a été débordé.
Il a été débordé d’abord par le nombre, car des groupes et des cortèges sont arrivés de partout à Madeleine comme à Opéra, multipliant les fronts, prenant ici et là à revers les cordons de police occupés à tenter de repousser les manifestantEs. De plus, parti de Montreuil, à l’autre extrémité de Paris, et ne pouvant prendre le métro, un cortège de 1000 sans-Papiers et soutiens, ont décidé de traverser toute la ville pour rejoindre le lieu appelé pour la manifestation. Une partie du dispositif policer a dû partir en urgence pour les bloquer. Et face à la détermination des manifestantEs ces effectifs policiers n’ont jamais pu décrocher pour retourner bloquer Opéra ou Madeleine.
Il a été débordé ensuite par la détermination des sans-papiers. Car plutôt que de partir à la première ou la seconde charge de la police, les cortèges se reformaient pour repartir à l’assaut et tenter d’accéder à la place de rassemblement. Jusqu’à ce que le dispositif policier soit contraint de refluer.
Ce sont alors de milliers de sans-papiers et de soutiens qui ont conflué. Après la place de l’Opéra libérée ce fut le tour de Madeleine et un immense cortège s’est constitué, rejoint par des personnes apprenant par les réseaux sociaux que la manifestation se tenait comme promis et qu’une véritable vague humaine s’était formée pour traverser Paris.
À Paris… et ailleurs
La manifestation avait été interdite, elle s’est tenue. Et les migrantEs, symboles de tous les obstacles mis au droit de circuler, en première ligne face à la répression et l’exploitation, sont devenus la pointe avancée de la lutte pour la liberté. Après plus de deux mois de confinement, aux côtés des travailleurEs de Renault, en prenant tous les risques ils et elles ont réouvert la voie du combat.
C’est sans doute pour cela qu’il y a eu un écho sans précédent pour cette manifestation à laquelle peu croyaient y compris à gauche. Écho médiatique bien sûr, ainsi que réactions indignées des fascistes et de toute la droite dont le contenu violemment raciste illustre le niveau des enjeux pour toute la société. Mais aussi écho enthousiaste chez tous ceux et toutes celles à qui cette démonstration de détermination des sans-papiers redonne espoir. Un des commentaires à la publication du communiqué de la Marche des Solidarités sur son blog en donne le ton : « Vous ne le savez peut-être pas, mais devant nos écrans, faute d'être à la capitale, nous étions nombreux à en pleurer tellement nous étions fiers de vous. » Des vidéos circulent sur tous les réseaux sociaux.
Des rassemblements et manifestations ont aussi eu lieu dans de nombreuses villes du pays, malgré les pressions policières, de 100 à 400 manifestantEs à Lyon, Rennes, Rouen, Lille, Strasbourg, Limoges, Grenoble, Poitiers, Nîmes, Perpignan, Orléans, Le Havre… mais aussi à Bruxelles ou Bologne.
Des suites auront lieu rapidement avec de nouveaux rendez-vous dans les prochaines semaines. Parce qu’il ne s’agit pas seulement du droit de manifester mais bien d’obtenir la régularisation de touTEs les sans-papiers, des logements pour touTEs, la fermeture des centres de rétention. Et que, comme à Minneapolis, l’enjeu de cette lutte est déterminant pour toute la société. Et c’est aussi un tremplin pour la journée nationale de mobilisation dans les hôpitaux appelée par les collectifs de lutte et les syndicats le 16 juin. Comme le disait l’affiche sortie pour cette manifestation du 30 mai : « Santé = égalité + liberté + solidarité ».
Les jours qui viennent nous diront si le 30 mai a été un tournant. Il faut tout faire maintenant pour que ce soit le cas. Le monde d’après, c’est maintenant !
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