Publié le Mercredi 14 septembre 2016 à 08h56.

Migrant-E-s : Quand Paris imite Calais

Paris 18e, porte de la Chapelle : c’est là que le centre pour réfugiés annoncé par Hidalgo doit ouvrir mi-octobre. Toute honte bue, Emmanuelle Cosse, ministre dans le même gouvernement que Cazeneuve et Valls, a osé déclarer lors d’une conférence de presse commune avec la maire de Paris qu’« accueillir, héberger, accompagner ceux qui cherchent refuge est un devoir inconditionnel pour un État de droit comme le nôtre »...

Accueil ? La zone ne respire pas l’hospitalité. Plus vraiment Paris et pas encore la banlieue : une zone d’entre-deux où il n’y a pas de présence humaine, uniquement le ballet incessant des voitures et des camions.

Il faut prendre la rue qui va vers Paris pour trouver quelques magasins autour des stations-services de la porte de la Chapelle. Mais c’est bien plus loin, au bout de cette rue, à 30 minutes à pied, que se trouve la place de la Chapelle, le quartier vivant et solidaire autour duquel se sont succédé depuis bientôt deux ans la plupart des campements de migrantEs.

Provisoire

Porte de La Chapelle, les anciens entrepôts de la SNCF qui abriteront le centre sont coincés entre le boulevard extérieur et le périphérique et bordés d’un côté par l’échangeur qui va vers Saint-Denis et l’autoroute du nord, de l’autre par les voix ferrées où circulent les trains... qui vont ­notamment à Calais !

Tout évoque d’ailleurs Calais dans la stratégie mise en place. En 2014, les flics avaient chassé les migrantEs des campements et squats du centre de Calais pour les repousser en périphérie vers ce qui devint la « new jungle », cassant ainsi les expériences d’échanges et de solidarité entre migrantEs et habitantEs des quartiers et exacerbant les tensions. Alors combien de temps avant ici aussi des barbelés le long des voix ferrées et de l’échangeur ? Sachant qu’il y a déjà des grilles, plus loin, là où des campements s’étaient installés.

La mairie a mis plus d’un an pour trouver le lieu. Et pourtant il est provisoire (!) car le terrain n’est disponible que pour deux ans. L’architecte payé par les autorités pour « aménager » le lieu s’est mis au diapason du cynisme ambiant pour vanter son « œuvre »: « nous nous sommes inspirés de l’héritage du camping, des mobile-homes, de l’habitat nomade » !

Précaire

Il suffit pourtant de marcher 10 minutes vers Paris pour croiser un autre terrain de la SNCF, disponible, où sort de terre un projet immobilier qui ne s’inspire en rien de l’art du bidonville... Il faut dire qu’il n’est pas destiné aux migrantEs ! Celui-ci promet 900 logements mais aussi 33 000 m² de bureaux et 40 000 m² pour des commerces et une pépinière d’entreprises, bref « un nouveau quartier urbain et logistique pour un 18e arrondissement plus durable ». Des investissements, un nouveau quartier : est-il mauvais l’esprit qui voit peut-être là la raison pour laquelle la localisation du centre est si provisoire ?

De durabilité et d’espace en tous cas, pour les migrantEs, il n’est pas question. Le centre n’est prévu que pour 400 (et peut-être ensuite 600) hommes ! L’hébergement durera au maximum 10 jours et le centre ne sera ouvert que de 8 heures à 20 heures. Pour les femmes et les enfants, un autre centre devrait ouvrir, plus tard, de l’autre côté du périphérique, cette fois, à Ivry-sur-Seine (94). De l’autre côté de Paris aussi...

Nouvelle « jungle » ?

Pas difficile de prévoir ce que ces chiffres dérisoires et ces conditions indignes vont provoquer de violence, de dépit et d’inefficacité. Non loin de la place de la Chapelle, à Stalingrad et Jaurès, près d’un millier de migrantEs, traquéEs, sont là, éclatés dans quatre campements. C’est une nouvelle « jungle » de Calais qui va se construire aux portes de Paris autour de ce centre.

Et c’est encore l’association Emmaüs qui collabore à cette saloperie. L’État, qui supprime des postes dans la fonction publique, va financer le recrutement de 200 nouveaux travailleurs sociaux pour l’association qui sera en charge de la gestion des lieux. Ce qui n’empêche pas Emmaüs, qui reçoit des fonds pour chaque réfugié « accueilli » (en fait trié), de faire appel aux « dons des particuliers et des entreprises ». Quant aux bénévoles qui voudront donner un coup de main, ils et elles devront d’abord montrer patte blanche en adhérant à Emmaüs pour pouvoir entrer dans le centre. Quant à l’avis des migrantEs...

Calais, Paris, le lien ne peut plus être ignoré. Le 1er octobre prochain, la CISPM (Coalition internationale des sans-papiers et migrantEs) appelle à aller manifester à Calais. Le départ des cars pourrait bien avoir lieu porte de la Chapelle. Comme un appel à repeupler nos zones d’ombre. En faisant sauter les frontières. Pour que Paris épouse Calais.

Denis Godard