Y a-t-il urgence ?
Les dernières statistiques sur le racisme dans l’opinion en France semblent paradoxales : l’indice de tolérance s’est remis à augmenter pour toutes les catégories... mais les actes racistes continuent d’augmenter sur la durée. Ce qui est clair c’est que le racisme progresse de manière continue dans les politiques et les discours dominants. Les programmes de Hamon et Mélenchon sont en recul par rapport à ce qui semblait un minimum pour la gauche il y a encore quelques années (par exemple la liberté de circulation). Mais surtout, les programmes et les discours de Le Pen à Valls en passant par Fillon annoncent une politique d’État encore plus dure dans les années qui viennent. Tout cela crée un climat de racisme décomplexé qui aura des conséquences graves. Ainsi, à la rentrée de septembre, le sociologue Saïd Bouamama alertait sur « la construction progressive des conditions d’un pogrome »...
S’agit-il d’une diversion ?
Le racisme agit sur la vie de millions de Noirs, Arabes, Rroms, musulmanEs... Soit plus du tiers de notre classe, travailleurs, jeunes, habitantEs des quartiers populaires. Entre 5 et 8 fois plus contrôlés par les flics, plus pauvres que la moyenne, discriminéEs à l’embauche, dans l’accès au logement ou à l’éducation, les raciséEs subissent directement la violence du racisme qui amplifie toutes les autres formes de discriminations (de classe, de sexe, de genre…). Cette logique ancienne est renforcée par la tendance actuelle au nationalisme économique et au renforcement des frontières et de l’État fort. C’est pourquoi le racisme d’État va de pair avec le renforcement de l’idée nationale. Il s’agit pour la classe dirigeante de lier la classe ouvrière blanche à l’État et aux intérêts du capitalisme français. Il n’y aura pas de possibilité d’unité de notre classe sans lutte déterminée contre le racisme et le nationalisme.
Peut-on découpler racisme et question sociale ?
Deux arguments servent de base au racisme le plus large. Le premier est qu’une partie de la population ne serait pas en capacité de s’intégrer pour des raisons culturelles. Il y aurait plus d’homogénéité entre le patron français d’une grande compagnie et ses salariéEs français blancs, qu’entre ceux-ci et les salariéEs arabes, noirs ou étrangers. Plus d’intérêts en commun entre une femme bourgeoise blanche et française et une caissière blanche et française qu’entre celle-ci et ses collègues non blanches. Bref, en dépit de toutes les études qui montrent le contraire, le déterminant « ethnique » serait beaucoup plus significatif que le déterminant social. Le second est qu’« on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Il y a déjà trop de chômage, trop de dettes… et trop de pays pauvres et en guerre. Accepter cet argument, c’est se condamner à accepter aussi tous ceux qui justifient les politiques d’austérité… au nom de la même logique : on ne peut donner du travail à tout le monde, on ne peut pas rembourser tous les médicaments, il faut baisser les salaires, etc.
Nos revendications sont-elles irréalistes ?
Ce gouvernement qui mène une politique raciste n’arrête pas de proclamer ses valeurs antiracistes. Or se battre contre le racisme c’est lutter contre la réalité des discriminations, des pratiques, des politiques. On ne peut dénoncer la stigmatisation des musulmanEs sans abroger les lois islamophobes de ces dernières années. On ne peut être antiraciste tout en donnant des directives aux flics pour opérer des contrôles au faciès qu’on justifie par la chasse aux sans-papiers. On ne peut déplorer les morts de migrantEs sans supprimer les contrôles aux frontières bref sans liberté de circulation. Il n’y a pas de moyens pour cela ? Ce n’est vrai que quand on veut garantir les intérêts des patrons de toutes origines et, particulièrement, les profits des capitalistes français. Or des centaines de milliers de logements vides existent pour tous les mal-logés, français ou pas. Des centaines de milliers de travailleurs se tuent à la tâche alors que le travail pourrait être partagé. Il est vrai que les frontières et l’organisation politique nationale sont des bases du système existant. N’est-ce pas d’ailleurs pour cela que les dominants de ce monde les défendent ? Au risque de nous plonger dans des pogromes et des guerres de grande ampleur.
Peut-on renverser le courant ?
La CNCDH explique : « Non seulement les attitudes intolérantes et xénophobes (dans l’opinion) ne sont pas aussi stables qu’on pourrait le croire mais la tendance actuelle pourrait aller vers des oscillations de plus en plus fortes. » Autrement dit, le pire n’est jamais sûr. La politique est l’inverse du fatalisme. Ces derniers mois il y a eu le mouvement contre la loi travail, l’action de dizaines de milliers de personnes en solidarité avec les migrantEs, le succès des conférences contre l’islamophobie, les rassemblements contre les initiatives du FN, le soutien à la famille d’Adama Traoré et à la vallée de la Roya… Le 19 mars aura lieu à Paris une marche nationale « contre le racisme, les violences policières, la chasse aux migrantEs et la hogra » dans le cadre d’un week-end de manifestations internationales. Nous avons deux mois pour construire une mobilisation qui remue en profondeur cette société, un mouvement qui fasse osciller sur des bases durables vers la solidarité, l’égalité, l’internationalisme, contre le racisme, les frontières et l’austérité.