Le 18 mars 1996, plus de 300 sans-papierEs originaires pour la plupart du Sénégal et du Mali se sont donné rendez-vous à l’aube pour « frapper un grand coup ». Totalement déterminés, accompagnés par quelques soutiens, amenant avec eux les vivres et les vêtements nécessaires à une longue occupation, ils et elles investissent l’église Saint-Ambroise, boulevard Voltaire à Paris. Ils ne savent pas encore qu’ils vont écrire une des plus belles pages des luttes de l’immigration qu’ait connues ce pays.
Excédés par les promesses jamais tenues par les gouvernements successifs de droite comme de gauche, dénonçant la politique du « cas par cas » et les critères de régularisation, les sans-papiers ne veulent plus subir l’arbitraire des préfectures et l’individualisation des dossiers. Ils et elles entendent désormais agir en tant que mouvement national reconnu, revendiquent leur indépendance et leur autonomie de décision. Cette irruption spectaculaire sur la scène publique des sans-papiers, sans droits, sans voix, va rapidement leur attirer la sympathie d’une partie de l’opinion publique, et la solidarité du mouvement syndical (SUD, CGT, CNT), associatif (Droits Devant !! dès le premier jour), et plus généralement des forces progressistes.
Délogés sans ménagement dès le lendemain de l’église Saint-Ambroise, les sans-papiers occupent alors le gymnase Japy. L’Abbé Pierre et de nombreuses personnalités viennent témoigner leur solidarité... et le gouvernement Juppé, « droit dans ses bottes », et son ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré envoient la police pour évacuer le gymnase. Après une courte halte dans les locaux syndicaux de SUD, les sans-papiers vont tour à tour être hébergés au théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, dans les entrepôts SNCF désaffectés de la rue Pajol, avant d’investir l’église Saint-Bernard, en plein cœur du quartier de la Goutte-d’Or, d’où ils seront évacués par 1500 gendarmes et CRS à l’aube du 23 août. Image forte en symbole, la porte de l’église sera fracassée à la hache par les flics. Cette évacuation extrêmement brutale, effectuée « avec humanité et cœur » selon Debré, reste à jamais inscrite dans les mémoires de celles et ceux qui l’ont vécue : les abords de l’église occupés par des soutiens gazés et matraqués, des personnalités enchaînées aux grévistes de la faim embarqués dans les cars, des manifestations spontanées dans le quartier toute la journée...
Célébrer comme il se doit cet anniversaire !
Paradoxalement, la répression constante et déterminée du pouvoir durant toute la durée du conflit n’aura pas l’effet escompté. En prenant leurs affaires en main, en sortant de l’ombre, en posant collectivement les enjeux de leur lutte, les Saint-Bernard posaient les jalons d’un mouvement national et permanent des sans-papiers. Pendant les quatre mois qu’a duré la lutte, des collectifs de sans-papiers se sont développés partout en France, qui par la suite allaient donner naissance à la Coordination nationale des sans-papiers (CNSP) et à l’Union nationale des sans-papiers (UNSP). Unifiés par la revendication devenue depuis le slogan repris dans chaque manifestation, « Le cas par cas on n'en veut pas, régularisation de tous les sans-papiers ! », les Saint-Bernard ont jeté des bases qui protègent jusqu’à aujourd’hui, les sans-papiers en lutte de toutes les volontés de récupération ou de dénaturation de leurs combats.
Afin de donner à cet événement l’ampleur qu’il mérite, une coordination regroupant les collectifs de sans-papiers, des organisations syndicales, et des associations actives dans le soutien, propose ces quatre prochains mois une série d’initiatives (débats, projections de films, expos photos, pièce de théâtre...)1.
Le cas par cas on n'en veut pas, régularisation de tous les sans-papiers !
Alain Pojolat
- 1. Cela commence le vendredi 18 mars, anniversaire de l’occupation de l’église Saint-Ambroise, par un appel à se rassembler dès 17h devant l’église (métro Saint-Ambroise). à l’issue du rassemblement, un meeting se tiendra à 19h à la Bourse du travail, 3 rue du Château-d’Eau (métro République) sous la présidence de Madjiguène Cissé, porte-parole charismatique des Saint-Bernard, et d’Hamadi Camara, délégué infatigable du Collectif. Y prendront la parole des membres de l’UNSP, des avocats, Droits Devant !!, Migreurop, RESF, la CGT et Solidaires.