Publié le Dimanche 16 mars 2025 à 12h00.

Un documentaire pour se mobiliser face au suprémacisme 

Au soir du 29 janvier, le député LFI Raphaël Arnault, porte-parole de la Jeune Garde et figure de l’antifascisme, et son assistante parlementaire, ont ouvert les portes de l’Assemblée nationale pour la projection du documentaire « White Power » de Christophe Cotteret, suivie d’un débat. 

Projeter un documentaire contre l’expansion contemporaine du suprémacisme blanc qui met en cause le RN, dans l’assemblée parlementaire qui légitime sa parole : voilà le pied-de-nez qu’organisait le porte-parole de la Jeune Garde depuis la salle de projection des représentants de la République. Organisé depuis début janvier, l’objectif de l’événement était clair : faire entrer une parole radicale contre l’extrême droite dans les institutions, organiser la discussion en son sein avec un public qui n’y est pas souvent invité et lutter contre la « résignation » devant la progression de l’extrême droite. 

 

Un documentaire militant à l’assemblée, un geste incongru ?

La diffusion de documentaires politiques est une tradition à gauche : si le cinéma d’auteur d’extrême gauche a été central dans les années 1960-70, sa relative éclipse dans les années 1980-90 n’a pas tari la pratique du documentaire et de la projection militante. Souvent articulée à des débats, la projection permet souvent de visibiliser ou de proposer une représentation « concrète » et « humaine » des luttes et ainsi de rapprocher les expériences militantes d’un public qui les découvre, d’élargir le stock d’expériences militantes et d’édifier une mémoire commune. Réflexe d’organisation qui vise à élargir l’audience des espaces militants, la projection est aussi bien un moment de co-construction horizontale des pratiques. Le documentariste dont le travail était projeté, met ainsi en scène les actions de la Jeune Garde : il filme les collages, les déplacements, l’organisation des cortèges militants et la joie qui accompagne les fumigènes dans les rues. L’objectif est simple : présenter l’antifascisme comme un recours accessible.

Devant la salle, le député et le documentariste se réjouissent de voir une assemblée jeune, et, il faut l’ajouter, également racisée : c’est au fond à l’image de l’électorat du député qu’est configurée la salle, et c’est indéniablement une manière de participer à l’articulation d’espaces militants aux espaces institutionnels pour politiser les seconds. Ensemble, ils évoquent la diffusion du 10 octobre au cinéma Utopia d’Avignon, où ils constatent de même la présence de la jeunesse, suffisamment rare pour être soulignée. C’est en effet à la suite de l’avant-première du documentaire que Mathilde Millat, assistante parlementaire du député et militante au NPA, a l’idée de raffermir les liens entre le documentariste et les espaces militants. C’est ainsi dans la continuité d’une entreprise de renouvellement des espaces militants et d’hybridation avec les milieux culturels, puisque le réseau des cinémas Utopia incarne depuis les années 1970 un repère dans les espaces culturels anticapitalistes, qu’il faut inscrire la circulation du film de Cotteret. 

Le dispositif imaginé par Mathilde, qui fait la part belle aux réactions de la salle après le film, la présentation ayant lieu avant la projection, et la place égale accordée au député-militant et au professionnel du cinéma, permettent de donner rapidement au public confiance en ses questionnements : le militantisme revient souvent, mais dans des termes qu’on entend peu dans nos milieux : « Comment se mettre en action devant l’apathie des nôtres, qui pensent que cela ne nous concerne pas ? » demande une jeune femme, étudiante en droit racisée à Assas qui fait face à des « Waffen Assas » décomplexés, évoqués dans le film ; « Comment fait-on pour ne pas subir des accusations d’antisémitisme ou d’être un militant extrémiste quand on commence à parler de ces questions ? » renchérit un autre. 

Avec bienveillance, le député antifa répond qu’il faut faire, assumer de cliver, il encourage. Et il renchérit sur la situation à l’Assemblée, qu’il compare à celle de chacun·e sur ses lieux d’études, de travail, dans ses sociabilités privées : là aussi, il est difficile de « rester solide » sur ses appuis, et « il n’y a même pas besoin de parler » pour qu’une polémique raciste s’enclenche. En fait, le conflit est déjà là – mais il suffit de s’organiser, dit-il, pour le remporter. 

 

White power et le RN : pas de « dédiabolisation »

Si le geste peut sembler symbolique, l’Assemblée nationale a bien besoin de symboles de résistance alors qu’elle compte de plus en plus de député RN. Depuis la victoire du Nouveau Front populaire aux législatives, la centralité de l’extrême droite dans la vie politique institutionnelle n’a cessé de s’affirmer. Le choix d’Emmanuel Macron d’engager la dissolution de l’Assemblée nationale a été le lieu d’un sursaut démocratique, qui montre la résistance d’une partie de la population à la montée de l’extrême droite en même temps que la propension des libéraux à lui tendre la main. 

White Power se propose de rompre avec l’image d’une opposition entre une droite « institutionnelle » et une « ultra-droite » : en répondant à une femme dans l’assistance, Raphaël Arnault s’excuse de la reprendre mais affirme que le terme doit être combattu. Pour lui, la notion d’ultra-droite ne vise qu’à faire apparaître des clivages qui n’existent pas réellement dans l’extrême droite, laquelle s’organise ensemble. Cotteret renchérit : le film visait à documenter les militants les plus radicaux et ce qu’on appelait « ultra-droite ». Finalement, il ne rencontre que des réseaux dans lesquels les uns circulent avec les autres. 

Montrer la complexité de ces réseaux ainsi que leur précarité : voici certainement la signature du documentariste. Avec White Power, Christophe Cotteret poursuit un projet qu’il avait entamé en documentant la révolution tunisienne il y a plus de dix ans : en documentant la complexité du processus révolutionnaire, il s’est opposé à une lecture simpliste de l’opposition étanche entre « laïcs » et « religieux » pour rendre la réalité des dynamiques politiques.

C’est une entreprise comparable de complexification de l’analyse, par le prisme des actions et des liens réels, au-delà des différences doctrinales réelles qu’il se propose de mener. Il met ainsi en évidence la présence de groupes distincts, qui revendiquent bien leur séparation mais travaillent de concert, voire s’interpénètrent. Par exemple, en montrant la diffusion des tracts de la Cocarde étudiante, il relève la présence d’un service d’ordre des Zouaves. Si les deux groupes ne sont pas « formellement » coordonnés, leurs actions sont bien mutuelles et les liens militants évidents. 

Plus largement, à travers la discussion des travaux de l’historien Nicolas Lebourg, il documente la présence de cadres de l’extrême droite « révolutionnaire » dans l’organigramme du Rassemblement national : souvent rapportée à sa fondation, la continuité est retracée jusqu’à la candidature de Marine Le Pen, à laquelle les figures les plus violentes de l’extrême droite ont apporté leur soutien de l’intérieur du RN. 

 

Dire les termes du suprémacisme

Les voyages des militant·es d’extrême droite, fortement mis en évidence au cours du documentaire, reflète la circulation de leurs idées : le « grand remplacement », concept phare du publiciste d’extrême droite français Renaud Camus, par ailleurs militant gay masculiniste, est est repris par l’allemand Götz Kubitschek, salué dans les conférences du Vlaams Belang. C’est un mouvement que nous donne à voir Cotteret, dont il situe l’émergence dans le renouvellement de l’extrême-droite étatsunienne et l’affirmation d’un white power faisant face à la fierté Noire. 

La notion de « grand remplacement » n’est pas seulement une formule qui prête à sourire, elle s’articule à une théorie générale qui se précise : en 2024, Renaud Camus complétait son analyse en parlant de « génocide » en Europe — une proposition négationniste dont on perçoit bien les effets aujourd’hui et son articulation au débat public

L’affirmation d’une radicale différence entre les tendances ségrégationnistes étatsuniennes et le cosmopolitisme colonial européen ne résiste pas à la mise en évidence des correspondances entre les mouvements d’extrême droite. Ainsi, la défense d’une « fierté blanche » est une thématique ancienne, dont la traduction européenne s’est notamment faite à travers le mêlement des nébuleuses skinhead d’extrême droite des années 1980 et le basculement des discours d’extrême droite vers les thématiques anti-immigration. Interrogeant plusieurs « repentis », Christophe Cotteret met en évidence l’importance d’un besoin subjectif d’affirmation de « puissance » ou de « pouvoir ». Si l’enquête de Cotteret ne rejoint pas des considérations proprement électorales et s’attache plutôt à identifier les « militants » d’extrême droite et leurs réseaux, Raphaël Arnault cite rapidement les analyses de Félicien Faury sur l’électorat RN et la volonté de trouver une forme de « distinction » pour le prolétariat blanc en se distinguant d’un prolétariat racisé plus précarisé encore. 

Les extrêmes droites ne se disent plus seulement dans un langage national, mais suivant l’analyse du documentariste, à travers la défense d’une vision « ethno-différentialiste » du monde : la blanchité apparaît non seulement comme le lieu d’un « privilège » réel et structurel, mais également comme un intérêt qu’il s’agirait de défendre – devant le risque même de la dissolution, la dissolution dans la mondialisation et dans une diversité « ethno-culturelle » étant assimilée par les discours institutionnels-radicaux de l’extrême droite de gouvernement. 

Pour nous, militant·es communistes révolutionnaires, il s’agit à notre niveau d’être également mis en mouvement par ces « projections » dans les institutions : si à l’Assemblée, il est possible de dénoncer le suprémacisme blanc et d’inviter à l’organisation antifasciste, il nous importe de répondre à l’appel, de construire un front antifasciste et antiraciste afin d’affronter réellement une nébuleuse suprémaciste blanche dont l’ascension demeure résistible.