D’Agnieszka Holland. Film polono-britannico-ukrainien, 1 h 59 min, sorti le 22 juin 2020.
Au début des années 1930, Gareth Jones est un jeune journaliste gallois qui est aussi un des conseillers du Premier ministre anglais Lloyd George. Il a obtenu une interview d’Hitler et ambitionne d’obtenir un entretien avec Staline. Au début du film, il apparaît impressionné par l’expansion de l’économie soviétique alors que les pays capitalistes s’enfoncent dans la crise. Il voudrait donc obtenir des explications sur l’origine des ressources qui permettent à l’URSS d’importer notamment les équipements nécessaires à sa croissance.
Inspiré de la vie d’un personnage réel
Gareth Jones se rend donc à Moscou où dès son arrivée il apprend le décès suspect d’un de ses contacts et ami journaliste qui se posait les mêmes questions. La source de la richesse soviétique semble être la production céréalière, en premier lieu celle de l’Ukraine. Jones voudrait savoir ce qui s’y passe réellement. Walter Duranty, journaliste prestigieux et correspondant du New York Times à Moscou, lui vante les succès de l’URSS et s’efforce de le persuader qu’il n’y a aucun problème. Jones décide quand même de se rendre en Ukraine, usant d’un subterfuge pour quitter Moscou. Il va y découvrir l’horreur : les récoltes confisquées, la famine, la quête effrénée de tout ce qui peut se manger jusqu’au cannibalisme. Jones survivra à son odyssée, pourra quitter l’URSS et, avec des difficultés, réussira à publier le récit de ce qu’il a vu.
Agnieszka Holland s’est inspirée de la vie d’un personnage réel : Gareth s’est bien rendu dans cette Ukraine ravagée par la faim avant d’être assassiné lors d’un nouveau reportage en 1935 en Mongolie, par des ravisseurs peut-être inspirés par les services soviétiques. Une famine a effectivement ravagé diverses régions de l’Union soviétique en 1931-1933. Elle fit 5 à 6 millions de victimes et s’explique par l’impact dévastateur de la collectivisation bureaucratique et forcée de l’agriculture et les vagues de réquisitions impitoyables et répétées de céréales pour nourrir les villes et se procurer des devises par l’exportation. L’intensité de la famine fut particulièrement forte au Kazakhstan, dans le nord du Caucase et en Ukraine. Dans cette dernière région, Staline décida de ne rien faire contre la famine, voire de l’utiliser pour donner une leçon aux paysans et aux nationalistes qu’il voyait y compris dans les rangs des communistes. Pendant des décennies, ces évènements ont été minimisés ou niés par la propagande soviétique. L’Ukraine indépendante y voit un génocide délibéré : l’« Holodomor » (« extermination par la faim », en ukrainien) ce qui fait encore débat parmi les historienEs.
Un des grands crimes du 20e siècle
Le film est rythmé par des passages de la Ferme des animaux de George Orwell. Trois personnages y illustrent plus ou moins longuement les raisons du long impact de la propagande stalinienne. Duranty (qui a vraiment existé) est tenu ou acheté par les services soviétiques : il y a eu de nombreux personnages de ce type. Une jeune journaliste allemande, qui aide Jones, ne nie pas les faits mais se demande d’abord s’il faut en faire état car l’URSS est indispensable pour résister à Hitler. Enfin, le personnage qui représente Orwell hésite lui aussi face aux révélations de Jones car il se demande s’il ne s’agit pas de coûts inévitables à la transformation de la Russie.
Staline n’est certes pas le seul dirigeant à avoir laissé faire ou utilisé la faim : l’Empire britannique dont Jones était un ressortissant ne fut pas sans responsabilité dans des famines massives en Irlande et en Inde. Mais, malgré des maladresses (comme cette trop longue scène d’orgie avec Duranty à Moscou), et une description parfois superficielle des évènements (mais un film n’est pas un article historique) le film d’Agnieszka Holland a des qualités indéniables tant dans sa mise en scène que sur le fond et mérite d’être vu par son rappel d’un des grands crimes du 20e siècle.