Publié le Mercredi 18 novembre 2020 à 15h15.

Magellan, de Stefan Zweig

Le Livre de poche, 285 pages, 7 euros.

Confiné dans un rayon d’un kilomètre autour de chez soi ou au travail, nous devons légitimement lutter pour un monde meilleur et pouvons aussi rêver d’un ailleurs. C’est sans doute pour cela que les éditions Laffont1  viennent de publier Magellan dans une nouvelle traduction en grand format. Celle que nous présentons ici a été réalisée par Alzir Hella, grand ami de Stefan Zweig et militant anarchiste wallon persécuté par la Gestapo.

Zweig, écrivain juif autrichien contraint par le nazisme à un exil forcé au Brésil, était subjugué par la symbolique du passage. Passage vers la vérité et passage vers la liberté : Magellan en est une vibrante démonstration.

Le « sobresalente se forge un destin

Fernao de Magalhaës, mieux connu sous le nom de Magellan, était un petit noble portugais. Il navigue et combat dans les Indes des épices (Inde, Indonésie, Malaisie), pour son roi, de 1505 à 1516. Simple soldat, « sobresalente », il a mis sa vie en péril et été blessé à plusieurs reprises. Il en gardera une franche hostilité pour la violence aveugle et inutile en termes d’exploration et de découvertes de nouveaux peuples. Il apprend surtout la navigation, assume tous les postes sur un bateau (de charpentier à navigateur) et comprend que celui qui maîtrise la science des voiles, des cartes et de la navigation peut maîtriser aussi les âmes des marins et se lancer dans l’aventure. Ses différents voyages, ses rencontres avec des marins de toutes nationalités (Indiens musulmans en particulier) l’ont convaincu qu’il existe un passage de l’océan Atlantique à l’océan Indien, de l’Ouest à l’Est.

En 1517, il présente son projet au roi du Portugal qui n’a que mépris pour lui et le rejette. En 1518, Magellan reçoit le soutien du roi d’Espagne, le futur Charles Quint, qui lui donne les fonds et un an pour lever une flotte. En dépit de l’adversité rencontrée à Séville (il est portugais), il réarme de fond en comble de vieux vaisseaux et s’élance en 1519 à la tête de 265 hommes et cinq navires.

Il a consulté les meilleurs « argonautes » et dressé une carte hypothétique et secrète qui situe le passage vers le Pacifique au 40e degré, soit au niveau du Rio de la Plata en Argentine, alors qu’il ne le découvrira que beaucoup plus au sud, au 52e degré, à la Terre de Feu après un hiver austral redoutable. En 1522, il ne reviendra qu’un seul navire avec 18 hommes à bord commandé par celui qui l’a trahi en Patagonie (le capitaine Del Cano) et, heureusement le chroniqueur et ami de Magellan, Antonio Pigafetta. Magellan, lui, trouvera la mort aux Philippines en avril 1521 au cours d’une rixe inutile avec des indigènes.

Une épopée hallucinante et des leçons scientifiques

À l’opposé des Cortez et Pizarro, uniquement préoccupés de piller sans pitié et le plus vite possible et qui lâchaient leurs troupes sanguinaires pour massacrer ou réduire en esclavage les populations, Magellan est avant tout un pacifique. Il passe loyalement des pactes et des accords avec les chefs indigènes rencontrés et les respecte. Cette honnêteté sera sa meilleure arme et restera son plus grand titre de gloire.

Le génois Christophe Colomb2, lui aussi au service de l’Espagne, était armé d’idéal quoiqu’avec moins de compassion. Il voulait découvrir un « nouveau monde » mais son voyage ne dura que 33 jours tandis que Magellan souffrit pendant presque deux ans des mutineries de ses capitaines espagnols, du froid, de la faim et des maladies avant de trouver le Graal. À titre indicatif, ce n’est que 60 ans plus tard que le corsaire et explorateur Francis Drake, beaucoup mieux armé et avec une carte exacte, parvint à réaliser le deuxième tour du monde de l’histoire.

Comme Magellan, il fut contraint à hiberner dans le même Golfe de Patagonie3 et lutta contre la révolte de ses marins.

L’expédition de Magellan, en sortant du détroit (passage) qui allait porter son nom, a débouché sur la confirmation définitive que la Terre était ronde, sur la découverte de la rotation de la terre en 24 heures et donc sur la possibilité théorique de gagner du temps sur l’infini. Cette découverte a révolutionné les sciences de l’époque, autant que la théorie de la relativité au 20e siècle.

Un fantastique essai sur le dépassement de soi

Le besoin humain de dépassement de soi est le moteur de l’humanité et nous sauvera peut-être de l’extinction de notre espèce programmée par le capitalisme. Quand il était « minuit dans le siècle », Stefan Zweig, depuis le Brésil où il était réfugié, a écrit cette biographie ou plutôt cet essai avec l’idée que « le génie porté par la passion est plus fort que tout et peut transformer un rêve en une réalité et une vérité impérissable ».

  • 1. Magellan, l’homme et son exploit, dans une nouvelle traduction de Françoise Wuillmart
  • 2. Voir l’essai de notre camarade Michel Lequenne, décédé en février 2020, Christophe Colomb, amiral de la mer océane (Gallimard).
  • 3. Patagonie découverte et appelée ainsi par Magellan en raison de la taille des pieds des Amérindiens locaux (du latin patagon).