Mégabassines, Lyon-Turin, autoroutes Toulouse-Castres, Est de Rouen… sous l’impulsion des saisons des Soulèvements de la Terre, les mouvements en lutte contre les grands projets nuisibles, imposés et inutiles gagnent en radicalité et montrent leur capacité à questionner d’une façon structurelle le monde capitaliste.
Autour de ces infrastructures écocides, se construit en effet une remise en cause du modèle économique productiviste et de sa logique d’accélération et d’accumulation. Les critiques adressées à ces gros projets d’aménagement du territoire dépassent le cadre strictement environnemental et mêlent prises de position écologistes avec réflexions politico-économiques permettant l’élaboration d’une critique globale de l’État capitaliste néolibéral.
L’écologie politique contre l’État autoritaire
L’atelier de l’université d'été du NPA intitulé « Bassines, Lyon-Turin, autoroutes Toulouse-Castres, Est de Rouen… Échange sur nos expériences locales/régionales dans les mobilisations » a permis de débattre autour de l’expérience de ces luttes et des enseignements qu’on peut en tirer.
Selon les militantEs du NPA, les gros projets d’autoroute, le TGV Lyon-Turin ou encore les mégabassines, cochent souvent toutes les cases : artificialisation du sol, pollutions, fortes émissions de CO2, expropriation des terres agricoles, déforestation, dangers pour la biodiversité, perturbation et assèchement des nappes phréatiques…
Leur dimension territoriale peut constituer une force et un moteur de mobilisation : revendiquer le droit à vivre sur son territoire, à en déterminer les usages et garantir l’accès aux ressources pour les populations, apparaît plus accessible face à l’impuissance générée par la perspective catastrophiste de la fin du monde. En mettant en cause l’État et le mode de production capitaliste, en prônant d’autres formes démocratiques de gestion des territoires et des biens communs naturels, ces mouvements constituent des lieux privilégiés pour élaborer une écologie radicale.
Dans le conflit politique qui a émergé autour du projet de construction de la ligne ferroviaire Lyon-Turin, des mégabassines et des projets d’aéroport ou d’autoroute, la « rationalité » productiviste se heurte à une logique, de plus en plus partagée, de protection du « vivant ». La défense du « vivant » « et du « commun », qui va de pair avec l’identification des abus et des expropriations des classes dominantes1, constitue le macro-cadre de nombreuses luttes écologistes contemporaines ainsi qu’un mobile essentiel du passage à l’action.
La forme spécifique prise par la répression étatique, à la fois policière et judiciaire, vis-à-vis notamment de la mobilisation de Sainte-Soline ou du NoTAV en Maurienne, est à la hauteur du danger que ces revendications représentent.
Gardien du droit privé, l’État épouse l’autoritarisme dans l’objectif de modeler et adapter la société aux logiques d’expansion et de compétition du marché et cela dans le contexte d’une crise écologique qui s’aggrave et s’accélère.
Le temps des Soulèvements
S’ancrer dans un lieu, occuper les terres, saboter, désarmer les infrastructures écocides, relier des acteurs avec une culture politique, des trajectoires et des pratiques différentes : voici les quelques enjeux posés par le mouvement des Soulèvements de la terre.
Né en 2021, à la suite de l’expérience de la lutte contre la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les Soulèvements sont le fruit d’une série de constats :
1. la difficulté des luttes paysannes et environnementales à sortir du caractère très localisé et à engager un rapport de forces conséquent ;
2. le recul du syndicalisme paysan (comme la Confédération paysanne) face aux autres syndicats devenus puissants (Fnsa, Cordination rurale) et sur le terrain des luttes ;
3. l’échec du mouvement climat de la jeunesse qui, malgré son caractère massif, a cru dans la possibilité que les dirigeants et les États prennent réellement en main la question du réchauffement climatique ;
4. la manière « trop idéologique et dogmatique » de se rapporter aux pratiques de lutte et en particulier à la non-violence2.
C’est à partir de ce travail réflexif qu’ils et elles ont décidé de lancer une dynamique pour mettre ensemble les acteurs venant à la fois des collectifs écologistes, des nouvelles luttes pour le climat et des courants syndicaux de la paysannerie (comme la Confédération paysanne), avec l’objectif, d’une part, d’appuyer les luttes locales et, d’autre part, de coordonner des actions et des campagnes de communication permettant de construire un mouvement large de défense et de réappropriation des terres à l’échelle nationale et internationale. Un vaste chantier dans lequel le NPA souhaite bien évidemment jouer un rôle.
Qu’avons-nous à apprendre de ces luttes ?
Les nouvelles formes que prennent ces luttes, les capacités d’auto-organisation, de communication et de construction de cadres collectifs composites, ont interpellé l’ensemble des camarades.
Quelqu’un remarque à juste titre qu’il y a une véritable professionnalisation de la fonction de communication, notamment à travers la création de campagnes en ligne autour des saisons des Soulèvements qui contribuent à sensibiliser l’opinion publique et à massifier les mobilisations.
« Je pense que les Soulèvements de la terre ont une force de frappe en termes de communication, après ça me donne aussi un peu d’inquiétudes de phagocyter les luttes locales même si, pour l’instant, ils sont dans une optique de les rendre visibles » (militante d’une association écolo en Maurienne).
Ces luttes nécessitent en effet une production d’expertises et de contre-information à la fois sur la dangerosité des projets et sur la « mise en scène médiatique de la protestation3 ».
Comme il a été illustré dans la lutte contre les mégabassines, un usage stratégique des moyens de communication favorise la circulation des cadres contestataires et la sensibilisation de l’opinion sur toute une série de questions autour de l’agriculture intensive, l’accaparement des terres, la défense de l’eau et des biens communs naturels. Il a aussi permis de tisser et maintenir des liens et de coordonner des actions avec des acteurs internationaux. À Sainte-Soline et en Maurienne, la production et la circulation de contenus numériques mais aussi l’organisation des camps et le format du « festival » ont permis d’attirer les journalistes et les médias indépendants, essentiels pour gagner la bataille des idées et percer dans l’espace public.
« Nous avons fait connaître cette lutte, la chose la plus importante a été le contact avec les journalistes car effectivement beaucoup étaient ici aujourd’hui mais ils ne savaient même pas de quoi il s’agissait malgré le fait qu’il s’agisse d’une lutte qui dure depuis 30 ans » (militante des Soulèvements de la Terre sur les retombées de la manifestation en Maurienne le soir du 17 juin 2023).
Dans le cadre de ces luttes, la construction du rapport de forces et l’affrontement avec le pouvoir étatique et son interface policière s’allie avec une dimension festive où l’on fait l’expérience du monde pour lequel on se bat : « on montre que nous sommes du côté de la forêt, du vivant, à la fois dans la façon dont on agit et dont on le défend. Il y a une certaine jubilation à couper une autoroute avec des arbres et à prendre le gouter à cet endroit-là. Il faut être capables de se détacher d’un discours souvent trop désincarné » (Christine Poupin).
Cela fait écho aux récits des autres camarades : « en Maurienne, en très peu de temps, il y a eu l’organisation d’un village avec une base arrière où on pouvait manger, participer à des ateliers et où la presse pouvait venir » (militant de Grenoble).
La dimension de la complémentarité des tactiques a aussi été évoquée à plusieurs reprises : « il y a un autre regard sur les autonomes, on parle désormais de la première ligne, j’ai des souvenirs plus anciens où les relations entre les militants traditionnels et ceux qu’on appelait les totos étaient mauvaises, là il y avait une complicité et on savait qu’on luttait ensemble » (militant de Grenoble). Mais l’importance accordée à l’action symbolique face à un arsenal militaire infranchissable n’est pas la même selon les courants. Nous regardons l’enjeu politique dans sa totalité et veillons à garder la dimension de masse dans les luttes ; d’autres courants, y compris des intellectuels ayant participé à l’événement en Maurienne, pensent que la dimension de l’émeute peut constituer une étape d’un processus révolutionnaire et doit donc être prise en compte dans l’élaboration stratégique. Le débat sur la complémentarité des modes d’action reste ouvert avec des voix divergentes qui s’expriment soit pour le maintien de la tradition soit pour l’ouverture : « grève et blocage ça va mais on voit que quand on parle de sabotage ça coince un peu ; en tant qu’organisation politique révolutionnaire, on a une parole publique qui n’est pas anonyme … on peut communiquer là-dessus pour faire évoluer la lutte globale », souligne une camarade ayant participé à la mobilisation NoTAV.
Prendre à bras-le-corps la question de l’auto-organisation et de l’occupation
Les modes d’auto-organisation et d’action résonnent dans l’espace international. Ouvert à la diversité de tactiques, le mouvement NoTAV italien a développé des modes de résistance non violente, comme l’occupation des presidi, des sites de contestation qui sont en même temps des banquets, des lieux de rencontre et des refuges de montagne voués aussi à protéger et surveiller le Val de Susa. C’est ce que nous explique Luca Abbà, agriculteur du Val de Susa et militant historique du mouvement NoTAV : « dans les presidi, dans ce que chez nous on appelle “les nouvelles Républiques” et ici les Zad, on crée des liens affectifs, des pratiques qui de fait sont une alternative aux relations capitalistes de pouvoir et de profit […] C’est un processus très long qui passe par les moments de rupture » (Luca Abbà, militant italien NoTAV).
Les actions de désobéissance, de sabotage des machines et de coupure des clôtures permettent la création d’un nouveau sujet collectif qui se révolte contre la gouvernementalité néolibérale4. À l’instar de ce qui s’est produit à Notre-Dame-des-Landes ou sur les ronds-points des Gilets jaunes, le collectif s’installe dans les lieux occupés et active en même temps de nouvelles formes de sociabilité, d’autogestion collective et communautaire ainsi que de nouveaux processus démocratiques de prise de décision. : « cette lutte est entrée si profondément dans la conscience populaire et dans la critique sociale que ses enjeux dépassent désormais la question du TAV ; elle a créé des formes de communautés humaines, des gens qui, avec la lutte et dans la lutte, se sont installée dans la vallée et en ont fait un territoire fertile et riche d’initiatives » (Luca Abbà).
Ancêtre des Soulèvements de la Terre, le mouvement NoTAV est également constitué par une coordination composite de différents collectifs et moyens de lutte où chacun trouve sa place sans s’imposer aux autres : certains organisent les sabotages, surveillent le chantier, d’autres mènent des études sur les changements de la flore, préparent les appels en justice, d’autres encore produisent et diffusent les contre-expertises et l’information militante. Le militant italien précise qu’« il ne faut toutefois pas tomber dans la célébration et l’idéalisation de ce mouvement car en réalité il serait beaucoup plus important de faire naître 10, 100, 1 000 vallées de Susa dans toute l’Italie ».
Le point sur l’auto-organisation de l’espace qui est investi collectivement est central dans les débats des militantEs du NPA. Une camarade souligne que « dans la mobilisation à laquelle on a participé, on voit qu’il y a énormément de thèmes qui sont transversaux comme la lutte contre le NoTAV, on voit que des ateliers se mettent en place pour la prise en charge des violences sexistes et sexuelles, il y a une attention particulière aux personnes porteuses de handicap et on sent vraiment qu’il y a une acceptation des différentes minorités qui sont présentes sur le campement et ça s’est vraiment un modèle qu’il faut intégrer et je crois que ça passe aussi par l’expérience ».
Comment tisser des liens ? Comment multiplier et articuler ces expériences et les inscrire dans une stratégie unitaire ? Cela constitue un véritable enjeu pour l’avenir. Il ne faudra probablement pas sous-estimer l’appui que ces expériences peuvent constituer pour la construction d’un pouvoir populaire et communautaire qui, de l’échelon territorial, peut contribuer à reconfigurer le jeu des rapports de forces nationaux.
Le gouvernement semble d’ailleurs partager cet avis. Un camarade rappelle que Darmanin a déclaré qu’« il n’y aura plus de ZAD en France ». La façon dont la zone a été évacuée afin d’éradiquer toute trace de la victoire de Notre-Dames-de-Landes nous signale quelque chose sur sa portée symbolique et sur la crainte du pouvoir que cela se répète à d’autres endroits.
Manque de démocratie et de prise sur les événements
Un nœud reste néanmoins irrésolu, celui sur la démocratie et la direction de la lutte notamment quand celle-ci s’intensifie et est confrontée à la répression. La présence d’un gouvernement hostile à l’écologie politique provoque une tension dans la forme organisationnelle où un système décisionnel hiérarchique et un contrôle centralisé sur l’information cohabitent avec des formes d’auto-organisation à la base qui répondent aux aspirations radicales d’une partie de la jeunesse. Le niveau local et territorial se retrouve en position de faiblesse par rapport à la coordination à distance des Soulèvements, faisant preuve d’une grande expertise dans une hétérogénéité de domaines. Les arrêtés préfectoraux, les interdictions de manifester et la nature même de certaines actions impliquent une gestion des informations et des prises de décision centralisée et secrète : « On a organisé le blocage de l’A13 un dimanche après-midi, l’A13 c’est l’autoroute Paris-Le Havre et ça c’est quelque chose qu’on ne peut pas annoncer à l’avance. On l’appelait l’opération “bonus”, les flics étaient tous massés au péage car ils s’attendaient à ce qu’on fasse un péage gratuit. Il faut être capable d’accepter qu’on n’est pas toujours décideurs ; ça a été organisé, ça a fait couler beaucoup d’encre et puis finalement comme on a fait la Une des journaux, une fois que c’est réussi, les gens ravalent leurs critiques », nous explique une autre camarade impliquée dans les mouvements écologistes.
Nous retrouvons le même fonctionnement dans le cadre du NoTAV en Maurienne :
« Nous venons d’être percutéEs par une nouvelle dynamique », rappelle un militant local. « En Maurienne, le NPA n’était pas un organisateur, ça a été compliqué pour nous d’avoir les informations, il y avait un haut degré de secret sur le lieu et le parcours. Il y avait un niveau de tension très forte, suite à Sainte-Soline et à la menace de dissolution, on savait qu’ils allaient à l’affrontement. On était le seul cortège organisé de cette manif, les camarades de la FI et de Solidaires nous ont rejointEs, les medics sont venuEs soigner derrière nous. Il y a des manifestations de masse mais en même temps beaucoup d’appréhension, nous avions un espace plus sécurisé et plus traditionnel qui permettait à d’autres de nous rejoindre ».
Sur Sainte-Soline, les camarades d’Angoulême font le même constat : « on a été dépossédéEs des débats stratégiques localement, on a été un certain nombre à ne pas vouloir faire la manif à Sainte-Soline pour aller sur les préfectures et inscrire une dimension plus politique. Il y a un truc de culture du secret qui est un peu logique mais du coup il y a ce souci qui est posé qui n’est pas un petit problème car on était dépendantEs pour avoir des informations sur une manif qu’on organisait. Sur la question des cocktails Molotov et de l’usage de la violence, il y a une solidarité mais néanmoins ça pose question et on a des camarades très proches qui ont failli mourir. Aujourd’hui, tout le spectre syndical de la gauche est visé, Solidaires, la Confédération paysanne et la CGT en plus des Soulèvements et de Bassines Non Merci ».
Un jeune camarade de Toulouse intervient pour compléter : « sur la Toulouse-Castres, juste après Sainte-Soline, les cadres des Soulèvements de la Terre ont tout fait pour éviter la confrontation et, dans cette lutte, il n’y a jamais eu de répression. Mais les projets s’accélèrent au fur et à mesure que la prise de conscience écologique s’accroît. On parle désormais de “zadifier la lutte” » ; en attendant les journées de mobilisation des 21 et 22 octobre, des grèves de la faim et des occupations sont en cours dans la capitale ce qui pose la question autour de la diversité des tactiques sur le long terme. Pour lui, dans cette nouvelle composition, chaque organisation apporte son élément, on réfléchit ensemble et on avance ensemble.
Qu’allons-nous faire ?
Pour Christine Poupin, le NPA a un vrai rôle à jouer dans la construction des cadres collectifs à la fois en termes de savoir-faire dans les mobilisations et d’élaboration stratégique : « sur Rouen, nous avons tissé des liens de confiance avec des camarades en partie proches de l’autonomie, cela est dû au fait qu’on s’est retrouvés ensemble à Notre-Dame-des-Landes et dans d’autres luttes. Ça fait partie des choses qu’on sait faire, faire vivre les cadres collectifs avec des gens d’origines différentes où l’unité est une véritable volonté de construction politique ».
Pour préserver la diversité et la dimension intergénérationnelle de notre collectif, il faudra se former beaucoup plus à l’autodéfense, à bouger collectivement et à s’organiser pour garder la protection de l’ensemble des camarades.
Si nous pensons que les luttes éco-sociales occuperont une place centrale dans le combat contre le capitalisme, il faudra les construire, dans le temps, sur la base d’organisations, et nous devrons discuter avec les Jeunesses Anticapitalistes qui pourront s’investir plus facilement dans la construction de ces nouveaux outils. Selon un camarade de Grenoble, ce travail de longue haleine doit être accompagné par un travail de mise en lien avec le monde syndical : « on peut ouvrir un espace de discussion et de débat, y compris dans les syndicats et dans les luttes du salariat, c’est un enjeu de gagner ce combat, de faire ce travail d’argumentation, de pousser d’autres à nous rejoindre sur tous ces projets, sur l’automobile, le plastique, le nucléaire… ».
Investir les lieux de l’écologie pour faire « classe », pour faire « société »
Les militantEs qui luttent contre les gros projets inutiles mobilisent, actualisent et s’approprient les répertoires historiques des luttes écologistes : ils interposent leur propre corps pour bloquer l’avancée des travaux, occupent des bouts de terre pour les protéger des opérations d’artificialisation, accèdent aux infrastructures nuisibles pour les saboter et en bloquer le fonctionnement. Ces luttes permettent la construction de nouvelles solidarités entre une diversité d’acteurs – habitantEs, paysanNEs, collectifs, associations, syndicats, acteurs politiques – ainsi que le déploiement d’actions de désobéissance et de résistance dotées d’un fort impact médiatique et d’une forte résonance aussi bien nationale qu’internationale.
Il s’agit d’une véritable nouvelle géographie militante, souligne en conclusion un camarade d’Occitanie, faite de nombreux collectifs et associations parfois articulés entre eux et avec des durées de vie très variables. Ce tissu d’organisations doit être investi sur le long terme au-delà des grandes mob=ilisations exactement de la même façon qu’on investit les cadres syndicaux.
Bloquer le projet donne une perspective victorieuse et atteignable à la lutte. Il est important d’avoir des mobilisations où l’on peut gagner même sur un objectif partiel que nous devons être capables d’inscrire et d’articuler à la conquête globale de l’hégémonie éco-communiste.
Au final, il y a accord sur le potentiel révolutionnaire de ces luttes, de par leur caractère de masse, la dimension radicale, le rôle de la jeunesse et la forme « saison » qui fixe une temporalité longue et permet de tisser des liens entre le niveau local, national et international. La victoire contre les gros projets est importante mais il faut aussi proposer une alternative aux ravages du capitalisme.
Dans ce cadre, l’expérience collective et spatiale de la lutte constitue un moment crucial pour la prise de conscience et l’activation d’un travail d’élaboration politique.
Sommes-nous les mêmes après avoir vécu le presidio, la ZAD ou le rond-point ?
Quel est le rôle de ces lieux d’auto-organisation dans la construction d’un pouvoir de ceux et celles d’en bas ?
Depuis plus d’une décennie, le répertoire de l’occupation (des espaces à la fois urbains, périurbains et ruraux) revêt un rôle crucial dans les mouvements. C’est désormais une façon de faire société, un devenir « classe » dont la portée stratégique semble indéniable.
Selon Kristin Ross, l’imaginaire de la « forme-Commune » est très présent dans les luttes contemporaines. Celle-ci ne se prête pas à une définition statique car sa forme est inséparable de ses incarnations chacune d’entre elles étant en prise avec les conditions spécifiques du présent. « C’est à la fois un mouvement et un territoire partagé en commun : c’est un mouvement politique qui est aussi l’élaboration collective d’un mode de vie désiré, les moyens devenant la fin5 ».
Faire la commune c’est aussi une façon de faire classe, une classe mobilisée telle qu’elle se manifeste dans ses discours et dans ses luttes. L’écologie politique permet une remise en cause de la valeur qui se valorise et de la marchandisation générale du monde et des rapports sociaux qui « fournissent un fil conducteur et fondent l’unité négative des résistances6 ». Comme le suggère Henri Lefebvre, changer la société ne veut rien dire sans la production d’un espace, d’un lieu physique dans le cadre duquel on prend en charge la vie sociale.
- 1. P. Dardot et C. Laval, Commun, Éssai sur la Révolution au XXIe Siècle, La Découverte, Paris, 2014.
- 2. Dans la vidéo « Andreas Malm et les Soulèvements de la Terre » disponible sur le canal Youtube « La fabrique éditions » https://www.youtube.com/… , les militantEs proposent une présentation des réflexions qui ont présidé à la génèse du projet politique.
- 3. E. Neveu, « Médias, mouvements sociaux, espaces publics », Réseaux, vol 17, n° 98, 1999, p. 17-85, p. 21.
- 4. « Le bio pouvoir implique la promotion de dispositifs de pouvoirs qui agissent dans le sens d’une production de “techniques de soi” permettant de façonner les subjectivités, tout en réprimant les rebelles ». Leonardi Emanuele, « Foucault in the Susa Valley: The No TAV Movement and Struggles for Subjectification », Capitalism Nature Socialism, 24(2), 2013, p. 27-40.
- 5. K. Ross, La forme-Commune. La lutte comme manière d’habiter, La Fabrique Éditions, 2023, p. 104.
- 6. Daniel Bensaïd reprend ici la définition de Pierre Bourdieu pour décrire le passage de la « classe probable » à la « classe actuelle » ou « mobilisée ». D. Bensaïd, Le sourire du spectre, Paris, Éditions Michalon, 2000, p. 77.