La lutte contre l’A69, entre Castres et Toulouse, est un symbole fort de l’entêtement des pouvoirs publics et des élu·es à continuer comme avant. Contre leur monde, les collectifs luttent depuis près de 20 ans. Après l’enquête publique et les débuts des travaux en 2013, la mobilisation s’est étendue, les modes d’action ont évolué face à une répression brutale.
Depuis 2007, plusieurs collectifs se sont succédé pour incarner les différents moments de lutte (collectif des maires opposés au projet, collectif RN126, Pas d’Autoroute Castres-Toulouse (Pact).
Dès 2008, le Collectif RN126 et l’association la Coulée verte de Saint-Germain-des-Prés alertent le président de la SNCF pour que d’autres solutions alternatives soient étudiées et chiffrées, en particulier l’amélioration de la liaison ferroviaire Castres – Toulouse.
Sous la pression des associations, l’État décide la mise en place d’un Débat public mais élimine la possibilité d’une autre solution comme l’aménagement sur place (ASP) de la RN126.
Dans cette mobilisation au long cours les associations environnementales FNE Occitanie-Pyrénées, Nature en Occitanie, UPNET et plusieurs associations locales, aux côtés de la Conf 81, d’Attac 81, de la LDH et des Amis de la terre, ont été des soutiens permanents en particulier lors des recours juridiques.
De décembre 2016 à janvier 2017, l’enquête publique pour la DUP (déclaration d’utilité publique) est un moment fort. Préparée par de nombreuses initiatives, pétitions, courriers au gouvernement qui demandent l’annulation de la DUP. « Notre objectif était de montrer que l’aménagement de la RN 126 est efficace en termes de sécurité routière, de gain de temps, de préservation du cadre de vie et du foncier »1.
L’État présente un dossier sévèrement critiqué par l’Autorité environnementale et le Commissariat général à l’investissement qui militent pour l’aménagement de la RN126. Au terme de l’enquête publique, l’intérêt public de l’ouvrage n’est toujours pas démontré. Malgré trois recours en annulation, la DUP sera signée par Nicolas Hulot le 19 juillet 2018.
Avant l’enquête publique, les carrières mettent le feu au poudre
En novembre 2020, la publication du Dossier des Engagements de l’État (DEE) acte la création de carrières temporaires. Au lieu de 1,3 million de m3 de remblais, il en faut 2,9 ! Un élément qui n’avait pas été rendu public avant l’enquête publique. NGE, futur concessionnaire, le savait et prospectait déjà d’éventuels terrains de carrières. À Montcabrier, un collectif combatif s’organise : la carrière s’implanterait à 50 m des premières habitations du village et à 500 m de l’école. La mobilisation massive entraîne l’abandon des carrières par NGE. Ne figurant pas dans l’étude d’impact, leur maintien aurait été illégal. Stop Carrières Montcabrier va donner un second souffle à la mobilisation, réveillant les collectifs, bousculant les formes d’organisation et de communication. Ce nouvel élan se concrétise par la création du collectif LVEL (La voie est libre) qui va coordonner la lutte, et mobiliser pour participer à l’enquête publique.
Précédée par une intense campagne de mobilisation, rassemblements, conférences, lettres ouvertes, l’enquête publique est ouverte du 28/11/2022 au 11/01/2023. L’autorité environnementale, le Comité national de protection de la nature et l’Office français de la biodiversité OFB émettent des avis défavorables. Pour un dossier dont les enquêteurs notent : « Le dossier ne recherche aucunement à être accessible au public ni d’ailleurs à la commission ».2
6 311 observations seront comptabilisées, ce qui constitue une participation élevée. Beaucoup de contributeurs sont des associations ou des organisations, le nombre de personnes s’étant exprimées directement ou indirectement est beaucoup plus important.
La commission partage nombre d’arguments des opposants. Mais elle se réfugie derrière les conclusions de la DUP qui a tranché le débat du « quoi faire » et ne remet pas en cause l’opportunité de réaliser l’autoroute. Elle se contentera donc de recommandations sur le « comment faire ».
Poussé par le lobby autoroutier, le chantier démarre
Lorsque, le 3 mars 2023, les préfets de la Haute-Garonne et du Tarn co-signent l’autorisation environnementale des travaux de construction de l’autoroute entre Castres et Toulouse, ils sont les exécuteurs des basses œuvres approuvées par une coalition hétéroclite d’industriels locaux derrière le groupe pharmaceutique Pierre Fabre, de parlementaires et la majorité PS de la région et du département, maires des grandes agglomérations en passant par toutes les nuances de la droite locale.
Ils ont les réseaux, l’appui des lobbys du BTP, l’oreille des médias locaux et n’hésitent pas à exercer des pressions fortes sur les communes pour les dissuader de s’opposer au projet.
Face aux manifestations, le député Terlier réagit : « les Tarnais ne toléreront pas une ZAD ». Il demande à Darmanin de « prendre sans tarder les mesures d’expulsion contre la poignée d’écologistes radicaux qui remettent en cause, en violation de notre État de droit, le projet autoroutier entre Castres et Toulouse ». C’est lui que la majorité installe comme président de la Commission d’enquête parlementaire sur le montage juridique et financier du projet. Son épouse est cadre dirigeante du groupe Pierre Fabre.
Carole Delga, présidente (PS) du conseil régional d’Occitanie, assure placer très haut la question climatique dans l’ordre de ses priorités, tout en soutenant l’abattage de centaines d’arbres et le gel de 300 hectares de terres agricoles pour construire l’A69, entre Castres et Toulouse..
Les rangs de la mobilisation vont s’élargir face à l’imminence du chantier. XR Toulouse, les Soulèvements de la terre, le GNSA rejoignent la lutte. Les modes d’action évoluent. Une marche entre Verfeil et Castres en octobre 2022 précède plusieurs manifestations massives, 8 000 personnes pour la Sortie de route en avril 2023, réunissant associations, partis et syndicats. Les Soulèvements de la terre inscrivent cette mobilisation dans leur 6e saison. En octobre 2023, Ramdam sur le Macadam, une manif-action de 6 cortèges coordonnés déborde le dispositif policier. Près de 1 500 personnes investissent une zone d’entreposage de bitume.
Plusieurs tentatives d’installation d’une ZAD se heurtent à la brutalité policière et à la difficulté de protéger, sur les 55 kilomètres de l’itinéraire, toutes les zones menacées. De nombreuses occupations d’arbres permettent de ralentir le chantier.
Du 1er septembre au 15 octobre, une dizaine d’opposant·es autour de Thomas Brail du GNSA font une grève de la faim pour obtenir l’interruption du chantier et l’étude sérieuse des solutions alternatives. L’impact médiatique aura un écho national et international (présence de délégations étrangères et de Greta Thunberg le 10 février 2024).
Leur réponse : une répression brutale et féroce
Orchestrée par le préfet du Tarn Michel Vilbois, la répression est massive, disproportionnée, illégale.
En mars 2023, les premiers arbres sont occupés à Vendine, les gendarmes mobilisés pour protéger les travaux d’abattage. La brutalité s’affirmera lors des journées d’octobre (Ramdam sur le Macadam) avec évacuation violente de la ZAD et d’une conférence animée par les scientifiques de l’ATECOPOL.
Sur la Crém’arbre, installée en janvier 2024, de jour comme de nuit, les forces de l’ordre exercent un harcèlement permanent, tirs de grenades, enfumage par combustion de matériaux divers, privation de sommeil, de ravitaillements en eau et nourriture… amenant plusieurs collectifs et associations à déposer plainte contre X pour « mise en danger volontaire de la vie d’autrui »
Ce déploiement militaire vise à instaurer la terreur, multiplie les intrusions violentes sur des terrains privés, les blessures physiques, les insultes et provocations sexistes et homophobes, Des interpellations brutales, des procédures judiciaires abusives cherchent à affaiblir la détermination des écureuil·es et de leurs soutiens.
Aidés par deux « centaures », blindés ultraéquipés de maintien de l’ordre, une quinzaine de camions de gendarmes empêchent ceux d’en bas de s’approcher des arbres et font peser une menace permanente sur la ZAD de la Crém’Arbre.
Alerté sur « les méthodes de maintien de l’ordre employées contre les militants pacifiques » le rapporteur de l’ONU, Michel Forst, assiste en direct à l’interpellation musclée d’un écureuil par la CNAMO (Cellule nationale d’appui à la mobilité). Comme dans plusieurs pays européens, les méthodes répressives utilisées dans le Tarn s’appuyent sur la législation relative à la criminalité, sur les dispositifs policiers et l’arsenal juridique antiterroriste pour empêcher toute mobilisation.
Selon les estimations de Reporterre3, l’État aurait déboursé au moins 2,76 millions d’euros en un an pour cette opération de maintien de l’ordre, utilisant blindés, drones, hélicoptères, pelotons d’intervention spécialisée et milliers de grenades tirées.
Le 24 mars, après 39 jours de résistance les écureuils descendent des arbres. « Un constat de l’office français de la biodiversité atteste que des mésanges bleues commençaient leur nidification », explique leur avocate, Claire Dujardin. « Clairement ce sont les mésanges qui nous ont sauvés »4.
Les usines à bitume et les gravières d’Ariège élargissent le mouvement
La construction de l’A69 nécessite des quantités impressionnantes de matériaux : 500 000 tonnes de revêtement confectionné dans des usines à bitume, 2,6 millions de tonnes de granulats extraits des gravières d’Ariège. Mais ça coince !
Neuf collectifs locaux contre ces usines viennent renforcer les collectifs existants (Gragnargue et Lafenasse). Une coordination se met en place et organise de nombreux événements, dans les villages, auprès des écoles, touchant un public large, permettant de reterritorialiser la lutte au plus proche des habitant·es. Le 5 avril, enseignant·es, parents et élèves font grève pour alerter sur les risques sanitaires et l’impact de la pollution. Les particules portées par le vent peuvent atteindre un rayon de 15 km.
Le 22 mars 2023, journée mondiale de l’eau, les associations ariégeoises et toulousaines5 créent le collectif Stop Gravières pour sauver la nappe phréatique de l’Ariège et mettre à l’arrêt les gravières du département. Un recours est déposé contre le schéma régional des carrières d’Occitanie, écrit sous la dictée des groupes du BTP, approuvé par le préfet de région après une concertation menée en catimini. Les extractions d’agrégats et de sable, pour alimenter la construction de l’A69 et l’aménagement industriel de Port-la-Nouvelle, vont générer des impacts majeurs : destruction des nappes phréatiques, bouleversement du cycle de l’eau, enfouissement de déchets qui polluent durablement les sols et les cours d’eau.
Se battre en justice, proposer des alternatives
La dimension juridique est cruciale. Mais la maitrise de ces dossiers a du mal à être comprise et assumée par le plus grand nombre. Technique et complexe, leur conduite oblige les collectifs à se faire aider par des cabinets d’avocats, à s’unir pour réunir les fonds nécessaires, à partager leurs compétences. La durée des procédures n’aide pas à les insérer dans les calendriers de mobilisations. Pourtant, les initiatives qui retardent le chantier, l’écho des mobilisations dans les médias renforcent les démarches devant la justice.
Les collectifs et les associations font de gros efforts de communication et de pédagogie. Si beaucoup d’actions en référé pour défendre telle portion de l’itinéraire, l’habitat naturel d’espèces protégées, pour empêcher les coupes d’arbres d’alignement, ont été perdues, aucun des recours sur le fond n’a pour le moment été jugé. Ces échéances sont décisives, pour contester la « raison impérative d’intérêt public majeur » et la légalité des autorisations environnementales délivrées par les préfets de la Haute-Garonne et du Tarn, qui ont permis le déclenchement des travaux
Les alternatives présentées par les collectifs prennent en compte les nouvelles mobilités, les nouvelles conceptions de l’agriculture et d’urbanisme. Le projet alternatif6 pour le territoire d’Une Autre Voie propose une mobilité multimodale autour de trois axes : une ligne ferroviaire améliorée, la première Véloroute Nationale et le réaménagement de la RN126, et un nouvel aménagement pour revitaliser le territoire et répondre aux enjeux sociaux et environnementaux.
Quelques enseignements
Les pouvoirs publics ont imposé l’A69 sans respecter l’avis des institutions consultées, du public, en manipulant les données, en faisant pression sur les élu·es, en criminalisant les opposant·es. « Dans ce dossier, tout a été biaisé, faux, illégal, approximatif ».
L’opposition s’inscrit dans la durée, marquée par une multiplication d’actions, d’initiatives, mêlant des formes diverses, festives, combatives, occupations, désarmement, recours juridique. Menée au niveau local la lutte va prendre de l’ampleur et obliger le pouvoir central à prendre position, renforçant la légitimité des opposants. Relayée à l’Assemblée nationale par une commission d’enquête parlementaire, elle clarifie à gauche : Carole Delga et Christophe Ramond semblent bien seuls pour porter le projet d’autoroute Toulouse-Castres que les élu·es régionaux écologistes, et les communistes, pourtant partenaires de la majorité régionale, refusent.
Les collectifs s’intègrent activement aux réseaux nationaux (Déroute des routes, Rencontres des Résistantes au Larzac, inscription dans les saisons des Soulèvements de la Terre.). L’ancrage territorial de la lutte contre un projet précis se double d’une réflexion politique autour des enjeux globaux.
Nous avons souligné dans la première partie l’engagement actif des scientifiques7 de l’ATECOPOL qui ont condamné ce projet et s’inquiètent du divorce grandissant avec les politiques8.
Cette lutte est l’illustration du combat entre deux mondes, celui du passé sourd et aveugle face aux enjeux de la crise environnementale et sociale et celui de celleux qui multiplient les résistances. Occasion d’une unité forte entre collectifs, associations diverses locales, régionales et nationales, elle révèle les capacités logistiques, communicationnelles, organisationnelles, financières et juridiques d’une expertise citoyenne inégalée.
Le NPA refuse cette perspective d’aménagement absurde. Le modelage du territoire et de nos vies par le tout-camion et le tout-voiture artificialise les sols, accélère l’urbanisation et le développement des métropoles, menace les ressources en eau et la biodiversité, contribue massivement aux émissions responsables du chaos climatique. L’opposition à l’A69 combine le refus du modèle capitaliste et productiviste qui nous mène à la catastrophe et l’exigence de vivre mieux.
Nous serons sur le terrain, les 8 et 9 juin 2024 – avec les collectifs contre l’A69 et les Soulèvements de la terre pour renforcer les résistances agricoles, sociales et écologistes.
- 1. Frédéric Manon, élu de Lacroisille et membre du collectif RN126
- 2. « Autorisation environnementale préalable à la réalisation de la liaison Castres-Toulouse portée par ATOSCA et AS », p.87.
- 3. Reporterre, 2,76 millions d’euros : le coût de la répression des opposants à l’A69.
- 4. France 3 Occitanie.
- 5. APROVA, l’APRA-Le Chabot, la FNE, le Comité écologique ariégeois (CEA), la Conf 09, XR 09, A pas de loutre, Les amis de la Terre et Eau Secours 31
- 6. « Castres – Toulouse : un projet de territoire sans A69 », Une Autre Voie.
- 7. Référence à la première partie de l’article dans la revue L’Anticapitaliste n°155.
- 8. « L’Atécopol demande l’arrêt immédiat des travaux de l’A69 », Atelier d’Ecologie Politique, 24/09/2023.