Le Collectif Vietnam-Dioxine s’inscrit dans une écologie décoloniale puisque la cause portée n’est pas uniquement écologiste mais est aussi la résultante de logiques coloniales et impérialistes et d’un système capitaliste qui produit des crises environnementales (qui sont en fait continues) et des guerres en temps de crises. Nous réclamons justice pour les victimes de l’agent orange, arme chimique et défoliant utilisée pendant la guerre impériale menée par les États-Unis au Vietnam, lors de la Seconde Guerr
épandages équivalent à 12,37 millions d’équivalent-hectare, au minimum.
L’agent orange a été produit de cette manière par des multinationales états-uniennes comme Monsanto, Dow Chemical ou Hercules, pour dégager le plus de profits et pour raser la plus grande superficie de forêt possible. Il a été épandu à partir du 10 août 1961, puis de manière massive lors de l’opération Ranch Hand en 1962 et ce jusqu’en 1971. Les défoliants ont été déversés sur 10 % sur la surface du Sud Vietnam.
Le terme « écocide » a d’ailleurs été employé pour la première fois, en 70, par le biologiste Arthur Galston pour qualifier cette opération des troupes américaines, toxique sur un double plan. D’une part, sur le plan sanitaire. La dioxine de l’agent orange cause de nombreuses pathologies aux 2 à 4 millions de victimes directement exposées aux épandages. S’ajoute à celles-ci un nombre indéterminé de victimes sur le long cours, dû à la transmission héréditaire de ces pathologies,
D’autre part, sur le plan écologique car à la fin de la guerre, 20 % des forêts sud-vietnamiennes avaient été détruit eschimiquement, et plus du tiers des mangroves avaient disparu. Actuellement, la présence de dioxine est encore massive dans les espaces touchés. La molécule persiste dans les terres, l’eau et contamine depuis plusieurs décennies les espaces et le vivant.
C’est donc bien le contexte de la guerre qui a permis ce désastre humanitaire et écologique. Dans un contexte capitaliste, tout est fait pour maximiser les profits, quand bien même les entreprises connaissaient la toxicité des produits.
La procédure judiciaire en cours en France
Tran To Nga, ancienne journaliste et agente de liaison pour le Front de Libération du Sud-Vietnam, franco-vietnamienne, a intenté un procès en 2014 contre les entreprises qui ont produit ou commercialisé l’agent orange, dans le but de créer un précédent pour les victimes de l’agent orange. Le procès en première instance s’est déroulé à Évry en 2021 et s’est conclu par une décision du tribunal qui s’est déclaré incompétent à juger de l’affaire. En effet, la partie adverse estime qu’elle a seulement obéi au Gouvernement des États-Unis malgré la marge de manœuvre que les entreprises avaient. Lors de ce procès, les multinationales ont affirmé qu’elles ont “fourni un service public dans le cadre de la défense nationale”. Elles savent qu’il est impossible d’attaquer les États-Unis à l’échelle internationale, ce crime ayant été commis avant la création de la Cour pénale internationale (CPI) et cet État ne reconnaît pas non plus la Cour internationale de justice. La cour d’appel de Paris a confirmé cette décision en 2024. Tran To Nga et ses deux avocats, Me William Bourdon et Me Bertrand Repolt, se sont pourvu·es en cassation, dont l’audience devrait avoir lieu en 2026 au plus tôt. Attaquer les multinationales est la seule voie pour créer une jurisprudence, même si politiquement, il n’y a aucune illusion sur ce mode d’action dont les limites sont celles de la justice bourgeoise. Ce procès permet toutefois de pointer les contradictions du capitalisme et un double standard impérialiste-colonial-racial.
Les guerres chimiques au service des impérialismes et des colonialismes
L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques définit une arme chimique comme un produit chimique utilisé pour provoquer la mort ou d’autres dommages par son action toxique. À l’instar des armes nucléaires, on peut les considérer comme des armes de destruction massive. La Convention de 1997 sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC) interdit leur fabrication, leur usage et leur stockage. 193 États sont signataires de cette convention. Malgré cela, des violations persistantes sont constatées, souvent au détriment des civils et au profit de multinationales productrices.
Pourtant, des armes chimiques ont récemment été utilisées en Ukraine par la Russie (chloropicirine), au Kurdistan par la Turquie (phosphore blanc), en Syrie par le régime de Bachar Al-Assad (gaz sarin), à Gaza par l’armée d’occupation israélienne (phosphore blanc) ou historiquement en Algérie par la France (gaz CN2D ou napalm).
Winston Churchil a prononcé ces mots : « Les armes chimiques seraient une bonne médecine pour les bolcheviks ». Les peuples colonisés et sous domination impérialiste ont aussi subi le joug de ces armes chimiques, qu’ils aient été communistes ou non. Eni revanche, il existe un double standard colonial et raciste quant à la manière dont on considère les victimes de l’agent orange. En 1984, les vétérans étatsuniens victimes de l’agent orange ont mené une class action contre les multinationales productrices et obtenu une indemnisation à l’amiable en échange de leur silence. En 2009, les victimes vietnamiennes qui avaient également porté plainte pour crime contre l’humanité et crime de guerre, ont été déboutées par la Cour Suprême, considérant que l’agent orange n’est pas un poison au regard du droit international et qu’il n’y a donc pas d’interdiction d’utiliser un herbicide. Ce refus de justice et de réparations pour les victimes vietnamiennes est le symptôme d’un racisme, que l’on pourrait qualifier de racisme environnemental, dont sont victimes les corps colonisés.
Il s’agit d’une preuve que certaines vies valent moins que d’autres.
Un rapport à la Terre : par-delà des nationalismes réactionnaires, pour une « écologie de la mangrove »
Le rapport à la Terre est trop souvent approprié par l’extrême droite qui tend ainsi deux pièges aux personnes non-blanches qui aimeraient se le réapproprier, comme le dit Myriam Bahaffou : « Nos espaces antiracistes oscillent entre ces pôles : la célébration naïve de nos existences “malgré tout”, voire notre réussite sous le capitalisme, ou alors l’obsession d’être “un·e vrai·e”, un soi authentique, pur et sauvage, qui entraîne nécessairement un flicage constant des restes du “colon” en soi ou chez les autres. »
Ainsi, soit nous rentrons dans le système racial, produit d’un capitalisme racial, en s’intégrant complètement dans la blanchité, quitte à revendiquer un lien à la terre occidental et à imposer une vision coloniale de la terre vietnamienne ; soit nous affirmons nos identités asiatiques au risque de fantasmer ce qui n’existe pas forcément ou différemment chez les uns et les autres. Depuis notre perspective, nous revendiquons donc un autre rapport identitaire, pluriel, qui nous permet de refuser ces deux options.
Le rapport identitaire d’extrême droite (être attaché à une terre en raison de ses origines, de son lien du sang, etc.) est un rapport racinaire vertical qui ne permet pas de penser la complexité de nos diasporas. Il est possible de penser un rapport pluriel et divers, collectif. C’est le principe du rhizome. C’est ensemble, en tant que collectif que nous pouvons retrouver un rapport à l’Asie du Sud-Est qui ne soit plus prédateur. D’ailleurs, c’est pour cela qu’on pense que le collectif peut être un espace émancipateur pour nombre d’entre nous. La notion de « rhizome » nous vient des écrits de Gilles Deleuze et Félix Guattari. Ces deux auteurs pensent les rhizomes — le réseau racinaire horizontal, dynamique et multidirectionnel de la mangrove — comme un contrepied à un enracinement vertical, figé. Maryse Condé, Édouard Glissant, ont parlé de l’environnement caribéen, notamment antillais, violenté par l’esclavage et la colonisation, comme clé de cette nouvelle relation à la terre, aux autres, au monde. Au départ dévalorisées, les terres colonisées et violentées comme les mangroves et leurs rhizomes sous-marins deviennent un lieu fertile d’où penser la complexité communautaire.
Cet ancrage est fondamental car il nous permet de penser la lutte contre un système capitaliste et colonial, dont les contradictions actuelles nourrissent l’extrême-droite en dépassant ses logiques identitaires sans négliger notre situation concrète et notre aspiration à trouver notre place. En perpétuant l’héritage de nos luttes tout en tenant compte de la complexité de nos vécus et trajectoires, nous construisons des ponts avec d’autres luttes, comme la résistance du peuple palestinien ou sahraouie, ou par exemple sur le sujet du chlordécone qui a été épandu par la France en Guadeloupe et en Martinique.
retranscrit par An Gwesped