Jacques Le Cacheux, chercheur à l’OFCE, revient sur les objectifs négociés à L’Aquila lors du G8.
Jacques Le Cacheux est directeur du département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Que vous inspire l’objectif affiché du G8 ?
Réduire les émissions de CO2 de 80 % en 2050, c’est l’objectif que se sont fixé les Etats-Unis ainsi que l’Europe. Cela rejoint les préconisations du Groupe international d’experts sur le climat [le Giec, ndlr] et franchement, il n’y a rien de neuf sous le soleil. Ce qui est plus inquiétant, c’est qu’il n’y a aucun engagement à des échéances plus proches, comme 2015, 2020. Or, le problème, c’est plutôt l’urgence de l’action. Nous sommes encore très loin d’un accord, même si on peut saluer l’objectif commun visé par le G8 et le G5. Mais à y regarder de plus près, il n’y a rien d’autre dans cet objectif de 80 % qu’une déclaration d’intention.
Ce qui est déjà pas mal, non ?
Sauf qu’il y a urgence. Au sommet de la Terre, à Rio en 1992, le constat était déjà celui-là. Il faudrait plutôt des mesures et des engagements de court terme, alors qu’on ne fait que répéter ad nauseam les objectifs à long terme, qui n’engagent finalement aucun de ceux qui étaient autour de la table à L’Aquila. Cela me fait l’effet d’un automobiliste roulant à 170 km/h sur l’autoroute en vous expliquant droit dans les yeux qu’il sait très bien que la limite est fixée à 130. En attendant, il roule à 170 km/h. Les gouvernements ne sont pas prêts à faire des concessions à court terme. Cela les engage trop.
Pourtant, la volonté politique semble s’installer. L’Europe s’érige en leader incontesté sur les questions climatiques…
Sauf qu’en regardant les choses dans le détail, le leadership européen est bien mou. Par exemple, le marché des quotas de CO2 ne concerne que 40 % des émissions globales européennes. Ce marché est encore inefficace à cause d’un prix du carbone trop bas et assez peu incitatif. La taxe carbone française semble assez peu ambitieuse et au niveau européen, rien de tel n’est prévu. Il faudrait l’unanimité des 27 Etats membres, un scénario guère probable. Entre les souhaits et la réalité, il reste beaucoup de pas à franchir.
En avril 2009, le Conseil européen a adopté un texte dans lequel l’objectif européen de 30 % de réduction de CO2[si les autres pays développés en font autant] a disparu au profit d’une menace : si les autres pays industrialisés ne sont pas à la hauteur de l’enjeu en décembre, à Copenhague, l’UE jouerait de l’argument de la «fuite de carbone», c’est-à-dire la délocalisation des industries soumises à des normes environnementales contraignantes, pour continuer à distribuer gratuitement des permis d’émissions aux entreprises du continent. Si les engagements européens sont critiquables du fait de leur manque de crédibilité, au moins ils sont acquis et ont force de loi.
Nourrissez-vous le même pessimisme lucide vis-à-vis des Etats-Unis ?
Le texte voté fin juin par la Chambre des représentants reste encore peu ambitieux, bien qu’Obama soit parvenu en quelques mois à inverser la politique de l’administration précédente, ce qui est un progrès colossal en soi. Mais c’est la même chose : il n’y a rien à court terme. Les nouveaux standards d’efficacité énergétique des véhicules [6,6 litres au 100 d’ici à 2016] sont encore très loin des normes européennes. La Chine, les Etats-Unis et l’Union européenne représentent respectivement 21 %, 20 % et 14 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
La Chine a une position privilégiée, c’est à elle d’abattre ses cartes en dernier. Cette position découle de la responsabilité historique des pays développés dans le changement climatique, auxquels on impute 77 % des émissions cumulées depuis le XVIIIe siècle alors que la Chine est responsable de 7 % de ce total, soit dix fois moins. Pour elle et pour l’Inde, deux nations conscientes du problème, il n’est pas du tout question de sacrifier le développement économique sur l’autel de la lutte contre les changements climatiques.
Les pays riches n’ont-ils pas prévu d’aider les pays en développement au travers de transferts de technologie ?
Certes. S’ils sont d’ores et déjà techniquement faciles à mettre en œuvre, ils manquent d’engagements financiers fermes de la part des pays développés, Union européenne et Etats-Unis en tête. Globalement, nous avons un problème de gouvernance. Sans vrai gouvernement mondial ayant un pouvoir de coercition, comment s’assurer que les Etats respecteront leurs engagements ?
Les dirigeants répètent que la crise financière représente une formidable opportunité de s’y mettre…
Bien sûr, mais pour que ce combat contre le réchauffement constitue une impulsion pour sortir de la crise, il faut des investissements colossaux. C’est identique à une guerre. Après la guerre, on investit tout dans la reconstruction. Tout le monde est d’accord là-dessus, mais je vous signale que la «relance verte» constitue 0,016 % du budget de l’Union européenne, ou si vous préférez, 0,12 % en moyenne des budgets de relance de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni et de l’Italie… Et 0,41 % du budget américain. Nous sommes, il me semble, un peu loin de la taille colossale des enjeux.
Par Laure Noualhat.