Entretien. Alors que des records de sécheresse sont annoncés pour cette année encore, le plan Eau de Macron présenté à Savines-le-Lac le 30 mars ne résout rien. Entretien et décodage avec Marc Laimé, auteur de plusieurs livres sur l’eau dont le dernier est « Guadeloupe, l’île sans eau. Enquête sur un effondrement »1.
Quelle appréciation globale portes-tu sur le « plan Eau » présenté le 30 mars dernier par Macron ?
Opportunisme politique à courte vue et satisfaction des clientèles de l’actuelle majorité : les entreprises du secteur, Veolia et les marchands de tuyaux, qui imposent une fuite en avant dans le solutionnisme technologique qui ne résoudra rien. C’est pour l’essentiel de la gestion de crise et de la communication. On demeure dans la gestion de l’offre, ce qui revient à faire semblant que nous n’allons pas être confrontés à la baisse drastique de la ressource disponible et mobilisable, induite par l’impact du changement climatique sur le cycle hydrologique, avec des baisses de la ressource mobilisable, pour tous les usages, évaluées, selon les régions, de – 10 % (Centre Val-de-Loire) à – 40 % (dans le sud-ouest). Ajouter que l’agriculture est exonérée de tout effort véritable et que ce plan n’est pas financé. L’effort reposera exclusivement sur les ménages, par l’augmentation des redevances des Agences de l’eau (1,2 milliard d’euros chaque année) perçues à hauteur de 85 % sur les usagerEs domestiques via la facture d’eau. Face aux enjeux, aucun débat démocratique préalable, des diktats imposés d’en haut qui peuvent être résumés à 30 % de recyclage (changement de nom) de dispositifs existants, qui ont globalement échoué, 30 % d’incitations volontaires qui ne sont assorties d’aucune obligation (« réparer les fuites »), et enfin 30 % « d’innovations technologiques » comme la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) ou la généralisation du goutte-à-goutte pour l’irrigation, qui vont alimenter les marchés de Veolia et des marchands de tuyaux.
L’essentiel de ces mesures proviennent du plan présenté par la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E) avant la dernière présidentielle. J’avais ironisé à l’époque en écrivant sur mon blog (sans être démenti) que la FP2E venait de présenter son programme pour la présidentielle…
La dernière grande loi sur l’eau date de 2006, après un long processus datant du début des années 1960. Face aux nouveaux enjeux, tu indiques dans un article qu’une nouvelle loi serait nécessaire. Quelles en seraient les lignes de force ?
Il faudrait remettre à plat l’ensemble du système qui a failli, comme en atteste la foule de rapports officiels publiés depuis l’automne dernier. Les objectifs de reconquête de la qualité de toutes les masses d’eau, annoncés pour 2015, 2021 puis 2027, à travers la Directive cadre européenne sur l’eau (DCE) demeurent hors d’atteinte. De nouvelles pollutions, jamais détectées auparavant (PFAS et métabolites des pesticides) ont été identifiées par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) en mars dernier, avec un impact gravissime sur l’eau potable et la sécurité sanitaire. Il va falloir investir des milliards pour les combattre. La protection des captages demeure lacunaire ; les plans Ecophyto successifs censés y pourvoir sont un naufrage qui a coûté des centaines de millions d’euros en pure perte, etc.
Pour rompre avec cette logique mortifère, il faut d’abord faire respecter la loi, en finir avec le « deux poids deux mesures ». On matraque les manifestants à Sainte-Soline et on va légaliser le barrage de Caussade (47) construit illégalement et dont les promoteurs ont été condamnés par la justice.
Les atteintes graves à l’environnement par le déversement dans la nature de matières polluantes ne sont sanctionnées que par des amendes ridicules et des engagements à mieux faire, prononcés dans des audiences tenues à huis clos devant le procureur.
Le fonctionnement et le financement du système doivent être rééquilibrés au profit des usagers domestiques et de la société civile alors qu’aujourd’hui ce qui prévaut c’est le principe pollué-payeur.
Tous ceux qui tirent profit du système, au premier rang desquels la FNSEA, refusent le principe d’une nouvelle loi car elle ferait apparaître au grand jour l’échec cinglant de l’organisation actuelle. Il faudra l’imposer.
Ce qui est frappant dans ce plan, c’est la fuite en avant technologique…
C’est le grand mythe de l’ingénieur qui se perpétue. « Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions… » On reste dans la croyance indéfectible dans le progrès technique et la croissance infinie, qu’on maintiendra grâce aux avancées de la recherche. Toutes les élites économiques, scientifiques et politiques en restent convaincues. C’est l’obstacle principal ! Un endoctrinement idéologique et une culture qui irriguent toute la société. La décroissance, c’est le démon ! Veolia et Suez, ayant acté que leurs marchés traditionnels — l’eau et l’assainissement — étaient « matures », se redéploient massivement vers les marchés émergents du Sud et investissent aussi les nouveaux métiers de la gestion de la ressource dans le grand cycle de l’eau.
Une mesure est souvent mise en avant, la REUT, de nombreuses collectivités locales en font un axe prioritaire, alors que ce n’est pas sans poser de sérieux problèmes, non ?
Veolia et Suez portent ce projet depuis quinze ans. Aujourd’hui marginale, la REUT, avec 80 petites unités en France, est censée apporter des réponses à tous les problèmes car on réutilisera la moindre goutte 5 ou 6 fois. Le plan Macron prévoit de porter la REUT à 10 % des capacités du parc épuratoire français (11 000 stations d’épuration (STEP). Une aberration ! D’abord ça coûte cher en énergie, ensuite on va prélever des volumes d’eau usées traitées qui sont aujourd’hui rejetées par les STEP dans le milieu naturel (rivières et nappes) et sont indispensables à la réalimentation de ce milieu. Enfin des incertitudes ne sont pas levées sur l’impact sanitaire de ces eaux réutilisées.
Or le gouvernement a déjà fait sauter par décret tous les obstacles réglementaires qui en limitaient à juste titre le déploiement. Plus largement, les rédacteurs du plan Macron se sont inspirés des méthodologies du « Nudge », en mobilisant l’opinion publique autour de concepts qui ont l’apparence du « bon sens » : « Ah oui, c’est pas bête, la réutilisation… » Mais le diable gît dans le détail.
Macron a aussi évoqué la tarification progressive comme mesure ayant un effet sur les économies d’eau. Mais il s’est bien gardé de parler de la tarification sociale, alors que les villes qui se sont engagées dans cette voie ont, avec des résultats variables, combiné les deux (Montpellier, Dunkerque, Grenoble, Rennes, Muret, etc.). Ton avis ?
À l’origine toutes ces histoires de tarification sociale et éco-solidaire ont été portées dans le débat public par le SIAAP (Syndicat francilien de l’assainissement), puis Suez, qui cherchaient à se refaire une beauté après des affaires de corruption. L’exemple de Dunkerque (Suez) est l’illustration achevée d’un véritable dévoiement que j’ai largement documenté à l’époque. Dans le meilleur des cas, on construit des usines à gaz, inutiles, pour se donner l’air (à gauche) de faire du social. De la com’ politique à moindre frais ! Rien d’étonnant à ce que le plan Macron entonne l’air du social : toujours la manipulation des idées de « bon sens » comme antiphrase d’un programme résolument antisocial…
Ce qui est frappant aussi, c’est qu’il n’y a aucune mesure qui s’en prenne aux multinationales comme Veolia et Suez.
Avec Macron, c’est pire que cela, ce sont eux qui dictent l’agenda des institutions et en rédigent les programmes.
Comment vois-tu les perspectives de luttes dans le domaine de l’eau, au-delà de la lutte très importante contre les mégabassines ?
Le front s’est déplacé du petit au grand cycle dans les quinze dernières années, on est passé des luttes contre la gestion privée (DSP et concessions) à des mobilisations multiformes pour la préservation de la ressource et de sa qualité : bassines, pollutions, neige de culture, méthanisation… Demain de nouveaux enjeux vont apparaître : grands travaux hydrauliques, sources, forages, recul du trait de côte, qui lieront environnement, activité économique et aménagement du territoire et réarticuleront les luttes à de nouvelles échelles territoriales.
Propos recueillis par la commission nationale écologie du NPA
Marc Laimé sera présent à l’université d’été du NPA du 27 au 31 août 2023 à Port-Leucate.
- 1. Guadeloupe, l’île sans eau. Enquête sur un effondrement, par Thierry Gadault et Marc Laimé, Massot éditions, 2022.