Publié le Dimanche 4 juin 2023 à 12h00.

Les Soulèvements de la Terre ou le renouveau de la lutte écologiste

Le collectif Les Soulèvements de la Terre (SDT) est né en janvier 2021 à Notre-Dame-Des-Landes de la volonté de construire un réseau de luttes locales de résistance à l’accaparement des terres et « d’établir un rapport de force en vue d’arracher la terre au ravage industriel et marchand1 ».

De quoi ce collectif militant est-il le nom ? Quel premier bilan après deux ans et demi d’existence ? Quel apport pour la lutte générale contre le capitalisme et son monde ? Quelles relations le NPA peut-il entretenir avec ce mouvement bien organisé, fédérateur et porteur de perspectives anticapitalistes ? L’expérience vécue à leurs côtés nous inspire ces réflexions.

FortEs de l’expérience de la lutte victorieuse contre le projet d’aéroport, des dizaines de collectifs, assos, fermes, des hommes et des femmes également impliquéEs dans les luttes « contre la loi travail, les violences policières, le racisme, le sexisme et l’apocalypse climatique2 », des jeunes pour la plupart, des paysanNEs pour beaucoup, et toujours des habitantEs en lutte pour défendre leur territoire, face aux bétonneurs, ont lancé un appel à unir leurs colères, à résister ensemble, à constituer un mouvement de lutte, de réflexion et d’élaboration, d’unité et d’actions qu’iels ont nommé « les Soulèvements de la Terre ».

Un renouveau des luttes écologistes attendu

Dans un contexte d’aggravation considérable des crises écologiques, alors que les marches mondiales pour le climat montraient leurs limites, la nécessité de renouveler les stratégies de lutte face aux avancées destructrices des grands groupes capitalistes s’est imposée.

Traditionnellement représenté politiquement par « les Verts », le mouvement écologiste s’est profondément transformé depuis le temps où iels prétendaient l’incarner à eux seulEs. AffaibliEs par les rivalités et ambitions personnelles, iels ont perdu en crédibilité avec leur participation à différents gouvernements et exécutifs régionaux et locaux sans résultats probants. Surtout, leur alignement sur le capitalisme vert les a disqualifiéEs en particulier dans la jeunesse.

Les saisons des SDT

« Le pari des SDT ne repose pas sur des professions de foi, mais sur des premiers gestes concrets et des défis partagés, sur des lieux, sur des liens et des amitiés grandissantes3. »

Les luttes programmées en saisons, au gré des batailles contre des projets climaticides et destructeurs ont toutes un point commun : défendre les terres agricoles, leur rendre leur fonction nourricière, contre leur accaparement par l’agro-industrie, le BTP. De la saison 1 à la saison 5, des milliers de personnes ont multiplié les actions festives et militantes.

De la défense active des jardins des Vaîtes4 à Besançon, à celle de La Prévalaye5, à Rennes, en passant par les marches contre la bétonisation des terres fertiles d’Île-de-France et Lafarge6, mais aussi contre l’extension de carrières de sable et le maraîchage productiviste à Saint-Colomban en Loire-Atlantique7 ou contre des projets routiers comme l’A133-A134 ou faux contournement de Rouen8 et l’A69 entre Toulouse et Castres9, la lutte des Sucs contre une 2x2 voies10 chez Wauquier. Dans le Tarn, avec la reprise de la terre au bénéfice d’un paysan-boulanger, dans le Var et le Jura avec des actions sur des vignobles, des actions aussi contre Bayer-Monsanto à Lyon11, symbole de la dépossession des paysanNEs de leur autonomie et de leur lien à la terre, dans la lutte contre les mégabassines et l’accaparement de l’eau à Sainte-Soline12… toutes ces batailles ont un point commun fédérateur : ancrer les luttes dans des territoires à défendre, unir les habitantEs et les renforcer, apporter un savoir-faire très expérimenté organisationnel et stratégique.

Là est la caractéristique des SDT : mettre l’expérience acquise dans la lutte à NDDL au service d’autres luttes similaires. Toutes sont suivies par « un travail de fond sur l’accaparement des terres pour lancer diverses enquêtes, mobilisations et initiatives d’éducation populaire. Occupations de terres, apprentissage communautaire de la veille foncière et des mécanismes de régulation, diffusion publique des informations relatives aux sociétés qui concentrent le plus de foncier agricole à l’échelle d’un territoire, soutien aux jeunes paysan.ne.s entravé.e.s dans l’accès au foncier par les dynamiques de cumul et d’agrandissement, etc13. »

Des bâtons dans les routes… à Léry dans l’Eure

Le collectif contre le contournement à l’est de Rouen qui regroupe une cinquantaine de structures en Seine Maritime et dans l’Eure est né en janvier 2022. Nous avons commencé à travailler concrètement avec les SDT en décembre 2022. De rencontres en réunions de travail, nous avons organisé un festival qui a drainé 4 000 personnes venues des quatre coins de France et d’Europe, mais surtout des locaux qui se sont appropriés l’initiative et s’y sont investis fortement. L’apport des SDT a été précieux. La fabrication d’un récit commun autour de la forêt de Bord, symbole local fort, mais aussi la construction d’une histoire autour de chaque action proposée, a dopé les imaginations et décuplé les initiatives : conférences avec David Gaborieau (logistique et urbanisation), Fatima Ouassak (l’écologie et les quartiers populaires), Alessandro Pignocchi, scientifique, philosophe et auteur de BD, des balades avec les Naturalistes des Terres et installation de nichoirs, de deux mares et de dispositifs de défense si les tronçonneuses arrivent (clous, filins métalliques dans des arbres), installation d’une aire de jeux faite de sculptures en bois, première « ZAD des enfants » et le blocage de l’A13 qui traverse la forêt de Bord. À chaque action, le même récit : la forêt se défend, elle reprend ses droits.

Les méthodes des SDT

Les militantEs des SDT partagent une expérience organisationnelle très forte, qui permet de gagner du temps et de l’efficacité face aux bétonneurs soutenus par les gouvernements à leur service. Les actions sont organisées, travaillées ensemble, connues et validées par le collectif local. La réussite de certaines actions peut nécessiter une préparation concrète plus confidentielle confiée à un groupe restreint. Ce fut le cas pour le blocage de l’A13. À ce stade de la lutte (les travaux n’ont pas commencé), il importait de réussir un festival « familial », festif et d’éviter tout affrontement avec la police. Le groupe Action avait élaboré 3 scénarios d’action « en direction de l’A13 » gradués du plus au moins fort, selon les réactions des FDO. Rien n’a filtré avant le jour de l’action où les modalités ont été expliquées en assemblée générale.

Cela peut paraître frustrant, gênant, de ne pas tout savoir, de ne pas tout maîtriser. Cela nécessite une solide confiance mutuelle, construite sur la volonté partagée de rassembler des positionnements parfois très différents et sur l’acceptation de jouer chacunE son rôle dans le dispositif global d’actions.

En ce qui nous concerne, nous avons pu mesurer chez les SDT le niveau de responsabilité et de respect des différentes approches de la lutte car entre les « légalistes », souvent des éluEs ou des personnes investies et/ou confiantes dans les institutions, et les « radicaux » souvent des jeunes, fichéEs par la police (donc masquéEs), il fallait un point d’équilibre. Il fut trouvé, par la discussion franche, sans agressivité, avec le souci de parvenir à une solution satisfaisante pour touTEs. Nous en sortons renforcéEs dans la conviction qu’un collectif militant qui agit ensemble révèle dans l’action commune des trésors d’imagination et des capacités de réaction insoupçonnées.

Le NPA et les SDT

Le morcellement entre luttes sociales, luttes environnementales, luttes contre les oppressions a montré ses limites. Les luttes sont globales. Les Gilets jaunes partis d’une revendication sur le prix du carburant sont arrivés à faire le lien entre les revendications avec le slogan « fin du monde, fin du mois, même combat » par la magie propre au collectif militant qui discute et avance ensemble. Les revendications féministes, antiracistes, syndicales, écologiques ont infusé et sont comprises et reprises d’une lutte à l’autre. Celles menées autour de l’accaparement des terres englobent une dénonciation puissante du productivisme, ne se cantonnent pas au domaine strictement environnemental, mais débordent sur tous les champs de contestation de l’ordre capitaliste, patriarcal, de mise en concurrence. La force des SDT est de réussir à solidariser des populations autour de revendications sur leurs territoires, leurs façons de les habiter, leurs désirs de décider par elles-mêmes de comment y vivre et de donner à ces combats une dimension politique globale.

Et la violence dans tout ça ?

Ressassée par les médias et le gouvernement, la question de la violence doit être réfléchie.

Le NPA a sa propre expérience de l’auto-protection des luttes (à Sainte-Soline, il a tenu le rôle qu’il avait accepté de jouer face aux « forces de l’ordre »). Nous refusons l’injonction à « condamner les violences », nous assumons des actions de sabotage (contre Lafarge, avec les faucheurs volontaires, les déboulonneurEs de pubs…) car nous savons que la vraie violence, institutionnelle, légale, meurtrit et humilie chaque jour des millions de personnes. Nous pensons politiquement contre-productifs certains actes des dits « black-blocs » dont le seul objectif est leur propre mise en scène sans souci d’un objectif commun. Nous ne les confondons pas avec une colère de plus en plus massive et populaire contre la violence du système et de sa police.

Face à l’avancée dévastatrice du capitalisme, les marches et pressions sur les gouvernements sont impuissantes. Les « désarmements » d’installations écocides mis en œuvre avec les SDT, la Confédération paysanne… imposent la légitimité d’actions illégales. Elles posent à nouveau les questions de la désobéissance à l’ordre injuste et mortifère, de l’affrontement à l’État et aux institutions. Une réflexion nécessaire et urgente !